Intervoix 42

ÉDITORIAL

François Mauriac est décédé en 1970. En 2020, nous aurons donc l’occasion de penser au cinquantième anniversaire de sa mort. Cela donnera-t-il lieu à des commémorations particulières? Sans doute… 
Entre 2014 et 2018, le centième anniversaire de la disparition de Charles Péguy (coïncidant, il est vrai, avec le début de la Grande Guerre) a suscité un regain d’intérêt pour lui : livres, articles, conférences et spectacles se sont multipliés et le cinéaste Bruno Dumont a réalisé deux films inspirés par Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc. Peut-être les temps où beaucoup d’intellectuels français avaient tendance à mépriser les œuvres relevant d’une certaine spiritualité sont-ils à présent révolus… Georges Bernanos est très présent dans le roman Pas pleurer de Lydie Salvayre, qui a obtenu le prix Goncourt en 2014 et une préface du romancier contemporain François Bégaudeau éclaire la dernière édition du Journal d’un curé de campagne (édition de poche de 2019, chez Albin Michel). 
Je ne serais pas étonnée que François Mauriac suscite aussi, prochainement, un regain d’intérêt. Lors de cet été 2019, j’ai eu l’occasion de lire ou de relire plusieurs de ses ouvrages et l’universalité de leur propos m’a vraiment interpellée : le plus bouleversant dans ces textes, me semble-t-il, c’est la solitude et le manque d’amour dont souffrent bon nombre de personnages. Comment cela peut-il laisser indifférent de nos jours? Quant aux ravages provoqués par l’appât du gain et par la passion de l’argent…
C’est pourquoi je me réjouis du fait que les deux articles traitant des problématiques de la traduction, dans ce numéro d’Intervoix (après une méditation de Georges Simon sur l’aspect mystique de la quête de François Mauriac)concernent notre auteur : Galyna Dranenko, en effet, poursuit le travail commencé dans le numéro précédent à propos des traductions de l’œuvre en langue ukrainienne, et Patrizia Prati nous offre une analyse des questions posées par la traduction en italien de Thérèse Desqueyroux. L’article de Christine Roederer sur la langue, les paroles et les arts m’a semblé offrir un beau prolongement à cette réflexion. Tout cela nous place dans une dimension résolument européenne (François Mauriac, par ailleurs, était un Européen fervent), d’autant plus que les articles suivants se situent dans le prolongement du colloque de Madrid, consacré au thème de l’errance (l’errance de l’être et de la lettre dans la littérature) : Claude Hecham nous livre ses réflexions sur la question (telle qu’elle se pose dans le roman Maria Chapdelaine), Marie-Louise Scheidhauer nous raconte sa découverte d’un Madrid insolite et Helga Zsàk nous emmène de l’Espagne (en étudiant l’influence de la littérature espagnole ancienne sur les dramaturges français du dix-septième siècle) à la Hongrie, où se déroulera le prochain voyage d’échanges et de découvertes de l’Association. Un texte de fiction en prose (de Patrizia Prati) occupe les dernières pages, ainsi qu’un compte-rendu du dernier recueil de poèmes de Sabine Badré, rédigé par Marie-Louise Scheidhauer. Tout cela contribue à témoigner de notre vitalité (à aucun prix, nous ne voudrions porter, sur François Mauriac et son époque, un regard nostalgique et stérile) : réfléchir et créer, n’est-ce pas une bien belle façon de considérer l’avenir, avec un vrai regard d’espoir?
Marie-Line Jacquet (France)

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FRANÇOIS MAURIAC : 
réception et traductions de l’œuvre

Inspiré par deux textes de l’écrivain et éditeur (Éditions Salvator, Paris) Marc Leboucher, ainsi que par un entretien avec ce dernier, cet article exprime une interrogation sur la façon dont l’œuvre de François Mauriac peut être perçue aujourd’hui. Il est suivi par une méditation de Georges Simon, puis par deux études concernant les traductions qui ont permis de connaître ses romans au niveau international, en Ukraine pour le premier, en Italie pour le second.

Pourquoi redécouvrir François Mauriac, à notre époque?
par Marie-Line Jacquet

Les œuvres littéraires qui nous tiennent vraiment à cœur se parent de significations différentes, j’en suis persuadée, selon les périodes de notre existence où nous les lisons ou les relisons. C’est ainsi que, tout récemment, la lecture ou la relecture de certains textes de François Mauriac a représenté pour moi une véritable révélation.
 De fait, jusqu’à présent, même si je me passionnais pour les problématiques liées à la littérature et à la spiritualité, les romans de ce dernier me semblaient ressortir à un univers un peu étriqué, sombre, étouffant, marqué par le péché, la culpabilité.
Cette vision bien évidemment fausse s’expliquerait-elle par les clichés véhiculés dans certains manuels de littérature, voire certains enseignements oraux? Toujours est-il qu’elle m’a fourni, au mois de juin dernier, le sujet d’un entretien avec Marc Leboucher, écrivain et éditeur aux éditions Salvator, auteur de deux textes inspirés par l’auteur : une Lettre à François Mauriac, parue dans un ouvrage collectif intitulé La Procure, cent ans de partage (conçu et édité par la librairie La Procure en 2018) et un chapitre consacré à l’écrivain dans l’essai Le Souffle et le Roseauvariations sur la fragilité, publié en 2017 aux éditions Salvator.
Lorsque j’ai demandé, à Marc Leboucher, pourquoi on fait si peu référence aujourd’hui (en dehors des cercles universitaires) à l’œuvre de F. Mauriac, et pourquoi les auteurs de ce début du vingt et unième siècle se montrent plutôt indifférents à ses créations, il m’a répondu que le fait pouvait s’expliquer par l’existence de deux obstacles : l’image de la sexualité transmise par le romancier d’une part, et d’autre part, la subtilité d’une langue pouvant sembler difficile à certains (non pas à cause d’une incompétence supposée des lecteurs, mais de l’évolution normale de la langue). 
En ce qui concerne le premier domaine, la question des relations sexuelles hors mariage, dans les œuvres du romancier, génère des tourments pour bien des personnages (les jeunes hommes notamment), ce qu’on peut juger très «daté», bien sûr. «En mai 1968, écrit Marc Leboucher, dans un paragraphe qui correspond très bien à la façon dont j’ai pu appréhender moi-même l’univers mauriacien, la vieille société a vacillé […]. Vraiment, que faire de F. Mauriac dans un monde qui découvre en même temps les délices de la consommation, des loisirs et de la contestation de l’ordre établi? […] Le romancier qui a su si bien parler du mal au cœur de l’homme […] se voit à son tour diabolisé. F. Mauriac le père-la-pudeur, le moraliste étroit qui a refusé d’applaudir la libéralisation des mœurs […] Son univers romanesque apparaît marqué pour toujours d’une image négative, terrible. Univers fermé et mesquin, théâtre d’ombres où règnent de tortueuses figures dominées par l’appât du gain et la frustration sexuelle, telle est l’idée caricaturale qu’on se fait de ses œuvres.»[1]
Or, si j’ai longtemps été persuadée que «le péché de la chair» constituait le problème le plus important pour la plupart des personnages créés par notre auteur, je me suis aperçue, en lisant avec attention, qu’il n’en est rien. La passion de l’argent (le moins qu’on puisse dire, c’est que cette problématique demeure aujourd’hui très vivace!) et l’hypocrisie religieuse jouent un rôle bien plus important. En fait, ce dont traitent avant tout ces récits, c’est de la solitude et du manque d’amour, question ô combien universelle! Ces maux dont souffrent tant d’êtres, F. Mauriac les analyse avec une précision souvent cruelle. 
Dans sa Lettre à François Mauriac, Marc Leboucher écrit, à ce sujet, les commentaires suivants : «On ne lit plus guère de nos jours certains d’entre eux [de vos écrits] et c’est un tort. Dieu merci, on les remet parfois en avant. […] Pour ma part, j’ai relu votre Désert de l’amour […]. À lui seul, le titre du roman est déjà tout un programme qui désigne l’impossible passion d’un père et de son fils pour la même femme. Il décrit une atmosphère brûlante, toujours perceptible […] Je [cite] à nouveau : “l’été qui vient alors fut celui où Raymond Courrèges eut dix-sept ans. Il se le rappelle torride, sans eau, et tel que depuis nul autre n’accabla de ce ciel intolérable la ville pierreuse. Et pourtant il se souvient de ces étés à Bordeaux, que des collines défendent contre les vents du nord et qu’assiègent jusqu’à ses portes les pins et le sable où la chaleur se concentre, s’accumule…” Comment mieux dire la brûlure de l’adolescence et d’un amour sans issue?»[2]

À cause de ma perception erronée de l’œuvre, j’avais tendance à m’intéresser davantage aux écrits de Georges Bernanos, qui me semblaient porteurs d’un message plus universel. On se souvient de ces pages du début du Journal d’un curé de campagne où le péché est indissolublement lié à l’ennui…
Lors de mon entretien avec Marc Leboucher, ce dernier a souligné que l’univers de G. Bernanos est tout de même bien sombre, alors que celui de F. Mauriac déborde de sensations, de goûts divers et de parfums, liés à l’enracinement dans un terroir aimé : le vin, la bonne chère, les jardins et les fleurs y ont leur importance (est-ce lié au fait que F. Mauriac était aussi, selon Marc Leboucher, un «grand bourgeois», chose qu’on n’a pas manqué non plus de lui reprocher?)
Je dois avouer, en effet, que les frémissements de la nature (parfums et sons, notamment) illuminent bien des passages! À les parcourir, on peut ressentir l’envie immédiate de partir en vacances pour séjourner dans l’une de ces vieilles demeures de province, si riches en vibrations secrètes…
Pour en revenir à G. Bernanos, Marc Leboucher se demande ce que pourrait penser un jeune aspirant prêtre d’aujourd’hui à la lecture, justement, d’un roman tel que le Journal d’un curé de campagne… Chez ce romancier, l’expérience chrétienne paraît indissolublement liée à la souffrance.
Il me semble cependant que c’est le cas aussi dans certains romans de F. Mauriac. Le «Xavier» de L’Agneau rappelle d’ailleurs le jeune prêtre du Journal d’un curé de campagne et d’aucuns pourraient peut-être reprocher à F. F. Mauriac de se complaire dans un certain dolorisme (caractéristique, dira-t-on, d’un catholicisme bigot et sans joie), puisque parmi ses personnages, les êtres les plus proches de Dieu ne se voient pas seulement accablés par l’incompréhension, l’indifférence, la cruauté d’autrui, mais aussi par leurs questionnements et leurs tourments intimes. (Notons que ces personnages ne sont jamais présentés comme des modèles à suivre, pas plus que ceux de G. Bernanos, d’ailleurs!) 
On peut remarquer également que F. Mauriac dispose, comme Dostoïevski, d’un don singulier pour adopter le point de vue des «méchants» : aucune mièvrerie dans son christianisme, même si, contrairement au grand romancier russe ou à G. Bernanos, il conduit au salut (au sens vraiment chrétien du terme) les plus désespérées de certaines de ses créatures. L’évocation de ces «méchants» n’est peut-être pas étrangère au côté incisif et ironique (oui, La Pharisienne et Le Nœud de Vipères, notamment, comportent des passages drôles, même s’il s’agit, évidemment, d’un humour quelque peu grinçant) de son style (une ironie qui pourrait faire songer au cinéaste Claude Chabrol [curieusement, peu de gens penseraient, de nos jours, à reprocher à Claude Chabrol une vision trop étriquée de la vie en province!])
Pourtant, malgré cette séduction, les difficultés de la langue peuvent aussi, toujours selon Marc Leboucher, empêcher de comprendre son univers. Pour certains lecteurs, son style remarquable, si apte à scruter toutes les profondeurs humaines, peut paraître écrasant, comme si la personnalité de l’auteur s’imposait à chaque page. C’est tout autant le cas, d’ailleurs, dans les romans de G. Bernanos : c’est pour cette raison (entre autres) que les romanciers de la seconde moitié du vingtième siècle ont voulu «libérer» leurs personnages d’un «fardeau» supposé trop lourd!
Cependant, à y regarder de plus près, F. Mauriac prend aussi bien des précautions pour remédier à ce caractère quelque peu «invasif», comme s’il voulait compenser le poids de sa personnalité en renonçant à l’omniscience. Dans La Pharisienne, par exemple, il multiplie les points de vue. Son narrateur recourt souvent à des extraits de lettres, à des bribes de récits rapportés par des personnages secondaires, pour éviter d’imposer son propre regard (ces procédés contribuent aussi à la densité romanesque d’une œuvre proprement envoûtante, où l’on trouve des amitiés et des amours adolescentes, des fugues, des adultères, des trahisons…) 
Il en est de même à la fin du Nœud de vipères, où différents membres de la famille du narrateur principal, Louis, livrent leur point de vue sur ce dernier. Évidemment, le style de ces écrits demeure très soutenu (même quand leurs auteurs ne sont guère censés briller par leur intelligence, selon Louis)… De fait, bon nombre des techniques employées par le romancier se révèlent bien plus variées et «modernes» qu’on pourrait le croire… Certes, on est loin des romans anglo-saxons ou américains de l’entre-deux-guerres, dont les auteurs utilisent le monologue intérieur pour reproduire en toute liberté les flux de conscience de personnages parfois frustes. F. Mauriac se situe dans une tradition résolument française (tout à fait estimable, d’ailleurs), mais ces qualités n’ont pas empêché, en son temps, de très fortes réserves.
Dans ses écrits, Marc Leboucher rappelle en effet que l’œuvre était très contestée, de sorte que l’auteur lui paraît marqué, en tant qu’homme et écrivain, par une émouvante fragilité. Dans le chapitre qui lui est consacré dans Le Souffle et le roseau, il rappelle que F. Mauriac attirait, de son vivant, bon nombre de critiques : «Principal reproche de leur part : les romans de Monsieur François Mauriac semblent se complaire dans la noirceur de l’âme humaine, dans la fange du péché et la décrivent avec une sorte de délectation malsaine. Contre une telle littérature qui n’a plus rien de pieux, les bien-pensants se déchaînent donc avec une allégresse non feinte : pourquoi ses fictions se plaisent-elles à tirer à boulets rouges sur la famille, une sainte invention chrétienne s’il en est, au lieu d’en défendre les grandes valeurs éternelles? Non content de recevoir les flèches d’un certain Jean-Paul Sartre, qui lui reprochera plus tard de se prendre pour Dieu en menant ses personnages vers le droit chemin — “Mais Dieu a du talent, Monsieur F. Mauriac n’en a pas” [sic] — l’écrivain subit les foudres de toute une bourgeoisie qui se sent visée en premier chef. Une classe plus soucieuse de son compte en banque que des valeurs évangéliques…» [3]
 Il se trouve que F. Mauriac était parfaitement conscient de cette problématique, ne se contentait pas de l’évacuer facilement, en souffrait même. En découvrant l’essai Dieu et Mammon, j’ai pu constater, d’ailleurs, qu’il y répond à une critique relevant de la même thématique, mais formulée par André Gide, à l’occasion de la sortie du roman Destins. Selon A. Gide, F. Mauriac témoignerait, à l’égard des ravages de la passion, d’une complaisance fort peu chrétienne (évidemment, A. Gide s’exprime d’une façon infiniment plus subtile [une malice assez jubilatoire, en fait] que je ne le fais : on ne peut guère le soupçonner de bigoterie et ce sont les contradictions internes du «maître» qu’il se plaît à évoquer). Cependant, toujours d’après A. Gide, un authentique romancier, s’il souhaite rendre compte de la complexité de l’existence, ne peut procéder autrement. Dès lors s’impose, pour F. Mauriac, la question suivante (la soulever correspond bien à l’intention de Gide) : pourquoi écrire des romans? Pourquoi se délecter de l’évocation des passions et des misères qu’elles engendrent, si Dieuapporte la guérison? D’après une note de Jacques Petit (dans l’édition de la Pléiade des œuvres complètes de F. Mauriac), ce n’est pas la question habituelle de la responsabilité de l’écrivain qui se pose ici (si l’on admet qu’une représentation trop complaisante du «mal» peut entraîner des lecteurs vers des chemins «dangereux»), mais celle du perfectionnement spirituel individuel : souffrir avec ses personnages (ce qui est presque inévitable pour un romancier), c’est s’éloigner de la paix divine (dont F. Mauriac connaissait la grâce, beaucoup de ses textes l’attestent!) Ce questionnement sous-jacent dans l’œuvre contribue sans doute à la fragilité dont Marc Leboucher fait l’éloge. De plus, il rejoint une inquiétude très contemporaine sur la nécessité (ou non) d’écrire, et la finalité (ou l’absence totale de sens) de la création littéraire.
De façon plus générale, selon Marc Leboucher, cette fragilité n’est pas sans rapport avec l’empathie et la largeur de vue dont témoignait le romancier : qualités qui contrastent avec les signes de rigidité manifestés, aujourd’hui même, par certains chrétiens plus soucieux de combat idéologique que de relation vivante avec la personne du Christ (certains romans «chrétiens» d’aujourd’hui, me dit mon interlocuteur, notamment ceux qui exploitent la veine «apocalyptique», présentent quelquefois une vision trop schématique de la lutte entre le bien et le mal). 
C’est ainsi qu’en 1955, note Marc Leboucher, F. Mauriac affirmait dans L’Express 

[…] nous avons assez de ce pharisaïsme qui jette sur la société laïque un discrédit sans nuance. Comme si les chrétiens étaient une race à part, une race élue qu’il faudrait préserver de la corruption […], mais aussi comme s’ils étaient plus faibles, plus démunis, comme si leur foi ne pouvait tenir le coup, comme si le moindre contact avec les philistins risquait de la réduire en poudre[4].

«Peu de chrétiens pratiquants pratiquent la torture? Mais il s’en est trouvé des milliers et des millions, sinon pour l’approuver, du moins pour la comprendre, pour l’excuser. Mais il s’en est trouvé des milliers et des millions, même parmi les dévots, pour mal se défendre de haïr ou de mépriser les juifs […], du moins pour les considérer en tant que juifs comme une race suspecte, et de même, trop souvent, les Arabes en tant qu’Arabes.»[5]
«Aujourd’hui, commente Marc Leboucher, avons-nous vraiment vaincu cette gangrène? Nous avons toujours besoin de ces voix cassées, fragiles, de ces “roseaux cassés” s’élevant contre la récurrence du mal.»[6]
Et l’écrivain de s’écrier, à la fin de sa Lettre… [7] : «Comme vous nous manquez, cher François Mauriac!», exclamation à laquelle nous ne pouvons que souscrire.
Marie-Line Jacquet (France)

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Dans le texte ci-dessous, Georges Simon s’interroge sur la quête de Dieu et de soi-même dans l’œuvre de François Mauriac

Mauriac à travers Mauriac : 
la quête de soi-même, une quête sans intermittences
par Georges Simon

 Préliminaire
 Avant de lire les livres de François Mauriac, excepté les titres traduits en roumain, j’ai eu la chance, il y a deux ans, de visiter Malagar. J’y ai trouvé un trésor : la maison, la bibliothèque, les manuscrits, le verger, la vigne, des indices autant que des secrets persistants, dans la mémoire, sur la voie sacrée de la création. À mon retour en Roumanie, j’ai médité une leçon inouïe, à la quête d’un écrivain consacré à la vocation de la connaissance de soi.
Motivation
L’expression choisie dans le titre, à travers, est très fréquente dans les pages des journaux ou des correspondances de Mauriac, quand il fait référence à une création ou à un auteur. On pourrait remarquer aussi les expressions utilisées pour mettre en évidence le sens d’une vérité incontestable : vrai, au vrai, à vrai dire, il est vrai, vraiment, la vérité. Celles-ci s’opposent à tout ce qui est faux/fausse, fausseté, faussement, fausser. En ce qui concerne la création de Mauriac, il n’y a pas d’alternative. Il exprime la certitude de Jésus Christ : Je suis la voie, la vérité et la vie
Parenté et filiation. À la quête du Père
 Rien n’est plus pur que l’enfance, éternelle enfance, de toute éternité, à l’image de l’éternité de Dieu dont la durée s’inscrit dans chaque âme. L’enfance est l’empreinte d’un visage irremplaçable, irréductible et irrécupérable. À la figure du père, personne ne peut se substituer. Dans la quête du père, pas simplement d’une paternité, dans la foule anonyme, le fils se trouve plus que seul, il se sent abandonné, quitté. La seule voie, pour se sauver, c’est de trouver une voie d’accès vers l’enfance, espace sacré, éternité vivante, dans les bras de sa mère, matrice de l’amour. Il existe une photo de famille, où François, à six ans, ressemble à l’image d’un Christ dans les bras de sa mère, Claire : 
Claire pose; ses enfants sont autour d’elle. Elle ne fixe pas l’objectif. Son visage amaigri paraît comme drapé d’une extrême fatigue. Tout contre elle prend place le petit François. L’enfant regarde droit devant, d’un regard sombre où semble pointer, comme un orage, une colère apatride. D’une main, sa mère le maintient, fermement, tandis que, de l’autre, presque timide, elle effleure le bras de son fils, comme on tenterait d’apaiser l’aile d’un oiseau blessé (Anne Duprez, Claire Mauriac, le roman d’une mère, p. 104-105). 
Certains titres indiquent la voie étroite d’un solitaire, toujours prêt à la rencontre inattendue de lui-même, surpris aux cimes d’une lumière inconnue. Du commencement jusqu’à la fin de sa vie, Mauriac observe et s’observe, il suit et se suit, avec un regard attentif, ayant toujours, comme points de repère, des indices cachés, obscurs, et mystérieux.
Connaître c’est re-naître. Le premier obstacle pour y parvenir, c’est la méconnaissance, les illusions, les apparences. Dès son enfance, Mauriac suit la ligne droite vers la vérité de la vie, comme une garantie qui nous protège contre les errances, les égarements de l’esprit, les éloignements, les intermittences du cœur, tous les excès, qui relèvent des apparences.
Sa première découverte c’est d’observer qu’il y a une nette distinction entre la nature de Rousseau et l’inhumain de la tragédie antique, entre le présent accablant et le passé récent, si séduisant. Bref, la mission d’un créateur c’est de discerner entre ce qui est éternel, l’Éternel Amour, et l’éphémère, le provisoire, le quotidien de tous les jours. Cette exigence va susciter un chroniqueur présent presque dans toutes les revues, qui donne le ton, avec un esprit de finesse et de sincérité. 
Cette distinction va permettre à l’homme, proie et victime, de ne pas confondre l’intérieur avec l’extérieur, le dedans avec le dehors. Se substituer au Créateur, c’est commettre un crime, c’est renverser l’ordre divin, qui est l’ordre établi. Dans toute son œuvre, Mauriac suit, sans interruption, sa voie qui s’ouvre et s’élargit, sans perdre de la vue les trois éléments inscrits dans notre destin : Le Créateur, la création et les créatures. Le mot de créature n’a rien de péjoratif, au contraire : il s’agit d’être soumis à son humanité.
L’Éternel Amour
Le principe qui nous conduit, c’est l’Amour, l’Amour du Sauveur, en tant que principe de la Création. En se sacrifiant, en se montrant dans toute sa puissance, le Fils unique va confirmer et couronner le don divin : la création. C’est là qu’on retrouve Mauriac, à la rencontre de lui-même, à travers tous les obstacles, toutes les barrières, toutes les apparences, dans une création comme expression de l’inattendu, de l’imprévisible, l’éclair qui fait fuir nos ténèbres et notre obscurité.
Mauriac apparaît comme un éternel enfant, qui se réveille un jour, en un instant, en dehors de soi, comme en dehors du temps, tout seul, émerveillé. Ce jour, c’est le jour de sa communion, qu’il a gardé et retenu, comme une étoile fixe autour de laquelle tourne sa vie : le 12 mai 1896. Être situé au centre, c’est de se retrouver seul, très loin des autres, éloignés sur bien d’autres routes, à la poursuite d’une quête sans arrêt.
L’Essence et l’apparence
L’acte d’écrire est un acte grave. François Mauriac franchit la ligne qui sépare ces deux verbes, paraître et apparaître, entre le vrai dedans et le dehors trompeur. 
L’Amour et la passion
 La mise à l’épreuve d’une âme, c’est l’amour, la plus lucide des passions. François Mauriac se souvient d’un dimanche de juin, à Port-Royal des Champs, où deux jeunes gens s’irritent de la foule envahissant la solitude. Assis dans l’herbe, quelques fervents écoutent un conférencier qui leur explique, avec beaucoup de feu et de finesse, l’homme selon saint Augustin. Sur le chemin de retour, il se rappelle la parole de ce saint espagnol, Jean de la Croix qui, un siècle avant Pascal, a prononcé ces paroles de feu : au soir de cette vie, vous serez jugés sur l’amour. (À la fin du jour, c’est sur l’amour qu’on vous examinera.) (Journal, p. 202-203)
Le voyageur, l’explorateur et le pèlerin
Interrogatif, François Mauriac s’interroge, comme autrefois Simon Pierre, sur sa destination, sur l’arrivée au Royaume du Père : Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle (Jn 6. 68) Jésus leur donne la réponse : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point (Mt 24. 35). Persuasif, Mauriac exprime son adhésion à ses compagnons de la petite voiequi a mené si loin et si haut Thérèse de l’Enfant-Jésus (Journal, p. 182). Les autres, les fidèles, luttent et succombent, se relèvent et retombent. Saints et pécheurs crient, dans leurs moments de doute et d’angoisse, ils croient et ont confiance dans Le Verbe qui se fait chair, sur la croix, pour achever l’œuvre d’Amour de Dieu, qui sacrifie son Fils unique en vue d’accomplir la promesse.
Les Indices, les repères et les parenthèses
 Ce qui est remarquable et très personnel, dans toutes les pages, ce sont les parenthèses. Ici, on trouve le vrai visage de Mauriac. Ses pensées, ses hésitations, ses doutes ou ses certitudes, sont des reflets de son monde intérieur, de ses arrêts, ses réflexions, ses illuminations, ses inspirations subites. 
Conclusion
François Mauriac est un auteur consacré, un chrétien qui se tournait vers son enfance, suivant sa voie et écoutant son timbre. Il nous invite à arracher les apparences qui pourraient nous tromper. C’est un écrivain convaincu que l’amour vrai n’est pas aveugle. Le véritable amour est lucide et déteste de se faire illusion(Journal, p.584). Si l’amour est aveugle, c’est que je n’ai jamais aimé, car je ne me serai attaché à rien ni à personne, au cours de ma vie. Ce qui le frappe c’est le manque de discernement d’auteurs provocateurs, qui nous terrorisent par la cruauté (Dieu est mort; au-delà du bien et du mal [Nietzsche]). Or, si Dieu n’existe pas, tout est permis (Dostoïevski) et sans Dieu, la littérature n’a aucun sens, aucune importance (Eugène Ionesco). 
François Mauriac n’est pas du tout un sceptique ni un conservateur. Il est plutôt déçu de constater que l’art qui n’exprime pas des vertus cachées, un mystère indicible, risque de rester à la surface et de ne nous offrir que des apparences. Souvent, Les faiseurs de romans, les prosateurs ne sont pas capables de nous donner une image authentique de la nature humaine. Il nous reste les cris inaudibles et les larmes invisibles, devant la souffrance du Christ sur la croix, de ceux qui préfèrent rester spectateurs au lieu de contribuer à cette douleur inhumaine, destinée à se perpétuer, jusqu’à la fin, dans l’agonie du Verbe. 

Bibliographie

François Mauriac, Le Fils de l’homme, Paris, Grasset, 1958.
François Mauriac, L’Agneau, Préface, notes, bibliographie et chronologie par François Durand, Paris, Flammarion ,1985.
François Mauriac, Vie de Jésus, Paris, Flammarion, 1999.
François Mauriac, Journal. Mémoires politiques, édition établie et présentée, par Jean-Luc Barré; édition du Journal, par Jean Touzot; édition du Le Bâillon dénoué et des Mémoires politiques, par Laurence Granger, Paris, Éditions Robert Laffont, 2008.
François Mauriac, Correspondance intime. 1898-juillet 1970, édition établie, réunie et présentée par Caroline Mauriac, Paris, Éditions Robert Laffont, 2012.
Anne Duprez, Claire Mauriac, le Roman d’une Mère, Bordeaux, Éditions Le Festin, 2015.

Georges Simon (Roumanie)

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Les deux articles suivants concernent la traduction en ukrainien (Galyna Dranenko) et en italien (Patrizia Prati) de certains romans et essais de François Mauriac




Mauriac en ukrainien
par Galyna Dranenko

Les premières traductions ukrainiennes des œuvres de François Mauriac paraissent à Lviv (aliasLemberg, ville située en Pologne dans l’entre-deux-guerres). En effet, avant 1939, date du rattachement de l’Ukraine de l’Ouest à l’URSS, l’usage de la langue ukrainienne était répandu dans plusieurs pays. Avant le début de la Première Guerre mondiale, le territoire de ce qui constitue l’Ukraine contemporaine était réparti entre l’Autriche-Hongrie (pour les provinces de Galicie et de Bucovine) et la Russie (pour la plus grande partie du territoire). À nouveau, après la guerre, entre 1921 et 1939, l’Ukraine a été partagée cette fois entre l’URSS, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie. Dans chacune de ces contrées, les intellectuels ukrainiens livraient un véritable combat, non seulement pour que survivent leur culture et leur langue, mais aussi pour que leur littérature, qui encourait le risque d’être marginalisée, se développe et évolue à l’aune de la littérature européenne. La traduction jouait un rôle essentiel dans un tel projet. En effet, pour une telle population colonisée, la traduction constitue un geste vital d’ouverture sur le monde et de résistance de la langue nationale.
Le lecteur ukrainophone prend connaissance des textes de François Mauriac à partir de l’année 1932, quand un extrait de cinq pages de son roman Le Nœud de vipères est publié dans la revue «Dzvony» («Les Cloches», n° 11). Cette revue catholique paraissait à Lviv, en 1931-1939, et publiait des textes littéraires et de vulgarisation scientifique. L’auteur de la traduction, I. Tcherkavskyi, était un prêtre. Dans la même revue, en 1934, un autre texte de François Mauriac est publié : un extrait de sept pages de Ce qui était perdu, intitulé «Retour à Dieu». Il faut indiquer que ce texte mauriacien n’avait pas encore été traduit en russe, à la différence de toutes les autres œuvres de l’écrivain français traduites en ukrainien. La traduction ukrainienne de Ce qui était perdu est signée par Petro Isaïv, rédacteur en chef de la revue. Historien, journaliste et éditeur, Petro Isaïv (1905-1973) est né près de Kolomyya, en Galicie, dans la famille d’un prêtre uniate. Il fait ses études à Stanislaviv (aujourd’hui, Ivano-Frankivsk), puis à Lviv, où il obtient son doctorat en philosophie et en histoire (1931). Sa thèse est consacrée aux croisades religieuses au Moyen Âge. Après avoir fait ses études, il enseigne dans divers «gymnasiums» — terme utilisé en langue allemande pour «lycée» — de Lviv, rédige des articles sur l’histoire de l’Ukraine et le christianisme, dirige la revue «Les Cloches». Après la guerre, pour fuir le régime soviétique, il émigre en Allemagne, puis en 1949, aux États-Unis, où il continue ses activités d’historien, d’éditeur et de journaliste. L’un des objectifs de sa revue «Les Cloches» est de favoriser et d’entreprendre la traduction d’œuvres littéraires étrangères en ukrainien. À part le texte mauriacien mentionné ici, Petro Isaïv a traduit en ukrainien un extrait du Roman de Ponce Pilate de Maurice Laurentin.
La revue «Les Cloches» (n° 4 et 5) propose également à ses lecteurs, en 1937, deux extraits de Vie de Jésus, intitulés «Judas» et «Après la résurrection» (Chapitre 12 du livre Vie de Jésus»), neuf pages en tout, le traducteur étant anonyme). Un autre extrait du même récit de François Mauriac a été publié en ukrainien, un an plus tôt, dans le quotidien lvivien «Oukraïns’ki visti» («Nouvelles ukrainiennes», du 12 avril de 1936). Son traducteur, Oles’ Babiy (1897-1875), est connu principalement comme auteur de l’hymne de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (1932). Cet écrivain et critique littéraire ukrainien, originaire d’un village de Galicie (soit, aujourd’hui, la région d’Ivano-Frankivsk), fait ses études à Lviv. Mobilisé lors de la Première Guerre mondiale, il combat dans plusieurs armées et finalement est fait prisonnier par les Polonais. De retour à Lviv, dans les années 1920, il participe à la création d’un groupe littéraire de poètes symbolistes. Entre temps, il obtient un doctorat en littérature, à Prague. Auteur de plusieurs recueils poétiques, il mène une lutte politique intense tout en poursuivant ses activités littéraires régulières. Aussi, en 1932, est-il arrêté et condamné par les autorités polonaises à quatre ans de prison. Après sa remise en liberté, il travaille comme inspecteur des écoles et comme enseignant dans un gymnasium. En 1944, suite à l’arrivée de l’Armée Rouge en Ukraine occidentale, il émigre, d’abord en Allemagne, puis aux États-Unis. En exil, il continue ses activités littéraires et journalistiques. On peut supposer qu’Oles’ Babiy a traduit la Vie de Jésusdans la cellule où il avait auparavant composé sa célèbre «Marche des nationalistes». Car le texte de Mauriac est édité précisément au moment où il sort de sa prison polonaise, en 1936. En effet, durant les années 1936-1938, son activité de traducteur est intense; ses traductions sont publiées dans le journal «Nouvelles ukrainiennes». Pour ne citer que celles qui sont réalisées du français en ukrainien, mentionnons une nouvelle de Charles Vildrac, trois nouvelles de Guy de Maupassant, deux nouvelles de Prosper Mérimée et un extrait d’un roman d’Anatole France.
Une autre personnalité de la culture ukrainienne a été attirée par les textes de l’écrivain français : Svyatoslav Hordyns’kyi. Ce poète est l’unique traducteur des poèmes de Mauriac en ukrainien. En 1934, il fait paraître les versions ukrainiennes de deux poèmes mauriaciens dans la revue «Nazoustritch» («À la rencontre»). Précisons que ce périodique bimensuel, édité à Lviv entre 1934 et 1938, peut être considéré comme un ouvrage de référence, une sorte d’encyclopédie inédite de la vie culturelle et artistique de l’Ukraine occidentale. Il a ressemblé sous son égide les plus grands représentants des lettres ukrainiennes qui ont vécu hors de l’URSS. Svyatoslav Hordyns’kyi traduit donc en ukrainien les poèmes Marsyas ou la Grâce(1922, tiré de la revue Intentions, n° 6) et Ta robe (1921, tiré des «Écrits nouveaux»)[8]. La traduction de ce deuxième poème est rééditée sous son titre original Le Corps fait arbre à plusieurs reprises, dans les recueils de poèmes et de traductions de Svyatoslav Hordyns’kyi (en 1961 et en 1989, à New York). Car ce poète est un traducteur reconnu de la poésie classique européenne. Parmi les auteurs français qu’il a traduits, on peut citer François Villon, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Anna de Noailles, Apollinaire, Edmond de Goncourt, etc. Incontestablement, Svyatoslav Hordyns’kyi (1906-1993) a mille talents : il est peintre, poète, traducteur et journaliste ukrainien. Il est né dans la famille d’un professeur, qui enseignait dans un gymnasium classique de Lviv et qui était un critique littéraire connu. Il fait ses études dans différentes écoles d’art, à Lviv, à Berlin et à Paris. C’est dans ces villes qu’il obtient ses premiers succès comme peintre (par exemple, il expose ses œuvres au Grand-Palais), et qu’il trouve l’occasion de perfectionner sa connaissance des langues. De 1931 à 1944, il habite à Lviv, où il fonde l’Association des artistes ukrainiens indépendants et la revue «Art». Lors de son exil aux États-Unis, il continue son travail d’artiste et de promoteur de la culture ukrainienne.
Cependant, il faut noter que la plupart des traductions en ukrainien des œuvres de François Mauriac voient le jour en Ukraine soviétique, mais beaucoup plus tard qu’en Galicie. Nous soulignerons que le début de la reconnaissance et du succès littéraires de Mauriac en URSS coïncide avec les répressions organisées par le régime stalinien, dans les années 1930, contre les élites intellectuelles ukrainiennes et plus particulièrement, contre les hommes et les femmes de lettres. Ce n’est pas par hasard que cette génération d’écrivains est appelée la «Renaissance fusillée». Pour ces auteurs, dont les œuvres sont interdites à la publication, la traduction est une planche de salut, car elle leur permet de gagner leur vie quand ils arrivent à les publier avant d’être déportés et exterminés dans les îles Solovki. Certaines de leurs traductions sont encore rééditées encore aujourd’hui. Mais nombreux sont les écrivains qui n’ont pas eu la possibilité de publier leurs textes; et, de ce fait, leurs traductions sont tombées dans l’oubli, sinon perdues à jamais. Tel est le cas de la traduction du texte mauriacien Un homme de lettres entreprise par Arkadiy Lubtchenko (1899-1945) vers la fin des années 1920. Ce texte reste aujourd’hui introuvable.
La traduction et la publication en ukrainien, dans le cadre de l’URSS, des œuvres de François Mauriac n’est entreprise qu’en 1967, à Kyïv. Il s’agit d’abord de Thérèse Desqueyroux, roman traduit par Stepane Pintchouk. Deux autres ouvrages, parus en Ukraine soviétique, entreprennent de diffuser des textes mauriaciens : le premier est un recueil d’œuvres de François Mauriac (Kyïv, Dnipro, 1980) qui contient des traductions inédites des romans Le Nœud de vipères et Les Chemins de la mer (signées par Dmytro Palamartchouk); le second recueil (Lviv, Éditions de l’Université de Lviv «École supérieure», 1986) est plus volumineux, car il rassemble toutes les traductions ukrainiennes disponibles de Mauriac (Thérèse Desqueyroux, Le Nœud de vipères et Les Chemins de la mer). Ces trois ouvrages n’ont connu qu’une seule édition, et leur tirage cumulé se monte à 295000 exemplaires. Cette quantité semble importante à première vue, mais elle est évidemment bien inférieure à celle des tirages des œuvres de Mauriac en russe (langue lue par tous les citoyens soviétiques); par exemple, le recueil de romans mauriaciens intitulé «Le Chemin vers nulle part» (Moscou, Pravda, 1989) est publié à 500000 exemplaires… un demi-million!
De nouvelles traductions ukrainiennes voient le jour à l’époque postsoviétique. En 1994, un recueil des œuvres mauriaciennes regroupe Le Baiser au lépreux, Le Sagouin, L’Agneau et Un adolescent d’autrefois (tous traduits par Anatole Perepadya)Les autres traductions ukrainiennes inédites concernent des textes de François Mauriac consacrés à des thématiques spécifiquement religieuses, et plus particulièrement à la religion catholique. Ainsi, les éditions de l’Académie Kyïv-Mohyla («L’Esprit et la Lettre», 1993) publient Ce que je crois, traduit en russe et en ukrainien par Anatoliy Sytnyk, un spécialiste du patrimoine architectural ukrainien, qui a traduit également un texte de DerridaLa même maison d’édition, en 2009, publie une traduction inédite de la Vie de Jésus, effectuée par Halyna Tcherniyenko. Rappelons que, en 1994, la traduction de ce texte de Mauriac avait déjà été réalisée par Yarema Kravets’ et publiée à Lviv, chez «Kameniar». 
Galyna Dranenko (Tchernivtsi, Ukraine)


Les traductions italiennes de Thérèse Desqueyroux de François Mauriac
par Patrizia Prati

Une traduction littéraire, ainsi que le texte original, est une œuvre unique de son espèce, avec la seule différence qu’elle ne part pas de rien, mais doit être fidèle à un autre texte. En fait, respecter le texte source ne signifie pas reproduire quelque chose qui existe déjà, mais créer une nouvelle œuvre qui enrichit le polysystème littéraire et culturel mondial, en donnant la possibilité à ceux qui ne connaissent pas la langue du texte original d’entrer en contact avec la littérature d’une culture différente. En ce sens, le traducteur est l’écrivain du lecteur de la langue cible et, comme tous les écrivains, il est le créateur d’une ποίησιςirremplaçable et à nulle autre pareille.
Dans le vaste panorama des traductions littéraires, il y en a deux qui ont contribué à la diffusion de l’œuvre de François Mauriac. Il s’agit des deux versions italiennes du roman Thérèse Desqueyroux : la première, publiée en 1935, réalisée par le traducteur Enrico Piceni, et la deuxième, publiée en 2009, réalisée par la traductrice triestine Laura Frausin Guarino. 
Nées dans des époques éloignées et distinctes, les deux Thérèse italiennes reflètent leur contexte linguistique et culturel : la première incarne le lexique et la syntaxe propres au style littéraire de l’univers historique et social de l’Italie de l’époque fasciste, la deuxième se distingue par l’utilisation d’un lexique contemporain et d’une syntaxe plus libre; même si les deux versions coïncident en ce qui concerne le lexique, les Thérèse italiennes sont très différentes l’une de l’autre.
Ce que je me propose de faire dans ce petit texte est l’analyse de quelques solutions proposées par les deux traducteurs. 
Avant de comparer les textes italiens, même si cela ne semble pas nécessaire dans le contexte de cette revue, du fait que les lecteurs connaissent très bien l’œuvre de François Mauriac, je donnerai quelques informations sur le roman et un bref résumé de l’histoire.
Publié en 1927, Thérèse Desqueyroux est le roman le plus connu de François Mauriac. Il s’agit d’une œuvre brève et dense dans laquelle Mauriac utilise une écriture claire et sensible et une technique romanesque singulière. Grâce à deux adaptations au cinéma, l’une en 1962, par Georges Franju et l’autre en 2012 par Claude Miller (et à de nombreuses traductions dans différentes langues), le roman a acquis une renommée internationale. Selon Jean Touzot :

«Thérèse Desqueyroux est un roman écrit à la troisième personne, où le narrateur voit tantôt “par-derrière”, tantôt “avec” l’héroïne. Ce dernier point de vue est dominant, mais même lorsque la coupable se confesse, on pénètre avec le narrateur omniscient dans d’autres consciences […] Le narrateur, enfin, impose son point de vue personnel, moralisateur et totalitaire, dans de brèves pauses, où il interrompt le récit pour commenter telle attitude ou tel événement.»

Pour créer son personnage, Mauriac s’inspire de l’histoire d’Henriette Canaby, l’auteur ayant assisté au procès.
Thérèse est une femme intelligente et émancipée, prisonnière, dans la cage d’Argelouse, d’une société très restreinte qui impose des limites fondées sur des conventions sociales, où les mariages sont arrangés par les familles, et où la condition des femmes se résume à celle d’épouse et de mère. Dans ce contexte, Thérèse Larroque devient Mme Desqueyroux, femme d’un homme ordinaire, écrasé par le poids des intérêts familiaux, dont la seule préoccupation est celle d’obéir aux convenances sociales. 
Le jour des noces «Elle était entrée somnambule dans la cage et, au fracas de la lourde porte refermée, soudain la misérable enfant se réveillait».           
Comme Henriette, Thérèse est accusée d’avoir empoisonné son mari. Cependant, la culpabilité de Thérèse est remise en question et son mari retire la plainte afin de ne pas souiller le nom de la famille. 
À la fin du roman seulement, Bernard Desqueyroux libérera sa femme du joug de son mariage et Thérèse «ayant gagné la rue, marcha au hasard». Cependant, comme lui-même l’affirme dans ses écrits, Mauriac est incapable de donner une vraie liberté à son héroïne. En fait, après la création de Thérèse, l’écrivain français continue à développer la personnalité de sa protagoniste qui deviendra le «cauchemar» de ses efforts littéraires.
Effectivement, la fin du roman est ambiguë : en s’éloignant au hasard et en retournant à sa solitude, Thérèse continue d’être une femme perdue, encore emprisonnée par sa nature impulsive et blessée, s’avançant vers un destin inconnu.
Faire une analyse détaillée des traductions italiennes dépasserait excessivement les limites de ce travail. Par conséquent, on prendra en considération la comparaison de deux unités linguistiques :
- une expression idiomatique : les carottes sont cuites.
- et une locution verbale : Thérèse en aura le cœur net.

Les carottes sont cuites.
Dans le premier chapitre, à la sortie du Palais de justice où un non-lieu a été prononcé quant à la culpabilité de Thérèse, pendant la discussion entre le père de Thérèse et l’avocat, ce dernier rassure son interlocuteur en utilisant l’expression idiomatique les carottes sont cuites :

«Il ne peut plus y avoir de surprise?
- Non : les carottes sont cuites, comme on dit.
- Après la déposition de mon gendre, c’était couru.»

L’expression remonte au XVIIIsiècle où avoir ses carottes cuites signifiait être mourant, comme métaphore par rapport aux plats de viande toujours accompagnés par des carottes cuites; c’est-à-dire que le mourant était prêt à être mangé avec les carottes. À partir de ce moment, l’expression s’utilise pour désigner des situations sans espoir. 
En fait, l’avocat utilise cette expression pour dire qu’il n’y aura plus de surprises parce que l’affaire est définitivement classée. En outre, pour terminer son intervention, l’avocat ajoute comme on dit, affirmation qui accompagne souvent un idiotisme dont le sens est caché dans la phrase. 
En italien, cette expression n’existe pas. En fait, quand on dit le carote sono cotte on fait référence seulement à des légumes prêts à être mangés au sens propre du terme.
Par conséquent, le traducteur a deux possibilités : traduire librement, en sortant de la cage linguistique de l’idiotisme, ou utiliser une autre expression avec la même signification que l’originale.
Les deux traductions italiennes donnent des solutions très différentes l’une de l’autre.
Piceni, le traducteur de la version de 1935, utilise la phrase la torta è fatta, qu’en français on pourrait traduire comme le gâteau est fait :

«Non ci sono possibili sorprese?
- No : la torta è fatta, come si dice.
 - Già : dopo la deposizione di mio genero, la cosa era certa».

Il se peut que Piceni ait pensé à l’expression fare la torta (faire le gâteau), qu’on utilise pour évoquer un partage de bénéfices et d’avantages généralement illégaux, en exploitant une situation confuse dont il est difficile d’identifier les responsables. L’allusion concerne des ingrédients qui, une fois mélangés, sont impossibles à distinguer. Cela convient bien même si la solution proposée par Piceni présente des nuances de sens un peu différentes de l’original : il est indubitable que la présence du mot torta dans l’expression permet de rester dans le même champ sémantique que le mot carottes.
Totalement différente est la solution proposée par Frausin Guarino qui utilise la traduction littérale d’un idiotisme français : les jeux sont faits (i giochi sono fatti), phrase que prononce le croupier dans le jeu de la roulette, accompagnée de l’expression rien ne va plus, pour annoncer aux joueurs que le temps de mise est terminé :

«Ci può essere ancora qualche sorpresa ?
- No : i giochi sono fatti, come si dice.
- Dopo la deposizione di mio genero era logico».

L’expression les jeux sont faits est entrée, comme gallicisme, dans le langage commun italien. Par conséquent, on l’utilise en français et on la trouve rarement traduite. Cependant, la phrase italienne s’intègre très bien dans le contexte du dialogue entre les deux hommes.
Il est intéressant de remarquer que les deux traducteurs terminent l’intervention de l’avocat avec l’affirmation come si dice, traduction littérale de comme on dit, qui s’utilise pour souligner une expression dont tout le monde connaît le sens. Néanmoins, alors que les carottes sont cuites est une authentique expression idiomatique de la langue française, la torta è fatta et i giochi sono fatti sont des phrases dont le sens se comprend seulement dans leur contexte linguistique.

Thérèse en aura le cœur net.
Après le voyage en train pendant lequel Thérèse évoque son passé (chapitres 2-8), la narration reprend son fil chronologique. Thérèse, après le non-lieu, devra obéir aux ordres de Bernard quant à sa vie et à la vie future de la famille. Quand elle demeure seule, épuisée, elle pense à une preuve de culpabilité que Bernard prétend détenir. Elle suppose qu’il a découvert le poison dans la poche de la vieille pèlerine. C’est à ce moment de la narration, dans le dixième chapitre, qu’on trouve la locution verbale Thérèse en aura le cœur net : pour n’avoir aucun doute, elle va chercher le flacon de poison qu’elle avait gardé dans la poche de la vieille pèlerine et après l’avoir trouvésonge à se suicider. Selon l’Internaute, le sens de la locution en avoir le cœur net est : savoir à quoi s’en tenir, et son origine est la suivante : dans la langue française, le «cœur» a toujours symbolisé le siège des états d’âme et des pressentiments. «En avoir le cœur net» signifie donc : savoir clairement à quoi s’en tenir, ne plus se faire d’idées.
La traduction littérale de Thérèse en aura le cœur net est Teresa ne avrà il cuore pulito, mais en italien, cela ne signifie rien. C’est pour cette raison que, comme dans l’expression idiomatique précédemment citée, le traducteur devra traduire librement en conservant le sens original.
Voici donc les traductions italiennes : Piceni traduit Teresa vuol sapere et Frausin Guarino traduit Thérèse si toglierà il dubbio. Les deux versions sont libres et totalement différentes l’une de l’autre. En outre, il se pourrait que Piceni préfère le présent pour créer une sorte de suspense.
À propos de la ponctuation, il est intéressant d’observer que Frausin Guarino conserve la même que l’originale et que Piceni ajoute des virgules, peut-être pour souligner le suspense.
Ci-dessous, voilà les trois versions, l’original et les deux traductions :
Thérèse en aura le cœur net. Elle s’engage à tâtons dans l’escalier. À mesure qu’elle monte, elle y voit plus clair à cause de l’aube qui, là-haut, éclaire les vitres. (Mauriac)
Teresa vuol sapere. Esce a tentoni, sulle scale. Man mano che sale, ci vede meglio, perché la luce dell’alba, lassù, imbianca i vetri. (Piceni)
Thérèse si toglierà il dubbio. Si avvia per le scale muovendosi a tentoni. A mano a mano che sale, ci vede meglio per via dell’alba che, lassù, già rischiara i vetri delle finestre. (Frausin Guarino)
Les exemples ici analysés constituent seulement un petit extrait d’une analyse plus approfondie que je me propose d’effectuer dans un avenir proche.
Je tiens à remercier sincèrement Marie-Cécile Schroeter pour l’extraordinaire gentillesse avec laquelle elle a accepté de lire et corriger mon texte.

Bibliographie

Mauriac, François, I due romanzi di Thérèse Desqueyroux, traduction de Enrico Piceni, Milano, Mondadori, 1935, p. 9-122.
Mauriac, François, Thérèse Desqueyroux, traduction de Laura Frausin Guarino, Milano, Adelphi, 2009.
Jean Touzot, «Technique romanesque», en Mauriac, François, Thérèse Desqueyroux, Paris, Librairie Générale Française, 1989, p. 158.
Mauriac, François, Thérèse Desqueyroux, Paris, Librairie Générale Française, 1989, nota 1, p. 39.
Mauriac, François, Thérèse Desqueyroux, Paris, Librairie Générale Française, 1989, p. 49.
Mauriac, François, Thérèse Desqueyroux, Paris, Librairie Générale Française, 1989, p. 148.
Mauriac, François, Thérèse DesqueyrouxThérèse chez le docteurThérèse à l’hôtelLa fin de la nuit, Paris, Grasset, 1956.
Mauriac, François, Thérèse Desqueyroux, Paris, Librairie Générale Française, 1989, p. 23.
Mauriac, François, Thérèse Desqueyroux, Paris, Librairie Générale Française, 1989, p. 115.
Mauriac, François, Thérèse Desqueyroux, Paris, Librairie Générale Française, 1989, p. 23.
Mauriac, François, I due romanzi di Thérèse Desqueyroux, Milano, Mondadori, 1935, p.13.

Patrizia Prati (Italie)

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Ce texte de Christine Roederer est une ode au langage, à la parole, à l’art, et se situe donc dans le prolongement de ce qui précède. Il fut publié dans la revue Akademos, sous l’égide de l’Institut de France, en mai 2016.
La parole fondatrice et créatrice
par Christine Roederer

Linéaire, verticale, la parole est comme le ciel et la terre, le paradis et l’enfer, soumise aux passions des hommes. 
Elle est ce qu’ils en font selon qu’elle soit inscrite dans le marbre ou l’argile. 
Il ne s’agit pas d’opposer la Parole à l’action, mais d’en référer à Montaigne : «Nous ne sommes hommes et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole»… Cette parole légère ou grave, avérée ou fallacieuse, s’articule autour du mot, vertèbre de la phrase dont le verbe est la colonne vertébrale. 
C’est la pensée qui, dans son déroulement, fait la grandeur de l’homme. Montaigne rejoint Camus : «Penser, c’est réapprendre à voir, à diriger sa conscience, à faire de chaque image un lien privilégié». C’est le privilège de l’être humain, privilège redoutable tant il exige une exacte connaissance de la latitude et de la longitude du mot — véhicule de la pensée — avec sa charge émotionnelle et culturelle, qu’il serait coupable d’ignorer ou de réfuter. 
LA PAROLE FONDATRICE 
Si sa connaissance du monde environnant est acquise par l’entremise des sens, l’être humain peut reproduire ce monde par l’imagination, première faculté de son intellect. Le «surétagement» de son système nerveux central a accru la capacité de ses neurones, engendrant l’apparition du langage articulé ou écrit, puis de la pensée, langage abstrait. Il s’agit d’un long processus d’évolution, étape par étape, en suivant les exigences de l’adaptation vitale au milieu qui a permis à l’homme d’atteindre le stade auquel il est arrivé aujourd’hui, ce que Buffon résume ainsi : «Le langage est de l’homme même.» Autrement dit, il est un prolongement immatériel de son corps matériel. 
Qui évoque le majestueux cortège des mots évoque l’histoire de l’humanité ainsi qu’en témoignent des savants — Théodore Monod entre autres — qui ont recherché les fossiles des langues dans lesquelles on trouve d’étranges similitudes.
L’évolution du langage 
Elle a longuement été décrite par Marcel V. Locquin, biophysicien et linguiste (1926-2009).
Cette évolution peut être suivie lorsqu’une étude est faite sur les phonèmes qui permettent l’apprentissage de la langue maternelle pour un enfant. 
«Dès les premiers mois de la vie d’un bébé, que ses parents soient français allemands, anglais arabes, chinois, japonais ou russes, le bébé vocalise avec son larynx uniquement les voyelles : EAIUO. C’est aussi probablement proche de l’ordre chronologique de leur apparition chez les premiers hommes… 
Au stade suivant, le bébé fait des clics et des bulles. Ces sons constituent en fait des consonnes pures, générées par les claquements de sa langue contre son palais et ses dents. Il invente comment produire les dix consonnes fondamentales dont il aura besoin plus tard. Il quittera ainsi le stade voyellique pur pour arriver au stade consonantique pur qui signe la véritable émergence du langage articulé humain». 
Vocaliser, associer entre eux les phonèmes et désigner des objets et des êtres de l’environnement, voici une évolution qui différencie l’être humain de l’animal.
Ce parcours identitaire universel est émouvant. Peut-être pourrait-on voir dans ces convergences les signes de notre appartenance à une même humanité, les signes de notre interdépendance
Soulignons que le mot est un signal préexistant à toute action. Ce sont des signalisations qui servent à maîtriser notre vie et nos rapports avec le milieu environnant. Ces signalisations constituent les éléments de la création dans le domaine des lettres, des sciences, de l’art. 
En définitive, l’homme bâtit son monde et son avenir à travers et autour des mots, capables de transformer leur fonction de communication en un message suprême, à la condition suggérée par le poète P. L. Fargue : «Il faut que chaque mot qui tombe soit le fruit mûr de la succulence intérieure», ce qui implique connaissance et exigence. Les mots tuent aussi facilement qu’une mitraillette. À l’opposé, ils sont sources de vie, passants de l’âme, artisans de la survie de l’humanité. 
En ce sens, les mots ont bien une latitude et une longitude dans la mesure où celui qui les emploie est capable d’en évaluer la portée, de les transcender, c’est-à-dire de les élever au-dessus des limites extrêmes du monde sensible et des consciences. 
Certes, l’apprentissage d’une langue exige des efforts, donc du courage, mais aussi une certaine grandeur : prendre soin de l’héritage qui nous a été confié, en l’occurrence permettre à la langue française de garder ses lettres de noblesse, c’est respecter la mémoire de ceux qui furent avant nous. 
Le pouvoir des mots
À l’évidence, les mots ont un pouvoir d’unité ou de séparation, un pouvoir émotionnel non seulement dans leur sens, mais aussi dans leur relief sonore : la voix de tête ou du plexus joue un rôle essentiel dans les relations familiales, dans l’enseignement, dans la vie sociale. Les grands orateurs le savent qui jouent de leur voix comme un musicien de son instrument.
Vaclav Havel parle pertinemment du «symbole de la mystérieuse polyvalence qui caractérise l’immense pouvoir des mots». Il pose d’ailleurs cette question : «La parole est-elle vraiment si puissante qu’elle transforme le monde et influence l’Histoire? Il ne s’agit pas d’une tâche purement linguistique. C’est un appel à devenir responsable des mots et envers les mots, un devoir éthique par essence». 
Sage recommandation que le monde politique notamment, d’ici ou d’ailleurs, se devrait d’inscrire aux cimaises, aujourd’hui plus que jamais, tant un mot fait le buzz en quelques secondes
Le docteur Alfred Tomatis, (1920 – 2001)
Oto-rhino-laryngologiste, spécialiste de l’audition et du langage, il a consacré l’essentiel de sa vie à des travaux sur la voix et l’émission vocale, à traiter les troubles de l’intégration scolaire, de l’audition, du comportement social et familial. Il fut professeur à l’école d’anthropologie et de psycholinguistique, directeur du Centre international du langage à Paris… c’est dire l’importance de ses travaux dans une science — celle du langage — dont il fut l’un des pionniers dans les années 1970. 
«L’idéal serait pour un homme de pouvoir toucher de manière homogène la totalité de la surface corporelle». Ce n’est pas impossible. Les yogis tibétains consacrent beaucoup de temps et d’énergie psychique à cette recherche. Le son vrai ne sort pas seulement des lèvres, mais du corps entier ce qui signifie que le son peut transformer notre «moi» par l’oreille, cette voie royale. 
Alfred Tomatis ne fut pas le premier à le constater. Le sage légendaire Fu Shi, plus de 3000 ans avant J.-C. et bien plus tard Lao-Tseu, ces maîtres du Tao, sont porteurs de préceptes concernant la voix et le chant : accordez-vous à la juste résonance de votre âme… 
Plus près de nous, Aristote et Platon affirmaient que parler ou chanter, c’est faire vibrer à l’unisson l’air qui est à l’extérieur avec celui qui est à l’intérieur. Ainsi peut naître une harmonie parfaite autour de nous et en nous ou, a contrario, l’angoisse et l’agressivité. 
La charge vibratoire ressentie à l’écoute des discours d’Hitler en apporte une preuve avant même que les mots ne prennent sens. 
Dans quel état est l’auditeur? Des études ont constaté un impact sur son état de conscience, selon la densité et le niveau sonore, la répétition des sons qui permet de comprendre l’anesthésie voire la transe d’une foule, celle que l’on constate aujourd’hui dans les stades, lors des grand-messes du foot ou de certaines musiques. Remarquons que les nazis avaient instauré le chant et même créé des orchestres dans les camps… pour éviter la communication entre les détenus et sans doute aussi pour les empêcher de penser
Est-ce le même motif qui anime les DJ des boîtes de nuit où il n’est pas rare que la sono noie le jeune public sous 130 décibels
Tout autre est le bouleversement émotionnel ressenti par l’auditeur d’un opéra de Wagner ou de Mozart sans que forcément il y ait compréhension du sens des mots. Magie de la musique… 
Dans le même ordre d’idées, les prêches/harangues/discours - sans sonorisation - d’un Saint Bernard à Vézelay, d’un Érasme à Rotterdam, d’un Geiler de Kaysersberg à la cathédrale de Strasbourg, d’un Platon à Athènes, ont rassemblé des foules souvent illettrées dont l’Histoire garde la mémoire. 
Sans doute ne faut-il pas oublier le théâtre qui fut, pendant des siècles, le véhicule de la pensée chrétienne. Les foules immenses, urbaines ou villageoises, ne comprenaient peut-être pas toujours le texte, mais le jeu, la voix des acteurs nourrissaient leur imaginaire et leur enthousiasme. 
Nos archives conservent de nombreuses pièces de théâtre dont nous pouvons décrypter le sens… De temps à autre notre imaginaire nous fournit le son par la force et la transcendance de la parole. 
À quelles exigences se devrait de répondre la Parole : la connaissance, la subtilité, l’esthétique? Ce sont trois fondamentaux pour nourrir la pensée et lui donner corps, dans la création littéraire ou scientifique. 
Il semble opportun à cet endroit de citer André Breton, le surréaliste, qui souhaitait que les mots fassent l’amour en pleine liberté! Mais… «Encore faudrait-il que les éléments du langage cessassent de se comporter en épaves à la surface d’une mer morte»… et encore faudrait-il, ce qui est essentiel dans la construction et l’épanouissement d’un être humain, «Que la pensée se lève à la fine pointe des mots»… Il faut aussi en connaître le sens, ce qui rejoint une souffrance, une frustration souvent exprimées dans le mal-être de nos contemporains.
La parole, les mots, ont un rôle métaphysique, psychologique, sociologique manifeste. Ils sont des substances vives qui font — ou devraient faire — s’épanouir chaque être, chaque chose, chaque objet dans la complétude de sa matière. 
Alfred Tomatis dit encore : «Essayez de voir en chaque mot un système solaire, pour en boire la racine signifiante en tant que feu central, de ressentir chaque syllabe, chaque son comme autant de planètes.» 
La conclusion appartient à Jacqueline de Romilly qui considère que la parole est un rempart contre la bestialité tant il est évident que le prodigieux pouvoir de la sonorité, du phrasé, du mot, peut entraîner le monde vers le pire comme vers le sublime. 
LA PAROLE CRÉATRICE
Les paroles, les sons se perdent selon le vieil adage. 
Quelquefois rats, ils rongent la conscience ou sapent l’inconscient. Quelquefois papillons, ils effleurent l’oreille, le cœur, l’âme et s’y lovent. Alors peut s’accomplir le prodige de la création, mais par quel mécanisme?
Le passage de l’oral à l’écrit est une étape supplémentaire dans l’évolution qui obéit à une codification stricte et fournit, comme le remarque Edgar Morin : «Les règles et les outils de la connaissance, co-productrice de connaissance et de réalité, laquelle demeure non seulement inscrite dans une culture, mais devient productrice de culture». 
À ce propos, il n’est point besoin de souligner l’importance de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture qui permet à l’individu d’une part de se couler dans une culture, de l’apprivoiser et d’autre part de se singulariser, d’exprimer ses sentiments, en un mot : d’exister. 
En effet, une pensée non écrite dans un langage codifié n’a qu’une existence limitée. Même aujourd’hui où la culture se promène sur tous les écrans du monde, elle n’est acquise, assise, transmise que par l’écrit, ne serait-ce que par Internet
Pour les uns comme pour les autres, ce besoin de «dire» en toute liberté, à travers des formes diverses d’expression, est une preuve du rôle métaphysique et sociologique de l’écriture.
Penchons-nous, à titre d’exemple, sur le poème. Il s’agit d’une écriture verticale, d’un arrêt sur la vie, à un moment précis et exigeant. En fait, «les poètes ne donnent pas à rêver, mais à voir, non pas à croire, mais à tenter de savoir». 
Les poètes sont des passeurs, des éveilleurs de conscience — français, anglais, russes, turcs, tchèques — ils furent exclus, persécutés, prisonniers politiques… Ils sont la respiration de l’Être, la conscience de l’humanité, les serviteurs de leur langue. 
Dans cet ordre d’idées, nous pouvons dire que l’expression écrite à travers le poème est un moyen pour l’enfant, pour l’adolescent, d’apprendre à exprimer ses sentiments et d’ordonner sa pensée. 
Mais chaque création, chaque forme d’expression (poème, roman, nouvelle, témoignage) est fille d’une alchimie, «cette réalité cachée qui constitue l’essence sous-jacente, l’absolu». Il s’agit donc d’une réalité transcendante ordinairement masquée par la réalité relative à la vie quotidienne; le but ultime de l’alchimie est la transmutation de la conscience : «Il s’agit de transformer la perception ordinaire, semblable à du plomb, en une perception plus subtile, pareille à de l’or» selon Tara Benett.
C’est en tout cas ce qui devrait animer l’écrivain et l’écrivant. Si la liberté d’expression fait partie de nos libertés fondamentales, elle peut aussi entraîner l’assassinat de la langue et l’assassinat de l’esprit. Il ne s’agit pas de la transcription d’un langage adapté aux personnages mis en scène, mais de ce qui peut être considéré comme un «délit littéraire», des forfaits constatés, des outrages répétés aux langues, de ceux que d’aucuns appellent les «délitérateurs», pour dénoncer ceux qui écrivent pour ne rien dire, ne rien transmettre, pour jeter au vent la syntaxe, ceux qui pratiquent la culture de l’esthétisme pour l’esthétique. 
Si la littérature doit déranger, lancer des débats et interpeller son lectorat, si elle se doit d’être zone de liberté, la notion «d’assassinat de l’esprit» se déplace historiquement et sociologiquement dans le temps. 
Il arrive que ce qui était scandaleux hier («Les onze mille verges» d’Apollinaire) ne le soit plus aujourd’hui. Par contre l’apologie des crimes de guerre, de la torture, l’appel à la haine, le racisme, le sexisme, la pédophilie sont devenus, grâce à la Convention de Genève et à la Déclaration des droits de l’homme entre autres, des limites à ne pas franchir, étant entendu que la littérature est un humanisme, «ce possible de l’être», dans le sens où elle peut conduire un lecteur à passer du stade de spectateur à celui d’acteur, à s’engager sur le chemin de l’évolution ou au contraire de l’involution. Il faut être et assumer ce que l’on écrit, mais être aussi un serviteur de l’harmonie, de la vérité «qui simplifie le monde et non qui crée le chaos», comme l’écrivait Saint Exupéry. 

Si un lien se tisse entre les pensées traduites par les mots, elles se nourrissent en premier lieu à la source de la connaissance, mais Nietzsche précise : «Connais-toi toi-même, voilà toute la science. C’est seulement quand la connaissance des choses sera achevée que l’homme se connaîtra lui-même. Car les choses ne sont que les limites de l’homme.» 
Trois points semblent se profiler pour avancer dans la connaissance de soi, de l’autre, des lois cosmiques : la philosophie, la science, l’harmonie entre le corps et l’esprit. L’homme n’est pas un démiurge, peut-être est-il nécessaire de ne point l’oublier et d’œuvrer dans l’humilité, ce qui fait d’ailleurs dire à Hubert Reeves : «Je suis ivre de ce que je ne sais pas». Sage constat…
Les limites de la connaissance sont posées en même temps qu’est soulignée la nécessité du questionnement par rapport à soi-même et par rapport au monde qui nous entoure. La réponse risque de se poser en vérité rigide, de nous enfermer dans des certitudes, sources de conflits et de violences. Seule la fluidité permet d’avancer dans notre démarche personnelle et sociale, ce que Basarab Nicolescu nomme coévolution de l’être humain et de l’univers. Cette dernière se place au cœur de l’œuvre de Teilhard de Chardin, à laquelle il ajoute la coréflexion car «l’homme ne saurait penser seul». 
Coévolution et coréflexion ne sauraient être exclues des sciences. Le scientifique est un visionnaire, un interrogateur, un médiateur, un dérangeur de l’ordre établi et souvent un poète qui sait partager ses émotions et faire rêver le public. Il faut être et assumer ce que l’on écrit, mais être aussi un serviteur de l’harmonie, de la vérité «qui simplifie le monde et non qui crée le chaos», comme l’écrivait Saint Exupéry. 
Si un lien se tisse entre les pensées traduites par les mots, elles se nourrissent en premier lieu à la source de la connaissance, mais Nietzsche précise : «Connais-toi toi-même, voilà toute la science. C’est seulement quand la connaissance des choses sera achevée que l’homme se connaîtra lui-même. Car les choses ne sont que les limites de l’homme». 
Le scientifique est un visionnaire, un interrogateur, un médiateur, un dérangeur de l’ordre établi et souvent un poète qui sait partager ses émotions et faire rêver le public. Ainsi en est-il pour Hubert Reeves. Il parle du cosmos en scientifique et en poète. Il élève ainsi la pensée de l’humanité en lui donnant une autre dimension. De même Michel Cassé, astrophysicien, nous assure que la matière est la même dans tout l’univers connu, que les atomes qui nous composent composent aussi les étoiles. Nous sommes donc les enfants des étoiles! Il nous engage à relever la tête vers le ciel tout comme Théodore Monod, Bernard d’Espagnat, Albert Jacquard, Jean-Pierre Luminet, tant «ils adoucissent leur regard sur l’objet de leur étude.»
Pourraient-ils à la fin, aider l’être humain à cesser de naviguer entre Éros et Agapé, entre le chaos et l’Amour

Qu’ils soient peintres, sculpteurs, photographes, les artistes sont interprètes de l’invisible, et quelquefois prophètes quand ils sont en avance sur leur temps. Ce n’est pas une position confortable. Les exemples de ces peintres maudits abondent dans la mémoire collective. Ils sont néanmoins les chantres de la liberté, ennemis de l’ordre établi, et quelquefois objets de scandales. Messager d’un monde parallèle, leur langage tente d’établir un dialogue muet entre eux et leur auditoire, au-delà du temps. Point n’est besoin de traducteur
Les maîtres de la musique rejoignent ceux de l’art pictural. Leur langage est codifié ou carrément lâché dans le foisonnement des sons et de leurs instruments. Que serait notre vie sans la musique? «Une erreur» affirme Nietzsche. 
D’aucuns prétendent que la musique est le langage des dieux, des anges, une porte ouverte sur le paradis… un emportement du corps et de l’esprit, un instant d’éternité au milieu de nulle part, dans un ailleurs jailli du ressenti, de l’émotionnel. Elle est langage entremêlé de l’âme et de l’humain. Elle est mystère en son langage universel… 
À propos de ce qui précède, on pourrait interroger deux mots qui, à première vue, semblent synonymes : la beauté, le beau. Mais le sont-ils vraiment? N’est-ce pas l’article défini La (Beauté), Le (Beau) qui trace une subtile différence entre les deux mots?
La beauté court les rues, les magazines, le cinéma, la littérature… ce qui voudrait dire qu’elle serait une notion matérielle avec ses multiples déclinaisons. Il s’agit donc de la beauté objective relative à chacun d’entre nous puisqu’elle est liée à notre vie, à notre sens de l’esthétique analysé par les philosophes depuis Aristote. À l’opposé, Maurice Blanchot engage les artistes à idéaliser les êtres, à les élever à leur ressemblance désincarnée, à leur être intime. Il ne parle pas de La Beauté… mais de ce qu’il y a de «beau», de grand, en chaque être. Mme de Staël se rapproche-t-elle de lui quand elle affirme : «Le beau rend l’homme meilleur»?
Mais ceci est un autre sujet. 

À l’évidence, c’est par le langage, par la parole dans sa diversité que l’être humain signifie sa présence et qu’il a le pouvoir de la transcender notamment par la lecture. Ah! La belle aventure que celle du livre — témoin de notre Histoire — dont on a tant de fois annoncé la disparition. Il vit, survit, voyage, s’expose, se transmet, se transforme, s’étiole dans les bibliothèques pour être redécouvert et recevoir soudain la reconnaissance qui lui est due. Chaque livre, chaque page détient une part du merveilleux de l’humanité : ses croyances, ses doutes, ses espérances. Certes il y a le livre… et le chef-d’œuvre. 
Mais il y a la parole de l’Être, celui qui a témoigné, souffert, aimé.

Christiane Roederer (France) 

De l’Espagne à la Hongrie

Claude Hecham, qui n’a pu se déplacer à Madrid cet été, nous livre ici ses réflexions sur le sujet qui lui tenait à cœur

Errance et errements dans le roman de Louis Hémon, Maria Chapdelaine
par Claude Hecham

Au début du XXe siècle, l’intérêt des Européens pour les récits d’aventures dans le Grand Nord a sans doute contribué au succès d’un récit du Canada français — sous-titre du roman Maria Chapdelaine — que la vie des «défricheurs» avait inspiré à son auteur. Louis Hémon a partagé pendant quelques mois la vie des chantiers forestiers qui attiraient des hommes lassés de la ville et sensibles aux promesses d’enrichissement qu’offraient les immenses forêts d’Amérique du Nord. De nombreuses expéditions en traîneau tiré par des chiens avaient pris contact avec les «sauvages» — terme désignant les indigènes — pour leur acheter les fourrures que réclamaient les femmes élégantes à Paris ou à Londres. La concurrence avec les Anglais avait déclenché une véritable «guerre des fourrures» quelques décennies plus tôt, et le chemin de fer transcontinental permettait un grand essor du commerce, une poussée vers l’Ouest.

NOMADES ET SÉDENTAIRES
C’est cette immensité des forêts canadiennes qui apparaît dès l’incipit du roman, avec «la lisière sombre de la forêt» opposée à «la petitesse de l’église de bois[9]». Les événements tragiques frappant Maria et sa famille au cours du récit seront liés étroitement à l’une et à l’autre. 
Un lot de terres était attribué à chaque défricheur près du fleuve Saint-Laurent ou d’une rivière comme la Péribonca du roman, au Québec. Chacun construit la ferme où il réside avec sa famille sur l’espace où il va «faire de la terre»[10], selon une expression récurrente. Mais le père de Maria fait vivre sa famille loin des «paroisses», c’est-à-dire des communes qui se sont créées depuis la colonisation au dix-septième siècle : cinq fois déjà il a vendu son bien pour aller «faire de la terre» plus loin. Cette errance, il se la reprochera à la mort de sa femme : l’éloignement a rendu impossible la venue rapide d’un médecin. Il avoue sa faute à ses enfants : la quête d’une meilleure terre n’était pas le moteur de son action; il n’a écouté que sa passion du défrichage; il déteste «à en perdre la raison[11]» les clôtures qu’il a lui-même plantées.
François Paradis, amoureux de Maria, parcourt la forêt à la recherche de «sauvages» pour leur acheter des fourrures : au lieu d’attendre Pâques et le dégel, il a quitté le chantier forestier où il travaillait afin de rejoindre Maria à Noël. Traverser seul la forêt enneigée, c’est risquer de se perdre et de mourir de froid : «Tout le monde dit à François que ça n’a pas de bon sens de vouloir faire ce voyage-là[12]» rapporte Eutrope Gagnon, le messager de la mauvaise nouvelle. C’est un voisin des Chapdelaine, un autre prétendant à la main de Maria. Maria va entretenir pendant une année de poignants regrets : «Ah! si seulement François Paradis ne s’était pas écarté sans retour dans les bois désolés[13]»
La force d’une expression comme celle-là vient de sa simplicité : c’est l’errance prise au sens absolu. On peut évoquer l’image du chemin et ses multiples significations, morales, religieuses, philosophiques. Mais rien n’égale le profond désespoir de celle qui se répète qu’il s’est écarté. «Le mot lui-même, au pays de Québec et surtout dans les régions lointaines du Nord, a pris un sens sinistre et singulier, où se révèle le danger qu’il y a à perdre le sens de l’orientation, seulement un jour, dans ces coins sans limites[14].»

PAYSANS ET CITADINS
Le thème de l’erreur humaine se formule donc de plusieurs manières dans le roman. Ainsi, la mère Chapdelaine se plaint à sa fille des « errements» du jeune Télesphore : la gourmandise fait partie des péchés capitaux pour la morale chrétienne, et sa mère lui a expliqué que la tentation venait du démon. Mais l’enfant, loin de comprendre ces notions abstraites, «rêvait d’un combat héroïque, d’une longue tuerie, dont il sortirait parfait et pur, délivré à jamais des embûches du Malin[15].»
Ces habitudes néfastes, comme les erreurs de jeunesse, ne sont peut-être que les prémices de fautes plus graves chez l’adulte : l’orgueil de François Paradis, la passion égoïste du père Chapdelaine en sont de tragiques exemples, marqués par la fatalité. L’aventure des trois Parisiens en est un autre exemple : au chapitre XII, le narrateur semble faire la part belle au pittoresque des veillées, mais son propos est sérieux puisqu’il concerne le choix entre vie urbaine et vie rurale. Les trois Français, qui vivaient encore à Paris un an auparavant, ont quitté de bons emplois après avoir écouté un conférencier; le père et ses deux fils sont partis au Canada, ont acheté la terre que vendait un jeune Canadien installé à New-York. Les défricheurs ne comprennent pas le choix des Français qu’ils qualifient de chimère; les nouveaux venus font le bilan mélancolique de leur faillite et le père reconnaît son erreur : un climat trop rude, une terre ingrate et surtout une grande ignorance des réalités. Pour adoucir la leçon et combler le fossé culturel, ils se déclarent tous «déracinés». 
Si «Le dynamisme nomadique doit toujours se substituer, un jour ou l’autre, au statisme sédentaire» selon Jacques Ménétrier, cité en exergue du livre de Kenneth White L’Esprit nomade, ce jour n’est pas venu pour Maria Chapdelaine, malgré la tentation de partir «aux États» avec Lorenzo Surprenant.

PARTIR OU RESTER
Si l’obstination de Maria à rêver d’un amour impossible a pris ses parents au dépourvu, la religion catholique leur offre le moyen de la guérir de sa folie. Un entretien avec le curé de la paroisse lui est imposé par son père, en désespoir de cause. Le curé déclare que c’est un péché de continuer à regretter un homme qui n’était même pas son fiancé officiel. Alors « Maria chassa de son cœur tout regret avoué, et tout chagrin, aussi complètement que cela était en son pouvoir…[16]» Mais elle n’a pas tout à fait adhéré aux arguments du prêtre. La métaphore du chemin dont on ne doit pas s’écarter revient, associant au doute et à l’erreur l’idée de la mort : « Le chemin louvoyait entre les arbres sombres figés dans la neige[17]».
Louis Hémon nous propose, à travers le débat intérieur de Maria, une autre façon d’appréhender l’errance : dans le brouillard de sa pensée se fait peu à peu la lumière qui me paraît la conduire, non à la résignation, mais à une certitude. Ainsi, ce qui serait non plus une erreur, mais un véritable «errement», ce serait de perdre «les douceurs méconnues du pays qu’elle veut fuir, le retour miraculeux du printemps, l’éblouissement de l’été…». Ce serait de se retrouver loin de ses rites familiers «avec des gens d’une autre race, parlant d’autres choses, dans une autre langue, chantant d’autres chansons.»
Partir aux «États» — aux États-Unis — avec Lorenzo Surprenant, son troisième prétendant, ce serait rompre avec une tradition de 300 ans d’installation qui a forgé l’âme du Québec «Il faut rester dans la province où nos pères sont restés». L’importance de la langue française comme facteur identitaire apparaît clairement tout au long du roman, et plus particulièrement à travers l’évocation des veillées où se transmettent les contes populaires et les chansons : il a été reproché à l’auteur d’avoir dénigré les Canadiens français en choisissant une famille de paysans illettrés comme représentative de l’ensemble de la population. Il s’en est défendu, car le personnage de Maria, «proche de la nature», devient, dans les derniers chapitres, l’héroïne qui fait entendre «la voix du pays de Québec, qui était à moitié un chant de femme et à moitié un sermon de prêtre.»[18]
Bibliographie
Kenneth White, L’Esprit nomade, biblio essais, Le Livre de Poche, 1987.
Littérature francophone, 1, Le Roman, Hatier éditeur, 1997.
Encyclopaedia Universalis, 2011, Corpus 4, Canada.
Claude Hecham (France) 
Suivons à présent Marie-Louise Scheidhauer dans les rues d’un Madrid insolite!

La Boîte de Zamora : Madrid palimpseste
par Marie-Louise Scheidhauer

 Nous avons découvert la boîte de Zamora au musée archéologique de Madrid, que nous visitons sous la conduite de Daniel. Cette visite se substitue à celle de Tolède à laquelle nous avons dû renoncer à cause de la chaleur torride qui y règne et des incendies qui s’y sont déclarés. Nous avons sous les yeux un magnifique exemple de la perfection technique et artistique atteinte par l’atelier d’ivoires de Madinat al-Zahra (splendeur et magnificence du califat, aux abords de Cordoue). C’est un présent du calife Al-Hakam à sa favorite Bubh. Nous sommes dans la salle arabe qui contient des objets et des vestiges du temps mauresque (711-1492) : céramique, bien sûr, issue de trois cuissons successives; une maquette monumentale de l’architecture de la mosquée de Cordoue; des plafonds à caissons, des voûtes, des frises. Des merveilles

À l’issue de notre visite, quelques-uns d’entre nous se regroupent sur un banc pour commenter la phrase inscrite sur la boîte de Zamora : «À la plus belle et la plus vertueuse des femmes». Cette phrase nous rappelle celle du «Cantiquedes cantiques» de Salomon et sa reprise rituelle, la veille du sabbat, par la tradition juive, en hommage à la femme. Nos évoquons pendant tout un moment ce qui relie les religions du livre. Et nous comprenons que l’Espagne a connu une époque musulmane qui a laissé des empreintes, des traces, des vestiges, en un mot un héritage.

Madrid a d’abord été une forteresse mauresque. Nos amis madrilènes nous conduisent à travers des rues et des places peu fréquentées par les touristes et à travers les âges de la ville. Nous voyons, à divers endroits, les restes des canalisations aménagées à l’époque arabe. 
Nous partons de la «Plaza Martin Anton». Par des ruelles désertes, nous arrivons à «la prison de l’inquisition». Là, Celia, notre guide d’un jour, nous explique comment la maison à un étage a été construite autour d’une cour carrée, à partir d’une structure de poutres et de briques. En sous-sol, on voit encore très bien les canalisations de jadis et l’endroit où, plus tard, les prisonniers étaient séquestrés. On imagine le quartier primitif.
 De là, nous gagnons un endroit moins sinistre : la «Libreria Sin Tarima», où s’entassent des livres de toutes les époques, introuvables ou banals, dans un joyeux désordre. En descendant à la cave, nous découvrons un duo de musiciens et nous écoutons avec ravissement un récital de chansons espagnoles et hispaniques, le tout introduit par une chanson d’Édith Piaf. Nous applaudissons ces jeunes artistes talentueux et exubérants, puis c’est la remontée vers la lumière.
 Nous suivons notre guide par la Calle Principe jusqu’à la Plaza Ana où je découvre avec émotion «Le Théâtre espagnol» avec les grands noms de Calderon, Lope de Vega et d’autres. Émotion devant «l’Espagnol» comme devant «le Français». Des personnages se profilent sur scène, flottent un instant en l’air comme ceux de Chagall, puis disparaissent. Molière est convoqué. Nous découvrons aussi la statue de Federico García Lorca, en face du théâtre. Nous traversons la place, bordée de multiples petits bars et sur un côté, l’hôtel des toreros. Cervantès aurait vécu non loin de là. Les grands siècles remontent du fond des âges…
Nous marchons toujours à travers des rues, nous arrêtant de temps en temps devant une église particulière, sur une place animée, pour déboucher sur le Paseo della Esperanza, ainsi nommé parce que les jeunes Espagnoles espéraient y rencontrer l’homme de leur vie, sous l’œil vigilant des mères au balcon. Nous terminons notre remontée du temps au Cafe Ziryab où nous dînons d’un plat de charcuterie et de fromages à partager avec le voisin. Partage que j’apprécie tout en écoutant et regardant des danseurs de flamenco, bien d’aujourd’hui : rythme, code, tapage, vertiges. Étrange mélange de fureur, de passion et de retenue.
Cette traversée des âges et de l’espace m’introduit dans une ville qui se débite feuille par feuille, qui se déplie pour donner des ailes à l’esprit, à l’art, et évoque des temps parfois cruels, parfois ludiques, toujours vivants. Les castagnettes nous accompagnent jusqu’aux taxis qui nous ramènent à l’hôtel Leonardo. 
Loin des places somptueuses, édifiées grâce à l’or du continent sud-américain, la boîte de Zamora chante dans nos rêves les mélodies des cours mauresques, le «Romanzero» de Heine, l’errance du chevalier, le mariage de Figaro pendant que notre Atlantide sombre peu à peu dans le sommeil.
Comment remercier nos amis espagnols de nous avoir fait découvrir ce Madrid authentique?

Marie Louise Scheidhauer (France)

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Ces deux articles de Helga Zsàk font le lien entre l’Espagne, où s’est tenu le dernier colloque de l’Association, et la Hongrie, qui accueillera son prochain voyage d’échanges et de découvertes, au printemps 2020




Quelques sources espagnoles 
dans les tragédies françaises du début du XVIIe siècle
par Helga Zsàk

Le «siècle d’or» espagnol et ses auteurs illustres comme Cervantès, Lope de Vega, Calderon, les auteurs de romans picaresques ou ses artistes peintres ont marqué les esprits dans toute l’Europe du début du XVIIe siècle. Cette période charnière entre baroque et classique a permis la floraison de différents genres et styles littéraires et dramatiques. L’influence hispanique sur la littérature en France est notable et a déjà été analysée par d’éminents critiques comme Michel Devez ou J. M. Losada Goya[19]. En effet, maints dramaturges du XVIIe siècle, dont Corneille et Rotrou, s’inspirèrent d’œuvres d’artistes ibériques, ce qu’ils évoquent dans les Préfaces ou Examens des pièces. Cette dette à la littérature espagnole a été mentionnée par Voltaire également, qui évoque, au début des commentaires sur le Cid :

Lorsque Corneille donna Le Cid, les Espagnols avaient sur tous les théâtres d’Europe la même influence que sur les affaires publiques (…) on se piquait alors de savoir l’espagnol comme on se fait aujourd’hui honneur de parler français[20].

Dès le début du siècle, Alexandre Hardy s’est inspiré de Cervantès pour sa pièce intitulée La Force du Sang (1612). Maints auteurs et dramaturges du XVIIe siècle français puisent leurs sources dans la littérature espagnole. Le Cid, de Corneille de 1637, prend comme arrière-plan historique les combats du Cid, héros du royaume espagnol, contre les Maures. La scène se passe à Séville, et la pièce est inspirée par l’œuvre de Guilhem de Castro (1559-1631), Las Mocedades del Cid, dont Corneille donne une liste des vers empruntés dans l’édition de 1648. Cet ouvrage de 300 pages n’avait pas encore été traduit et Corneille s’en est sans doute inspiré[21], comme l’indique Georges Couton. Dans l’Avertissement de cette année-là, il se réfère également à l’historien espagnol Mariana.
Dans la Querelle du Cid, rapportant le conflit littéraire que déclencha cette pièce, Scudéry reprocha à Corneille son plagiat de l’auteur hispanique, mais Corneille ne s’en cacha pas. La réponse de l’Académie française, créée en 1635 par Richelieu, fut que «beaucoup de pensées de l’auteur français ne cèdent en rien» à celles de l’Espagnol[22].
La place dédiée à l’honneur à la cour d’Espagne correspond à celle que les héros de Corneille professent et incarnent. Rodrigue prend les armes pour satisfaire l’honneur de sa famille après l’offense que son père a subie, mais il est écartelé entre son devoir et son amour pour Chimène, fille de l’offenseur de son père :«Illustre tyrannie, adorable contrainte[23]» soupire-t-il déchiré. L’honneur prend le pas après ce dilemme intérieur qui offre au spectateur le débat d’une conscience, une «tempête sous un crâne[24]». Il affronte en duel le père de Chimène, dont il devient vainqueur. Chimène, à l’annonce de l’issue du duel, comprend immédiatement quelle doit être sa conduite : «Son sang sur la poussière écrivait mon devoir[25]»s’exclame-t-elle à l’annonce de la mort de son père, et déchirée à son tour, elle va cependant porter sa requête de justice auprès du Roi. Le code de l’honneur, très important dans la Cour et la société espagnole, constituera la trame principale de la tragi-comédie de Corneille. La pièce reflète également les débats de l’époque sur la place accordée au duel, omniprésent dans la vie quotidienne. Les efforts de Richelieu pour le réprimer y trouvent un écho, de même que l’éclat vindicatif des nobles, fiers de leur dignité et de leur honneur. Le succès de l’œuvre perdurera pendant plus de 300 ans.
Pour la rédaction de Don Sanche d’Aragon, Corneille dit également, dans l’Examen de 1660 : «ce qu’a de fastueux le premier acte est tiré d’une comédie espagnole intitulée El Palacio confus[26] ». Selon Georges Couton, «on ne sait s’il faut attribuer la comédie à Mira de Mescusa ou Lope de Vega[27]». Corneille mentionne une autre source de la pièce, le roman Dom Pélage ou l’entrée des Maures en Espagnepar «le sieur de Juvenel,» dont l’histoire se déroule en Espagne sous le règne d’un des derniers rois goths. Un soldat héroïque, mais d’origine non noble réussit son ascension sociale grâce à son courage.
Dans la pièce espagnole, La Reine anoblit Carlos pour ses actes de bravoure en lui permettant de prendre place auprès d’elle : «Assieds-toi Carlos, car je te fais noble».
Dans celle de Corneille, Donna Isabelle avoue sa dette envers lui :

… Il importe aux Monarques
Qui veulent aux vertus rendre de dignes marques
De les savoir connaître et ne pas ignorer
Ceux d’entre leurs Sujets qu’ils doivent honorer[28].
Les «vertus» de Don Sanche, et son «grand courage[29]» attestent de sa valeur et lui permettent de recevoir une «digne récompense[30]». Cette reconnaissance, parallèle dans les deux œuvres, témoigne de la place accordée à l’honneur, à l’estime des personnes dans une société qui confère de plus en plus de place au mérite. Elle constituait peut-être aussi une réponse aux rumeurs concernant la Reine et Mazarin, son ministre.
Lope de Vega fut sans doute également une source d’inspiration pour une pièce de Rotrou, Le Véritable Saint Genest, de 1645. La vie du comédien martyr, exécuté à la fin du IIIe siècle pour avoir professé sa foi chrétienne, fut précédemment le sujet d’une pièce de Lope de Vega, Lo Finido Verdadero. Selon Jacques Scherer[31], la pièce de Lope «donnait à Rotrou l’idée baroque que le monde est interprétable comme un théâtre».
Il semble que cette idée soit présente aussi dans une autre pièce espagnole contemporaine, Le Grand Théâtre du Monde de Pedro Caldéron de la Barca, des années 1630, appartenant au genre auto sacramental, typiquement espagnol. Cette pièce espagnole reprend aussi la notion de Theatrum mundi, dont les personnages de la pièce française évoquent des éléments. La pièce Comme il vous plaira de Shakespeare, évoquait également ce thème[32]. Pour les rapports entre réalité et fiction, Rotrou s’est également inspiré de l’Illusion Comique de Pierre Corneille, de 1636, et d’une pièce du père Cellot, Sanctus Adrianus.
Rotrou a accentué l’importance de la pièce que Genest est censé jouer devant l’empereur, amplifiant le thème de «la pièce dans la pièce». Les dernières paroles du comédien, emmené au martyre, soulignent la vocation morale de la tragédie :

Descends, céleste acteur (…)
Un favorable juge assiste à mon procès,
Sur ses soins éternels mon esprit se repose[33]

Le théâtre, scène présumée de la fiction, serait la manifestation d’une autre vie, «véritable».
À la croisée du baroque et du classique, en pleine effervescence, le XVIIe siècle voit se combattre passions aristocratiques, quêtes d’honneurs et mérite individuel véritable. Le rôle de la création dramatique est aussi sujet d’observation et de mise en abyme. Les littératures espagnoles et françaises de cette période, riches et diverses, aux passions foisonnantes et maîtrisées, en présentent le reflet.
Helga Zsàk (Hongrie)
Extrait de Ma Vie hongroise d’Aurélien Sauvageot
présenté par Helga Zsàk

Dans le texte ci-dessous, Helga Zsàk nous souhaite la bienvenue en Hongrie, par l’intermédiaire d’Aurélien Sauvageot. Ce dernier était un éminent linguiste français, né en 1897, mort en 1988. Il fut le fondateur des «études finno-ougriennes» en France (non indo-européennes, les langues finno-ougriennes sont parlées en Hongrie, en Finlande, en Estonie [voici donc un intéressant point commun entre les pays visités dans le cadre de nos voyages d’échanges et de découvertes : l’Estonie en 2018 et la Hongrie en 2020!], chez les peuples samis [lapons] du nord de la Scandinavie et en Russie, dans une région qui va de l’Oural jusqu’au Don, la liste n’étant pas exhaustive). De 1923 à 1931, Aurélien Sauvageot a séjourné en Hongrie. Il a fait publier des ouvrages de linguistique et des traductions d’œuvres littéraires hongroises et finlandaises. C’est en 1988 que paraît l’essai autobiographique intitulé «Souvenirs de ma vie hongroise», d’où le texte ci-dessous est extrait.

«C’est en l’année 1900. Une jeune mère voyage dans l’Orient-Express avec ses deux bébés. L’aîné, un garçon, a trois ans, l’autre, une fille, a 14 mois. Elle se rend de Constantinople à Paris. Elle est seule, car son mari se trouve retenu par ses obligations professionnelles dans la capitale de l’Empire ottoman. Il est français et parisien de naissance. La jeune femme est belge, une Wallonne, petite et frêle. Juste avant d’arriver en gare de Budapest, un essieu se casse dans la voiture où elle est installée. Il faut changer de voiture pour continuer sur Paris. Deux bébés et quelques menus bagages, c’est trop pour la jeune maman. Un couple hongrois s’empresse de l’aider. L’homme et la femme parlent très bien le français. Ils prennent les enfants dans leurs bras, les portent dans la nouvelle voiture et ne les quittent que lorsque tout est réinstallé. La jeune femme n’oubliera jamais cet incident dans la capitale hongroise ni la gentillesse de ce couple hongrois inconnu. Les mots Hongrie et Budapest ne perdront jamais leur résonance amicale à ses oreilles. »

 Aurélien Sauvageot: Souvenirs de ma vie hongroise (réédition de 2013, Institut Français de Budapest), cité par Helga Zsàk (Hongrie)
Ferenc Liszt : « Sentir et réfléchir pour agir : c’est la loi de toute vie harmonieuse » (citation proposée par Helga Zsàk)

***



Créations de nos membres

Patrizia Prati nous propose ci-dessous une nouvelle qui s’inscrit dans un cycle consacré à de personnages féminins

Une mauvaise femme
par Patrizia Prati

J’avais l’habitude de me réveiller à sept heures et demie du matin, et après la routine quotidienne (aller dans la salle de bain et m’habiller), j’aimais faire quelques pas jusqu’au Café d’Italie pour y prendre le petit-déjeuner. 
Je m’asseyais à une table, le livre en cours à la main, et pendant que je buvais mon cappuccino, que Giuseppe, le jeune Italien qui travaillait sur les lieux, connaissant désormais mes goûts, me préparait un peu de café avec beaucoup de crème, je me sentais vraiment bien, heureux de commencer une nouvelle journée. Je restais là durant quarante minutes, plus ou moins, avant de partir pour le travail, et j’aimais les vivre tout seul, en compagnie de mon cappuccino et de mon livre. Tout cela a continué sans changement jusqu’à il y a deux semaines. 
Ce matin-là, après avoir siroté la délicieuse crème légèrement sucrée, j’étais en train d’appuyer la tasse sur la soucoupe quand un jeune homme, portant des lunettes noires, s’est assis à ma table et m’a dit :
«Bonjour monsieur! Est-ce que vous me permettez? Vous avez un petit peu de crème sur vos lèvres.»
Avec une serviette, il me les a nettoyées. Surpris et très choqué, je suis resté bouche bée. 
«Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous déranger. Enlever cette crème a représenté un simple moyen de faire votre connaissance… Claude Arnaud, ravi de vous rencontrer.»
Quelle curieuse et inopportune manière de s’approcher d’un étranger! Sans perdre mon calme, je lui ai dit :
«Je n’ai pas la moindre intention de faire votre connaissance, monsieur.»
Même si je lui avais parlé d’une façon méprisante, l’homme, sans prêter attention à mes propres mots, sans bouger ni retirer ses lunettes noires, a continué à m’importuner avec des paroles délirantes :
«Je vous envie. Vous êtes beau, élégant, heureux, avec une lueur dans le regard. Depuis quelques jours, je vous vois boire votre cappuccino à petites gorgées et lire votre livre avec intérêt. C’est à cause de votre présence dans ma vie que je n’ai pas encore pris l’initiative de me suicider. Depuis que je vous ai aperçu, je me lève tôt, et sous un prétexte quelconque, je sors pour venir ici vous observer. Ça me donne de la force pour continuer à vivre.» 
Je n’étais pas sûr d’avoir bien compris. Ces mots forts, impertinents et désespérés en même temps, avaient produit en moi une terrible angoisse. Sur le moment, j’avais pensé lui filer un coup de main, mais les paroles sorties de ma bouche ne correspondaient point à ma première intention :
«Pardonnez-moi, monsieur, mais je ne comprends pas ce que vous dites. Pourriez-vous me laisser tranquille, s’il vous plaît?
— Je ne tiens à la vie que par un cheveu et vous êtes mon seul espoir. Ne me laissez pas seul, je vous prie, et permettez-moi de vous raconter mon histoire.
— Je vous le répète, j’aimerais bien qu’on me laisse tranquille. Si vous avez besoin d’aide, il y a beaucoup de centres spécialisés où vous pourriez sûrement en trouver. Au revoir, je dois déjà me rendre au travail, pardonnez-moi.» 
Il devait être un peu plus de neuf heures et demie quand je suis arrivé sur les lieux. Une terrible inquiétude s’était abattue sur moi. Je me sentais consterné, choqué et sidéré. Je me demandais si j’avais commis une erreur en refusant d’écouter cet homme. Il avait dit : je me lève tôt et, sous un prétexte quelconque, je sors pour venir ici vous observer. Pour qui devait-il inventer une excuse? Qu’était-il en train de faire maintenant, sachant que je refusais de lui donner un coup de main? Mais... pourquoi moi? Parmi toutes les personnes qui habitaient Paris, pourquoi moi? Je ressentais une grande culpabilité. Mais pourquoi me sentir coupable si je n’avais rien fait de mal? L’inquiétude emplissait mon corps et elle ne m’a pas quitté pendant le jour et la nuit suivant notre rencontre. Cette nuit-là, je n’ai pu fermer l’œil, en effet, et le matin, je ne savais que faire, tout en éprouvant un désir très fort : passer par le Café d’Italie afin de vérifier si Claude Arnaud, puisque c’était son nom, y reviendrait. 
J’y suis arrivé à huit heures et demie, et comme d’habitude, j’ai demandé mon cappuccino à Giuseppe. Au moment même où j’appuyais la tasse sur la soucoupe, le jeune homme, toujours avec ses lunettes noires, s’est assis à ma table. En le voyant, je me suis senti plus serein, mais je ne voulais pas l’encourager :
«Je vous ai déjà dit que je n’ai aucune intention de faire votre connaissance. Laissez-moi donc tranquille.»
Mais il ne bougeait point.
«Monsieur, partez, je vous en prie, je ne peux pas vous aider. 
— Si, vous le pouvez, vous êtes la seule personne qui peut m’aider.
— Ce sont des sottises, et je ne veux plus rien entendre. Vous devriez parler de votre problème avec un psychothérapeute. Maintenant, je dois aller au travail. Adieu.»
Le lendemain, je suis arrivé au Café d’Italie plus tard que d’habitude et je suis resté de l’autre côté de la rue pour vérifier, sans qu’il s’en aperçoive, s’il revenait encore. Avec ses lunettes noires, assis à la même table, il était bel et bien présent, jusqu’à neuf heures et demie, sans rien faire, buvant simplement un verre d’eau. Ce jour-là, comme les trois suivants, j’ai renoncé à mon cappuccino parce qu’il m’attendait toujours. J’espérais que monsieur Arnaud se lasserait de m’attendre, et que je pourrais reprendre ma vie normale. En effet, le quatrième jour il ne s’est pas manifesté. Attentif et immobile, j’ai guetté de l’autre côté de la rue jusqu’à neuf heures et demie, mais il n’est pas venu. Les jours suivants, j’ai continué à espionner le Café, mais il ne s’est plus présenté. Je ne savais pas s’il fallait rire ou pleurer. Encore une fois, l’inquiétude s’était emparée de moi. Je me faisais du mauvais sang pour lui. Et s’il s’était suicidé? Je n’aurais pu jamais me le pardonner. Après une nuit blanche, je suis retourné au Café d’Italie avec l’espoir de le revoir. Je me suis assis à la table où je l’avais connu, avec mon livre et mon cappuccino. J’ai attendu pendant une demi-heure, interminable, il n’apparaissait pas. Je partais quand une femme (la trentaine environ) s’est approchée pour dire :
«Bonjour, monsieur. Je suis la femme de Claude Arnaud.»
Mon cœur s’est mis à battre si fort que j’ai eu mal à la poitrine. Je ne me souviens pas de ce que je lui ai dit exactement, mais je suis certain de lui avoir demandé : 
«Où est-il?
— Il s’est suicidé. Vous ne l’avez pas écouté et il s’est suicidé.»
J’étais comme saisi de fièvre. Je ne savais ni que dire ni que faire. C’était un cauchemar!
La voix brisée, je lui ai dit :
«Je ne vous crois pas. Comment savez-vous qu’il me connaissait?
— Je l’ai suivi. Il quittait la maison avec une excuse, et juste après, je sortais aussi pour le surveiller. Vous êtes coupable de la mort de mon mari, monsieur, je suis venue pour vous le dire. Pour que vous le sachiez.»
Elle est partie. Je l’ai suivie en frémissant. Elle a pris un taxi, et moi un autre pour la suivre. Descendue au numéro 12, rue des Moulins, elle est entrée dans cet immeuble. Attendant sa sortie, je suis resté tout près. Une heure plus tard, elle a réapparu. J’ai attendu un instant qu’elle s’éloigne et je suis entré dans l’immeuble. J’ai interrogé le concierge :
 «À quel étage habite Claude Arnaud
— Vous voulez dire qu’il y habitait! Au quatrième, appartement n° 4.
 Pourquoi “habitait”?
— Parce qu’il est décédé.»
Mon cœur s’est mis à battre très fort, encore une fois. Quel cauchemar! Quelle absurdité! Il était vraiment mort… Non, c’était impossible, je devais continuer ma recherche. Je devais parvenir à sortir de ce mauvais rêve. 
Sans être vu, je suis monté au quatrième étage, j’ai sonné à la porte de l’appartement n° 4. Une voix masculine a demandé : 
«Qui est-ce?
— Claude! C’est François, ton ami. 
— Claude n’est pas là. Il est mort il y a une semaine. Partez, je vous prie.
— Ouvre-moi, s’il te plaît, je dois te parler.
— Non, je ne veux parler avec personne.
— Mais c’est important. Ouvre-moi.
— Non. Partez tant que c’est possible.»
Ces derniers mots m’ont donné l’assurance que Claude n’était pas mort. Il était là, derrière la porte, et il était en train de parler avec moi. Je n’avais plus peur, car il était en vie. J’ai poussé un soupir de soulagement, et j’ai cru que le cauchemar allait enfin cesser. Cependant, cette fois je ne pouvais le laisser seul, je devais faire quelque chose pour l’aider. Il fallait réussir à parler avec lui!
 «Claude, ouvre-moi la porte. Je suis ton ami du Café d’Italie, celui qui n’a pas voulu t’aider. Pardonne-moi… Je suis ici pour t’écouter, pour t’aider. Je m’excuse de ne pas avoir eu le courage de t’ouvrir mon cœur. Je regrette profondément l’erreur que j’ai commise. Permets-moi de remédier à cela.»
Il était en train d’ouvrir la porte quand j’ai entendu un bruit de pas qui s’approchaient. Je me suis caché derrière l’ascenseur. C’était la femme de Claude, et voilà ce que j’ai entendu :
«Connard! Tu étais en train de sortir, hein
— Non, non, j’étais en train de vérifier si la porte était bien fermée.
— Je ne crois pas un mot de ce que tu dis. Tu es un homme stupide, méchant et désobéissant. Tu n’as pas le droit de vivre. Tout le monde croit que tu es mort. Tu dois donc rester ici, immobile, sans bouger ni parler, jusqu’à ton anéantissement. Tu n’existes plus!»
En plus de lui jeter d’épouvantables insultes et malédictions, elle était sûrement en train de le frapper et de lui cracher au visage.
J’ai téléphoné immédiatement à la police, puis je suis allé parler au concierge (qui m’avait confié son prénom, Carmelo), afin de lui expliquer l’état réel de Claude, en ajoutant qu’il devait empêcher, coûte qui coûte, cette terrible femme de quitter l’immeuble : la police était sur le point d’arriver! Ensuite, je suis remonté rapidement jusqu’au quatrième étage avec l’espoir de la voir sortir de l’appartement. Au bout de cinq minutes d’un silence effrayant, elle a ouvert la porte, est descendue par l’ascenseur. Sans attendre une seconde de plus, j’ai frappé en disant :
«Claude, ouvre-moi, n’aie pas peur. La police arrive, et Carmelo est au courant de tout. Ouvre-moi, Claude, ne crains rien : on va te protéger.»
Le silence se faisait de plus en plus dense et terrible.
«Claude, tout est fini. Tu es libre maintenant, la vie t’attend. Tu n’as plus à te cacher, à obéir à quelqu’un, à vivre dans la peur. Tu es une per-so-nne, Claude, et comme toutes les personnes, tu as le droit de vivre ta vie comme tu le veux!» 
Le silence était insoutenable.
«Claude, réponds-moi!»
J’ai entendu la porte qui s’ouvrait. Il était là, le visage tuméfié par les coups, les yeux éteints et pleins de larmes. Il ne pouvait tenir debout. Je l’ai pris dans mes bras en chuchotant :
«Fini, tout est fini… tu es sauf!»
Avec l’aide de Carmelo, la police a arrêté cette femme répugnante qui, pendant si longtemps, avait ruinéla vie de Claude. Elle ne mérite pas qu’on rappelle son nom!
Maintenant, avec l’aide d’un psychothérapeute et de ses amis, parmi lesquels je compte, Claude a commencé à vivre. Son histoire est celle de toutes les personnes qui souffrent de violence psychologique et physique. Quant à moi, j’en ai beaucoup appris... Dès le jour de ma première rencontre avec Claude, au Café d’Italie, ma vie a profondément changé. Avant de le connaître, je croyais vivre bien, content, comme je l’étais, de l’existence que je menais. Mais le cas de Claude m’a révélé que beaucoup de choses me concernaient, que je voulais et pouvais les changer. Maintenant, chaque instant de ma vie possède une signification, un sens, ce qui me donne la possibilité d’être vraiment attentif à mes sentiments et à ceux des autres.
Patrizia Prati (Italie)

***

Marie-Louise Scheidhauer nous présente ici un compte-rendu du dernier recueil de poèmes de Sabine Badré, intitulé « Gratitude » (2019, Renon, Ruelle sur Touvre, Charente) 

Sur la première de couverture : Les Mâts de Nicolas de Staël
Sur la quatrième : le sourire de Sabine
Gratitude est le titre du premier poème alors que tout le recueil est une sorte d’offrande : des «paumes ouvertes» comme dirait François Cheng. C’est la prière d’une vie qui apparaît sous différentes images : celle d’un voilier qui s’approche du port, celle d’un marcheur qui avance sur un chemin, celle d’une rivière qui se souvient de sa source.
Le recueil est dédié «à tous ceux qui furent des phares». 
Le bateau du poète s’avance vers le port. Métaphore d’une vie qui se cherche, mais jamais ne se perd, grâce à une lumière qui se montre toujours à l’horizon. 

Comment brûleront ton cœur,
Ton corps, ton âme
Pour allumer les jours et les nuits
Qui s’enchaineront
Dans l’étonnement constant?

Le bateau connaît des tempêtes, des calmes plats. Il subit des avaries. Mais il résiste toujours. Une lumière intérieure, un désir profond rejoignent l’étincelle inextinguible.
Sabine s’adresse à quelqu’un, souvent à elle-même, comme dans le poème «Vole mon cœur».

Vole mon cœur
……………………..
Habité par l’ailleurs
Qui toujours sera là,
Comme un phare allumé
Brillant et salvateur, 
Sur la route lointaine 
Où tu es attendu.

La route est souvent semée d’embûches. C’est néanmoins une «Via Lucis» où le soleil peut briller dans une flaque. Il est recommandé de ne pas s’encombrer pour aller vers l’inconnu, vers la Beauté toujours inachevée qui nous appelle en même temps qu’elle est hors de portée. 
D’où l’errance : 

Je suis errance : Perte de soi! Perte de tout/De sa vie/En morceaux/Impossible à reconstituer/À recoller/À joindre

La marcheuse est l’«ombre de celle qu’(elle fut)». 
Mais l’exhortation vient d’une voix plus forte que la mort : «Vis! Je suis là».
Et des fleurs s’épanouissent au bord du chemin : roses et fleurs des champs.
Des lieux attirent comme des aimants : Saint-Sulpice et «mon sixième adoré», qui émettent des effluves d’amour et de tendresse. 
Le fleuve se souvient de la source, de son jaillissement, de son surgissement. Toutes ces images sont portées par une foi profonde et une espérance sans cesse renaissante.
Si le chemin est de misère, il est jalonné de splendeurs et donne lieu à de fabuleuses rencontres : Pouchkine, Makine en Russie, Rimbaud, Alain Fournier, Augustin Meaulnes en Sologne.
À son bord restent en attente tous les laissés pour compte d’un monde qui ferme les yeux. Souffrance… Et le chemin zigzague jusqu’à ce carrefour où le marcheur jette son cri de révolte contre les sentiers battus, décidant d’emprunter un chemin nouveau. 

Ça zigzague
Ça zigzague 
Dans ma tête
…………………..
Éclatent des visages
Qui furent ceux d’une vie. 
Les rires fusent 
Sur les sentiers multicolores, 
Il faut chanter encore
Les yeux voilés de pleurs
Qui font surgir les fleurs

Le recueil se termine par un adieu aux amis ainsi qu’un poème intitulé «Amour»
Compagne émue sur le chemin de vie évoqué par Sabine, je dis à mon tour : gratitude!
Marie-Louise Scheidhauer (France)


[1] Marc Leboucher, Le Souffle et le roseau, Salvator, 2017, p. 100.
[2] Marc Leboucher, Lettre à François Mauriac, dans La Procure, cent ans de partage, p. 179.
[3] Marc Leboucher, Le Souffle et le roseauop.cit., p. 104 et 105.
[4] François Mauriac, cité par Marc Leboucher dans Lettre à François Mauriacop.cit. p. 179.
[5] François Mauriac, cité par Marc Leboucher dans Le Souffle et le roseau, Salvator, 2017, p. 108.
[6] Ibid.
[7] Marc Leboucher, Lettre à François Mauriacop.cit., p. 179.
1. Je voudrais remercier Claude Hecham pour l’aide précieuse qu’elle m’a apportée lors de ma recherche sur les titres français des poèmes de Mauriac.
[9] Louis Hémon, Maria Chapdelaine, Paris, Grasset, 39e édition, Le livre de Poche, 2018, p. 7.
[10] Ibid. p. 13.
[11] Ibid. p. 178.
[12] Ibid. p. 107.
[13] Ibid. p. 145 
[14] Ibid. p. 107.
[15] Ibid. p. 29.
[16] Ibid. p. 121.
[17] Ibid. p. 182.
[18] Ibid. p. 186.
[19] Devez Michel, «Héroïsme et influence espagnole du temps de Louis XIII» in «Histoire et création littéraire sous les règnes d’Henry IV et de Louis XIII», Actes du colloque de Strasbourg, Paris, Klincksieck, 1974 et LOSADA GOYA José Manuel, «Bibliographie critique de la littérature espagnole en France au XVIIe siècle. Présence et influence», Genève, Droz, 1999.
[20] https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome31.djvu/213
[21] Pour la comparaison, avec la pièce espagnole, voir CORNEILLE, P, «Oeuvres complètes», textes établis, présentés et annotés par G. Couton, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade., 1982, t. 1. Notes p. 1472.
[22] Cité par G. Couton, ibid. p. 1474.
[23] I / 3 v 314.
[24] Terme utilisé par Victor Hugo dans «Les Misérables» pour évoquer le débat de conscience d’un de ses personnages.
[25] II/ 8. Vv 676.
[26] Corneille P., «Oeuvres complètes», textes établis, présentés et annotés par G. Couton, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade. 1984 t. 2. p. 556.
[27] Ibid., p. 1426.
[28] I/ 3 v 201-204. 
[29] V/ 7 v 1474.
[30] V/ 7 v 1830.
[31] «Théâtre du XVIIe siècle», textes choisis, présentés et annotés par J. Scherer, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1975, p. 1326.
[32] II./7 v 139. All the world ’s a stage.
[33] IV/ 7 v 1255 et V/4 v 1622-23

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