Intervoix n° 29

Éditorial

Berlin ne peut laisser indifférent. Les pierres y parlent. Le mur y interpelle. L’histoire y a laissé tant de traces. Le présent bulletin rend compte de quelques rencontres singulières avec la ville.
Aucun de nous n’a pu ignorer ni le mur, ni les croix blanches. Peu d’entre nous ont vu « les pierres de la mémoire » comme les appelle Monique Mangold. Et pourtant... Elles sont destinées à faire trébucher le passant. « Passant, qui que tu sois, ne passe pas outre sans te demander ce qu’elles veulent dire ».
Le présent numéro pourrait fonctionner comme pierre de mémoire, « Stolperstein » en allemand, pierre d’achoppement. Il émerge de notre passage dans cette ville, encore divisée il y a peu de temps, divisée dans un monde divisé, divisée en deux par un mur comme le reste du monde était divisé en deux par un rideau de fer.
Mais il y eut ce geste pendant notre colloque. Ce geste de l’un d’entre nous, sortant son stylo pour écrire sur le mur de la honte: liberté, amitié, fraternité. Geste fort de notre association qui affirme notre désir de faire une brèche, un passage pour se connaître dans une reconnaissance mutuelle ainsi que le suggère Paul Ricœur dans un de ses derniers ouvrages qui porte le titre éponyme. Car, ne nous leurrons pas, il ne suffit pas d’abattre des murs réels pour partager une même humanité. Mais ceci nous mène droit au sujet de notre colloque: Écriture et identité. Colloque qui comme tout colloque digne de ce nom s’ouvre sur une question. « Qui suis-je? », question qui reste sans réponse sinon celle provisoire formulée au cours de la table ronde: « je ne le sais, mais je puis en lire quelque chose dans le regard de l’autre » ou encore: « j’en saurai peut-être quelque chose au bout de ma quête ».
Et puisque François Mauriac reste notre référence, disons tout de même, à la suite de Claude Hecham, que l’écriture mène celui qui écrit comme celui qui la lit sur le chemin de la rencontre avec soi-même et avec l’autre, comme elle a mené Louis, le personnage principal du roman Le nœud de vipères vers la partie intime de lui-même, celle que lui- même ignorait, le noyau de feu et d’amour enfoui au plus profond de sa nuit.
Le présent numéro se veut aussi une pierre de mémoire pour tous les membres de l’association qui n’ont pas pu faire le voyage mais qui n’étaient pas tout à fait absents.
Quelques-uns laissent leur trace dans ce bulletin signalant des pages, des lectures, des conférences qui contribuent à approfondir notre recherche de sens de notre existence.
Et sans doute est-il inutile de dire que notre écriture est portée à son plus haut niveau, dans la dimension verticale de la poésie qui occupe la place centrale du bulletin avec la révélation d’un poète qui a écrit derrière le rideau de fer, dans des conditions extrêmes: Vassyl Stouss.
Enfin il est plus que temps de dire notre gratitude à Nina Nazarova, notre présidente, qui a organisé notre séjour et notre colloque dans la ville qui laisse une si profonde impression.
Marie Louise Scheidhauer

Musique et La Source par François Mauriac (Extraits)

« Quand je retourne vers mon enfance, je m’aperçois qu’elle fut, a son insu, baignée de musique – musique très médiocre au collège, meilleure à la maison où ma mère chantait avec une belle voix de mezzo-soprano, du Schubert, du Schumann, un peu de Wagner, et ces mélodies de Gounod dont quelques-unes ont gardé pour moi leur puissance d’incantation et, aujourd’hui encore, ressuscitent le paradis perdu.
Ma mère disait : “C’est le seul de mes enfants qui ne soit pas musicien...” Je la croyais sur parole. Il était entendu que je n’avais pas d’oreille. La place immense qu’occupaient dans ma vie secrète les chants de la maison et du collège ne m’éclairait pas sur mon goût profond...
Le règne de la TSF commence la nuit...surtout si vous êtes seul dans le vieux salon d’une campagne perdue, entouré d’un silence de fin du monde. Toutes les forces mauvaises de la terre et de l’air sont enchaînées. Je suis à Malagar, et j’entends respirer ce musicien à Stuttgart, je l’entends froisser une page de la partition... et tout à coup, pour moi seul, un trio de Mozart, un Quatuor de Beethoven s’épanouit au cœur de la nuit. »
« [Aujourd’hui] si des tziganes, un jazz m’entraînent hors de moi-même, Mozart, aussi léger, aussi gamin qu’il puisse être à ses heures, m’y ramène et m’y retient.
Cela est si vrai qu’il n’existe pas de joie plus triste, si j’ose dire, que celle que nous lui devons, presque insoutenable parfois. Car il s’agit toujours d’une confrontation en nous avec ce qui est perdu, et qui ne pourra être sauvé que grâce à un miracle de l’amour divin – confrontation de l’homme chargé d’une longue vie coupable, criminelle peut- être, avec l’enfant qu’il fut ; de la créature fourvoyée dans de basses souffrances avec la joie qui était sa vocation, cette joie pour laquelle elle avait été créée et était venue en ce monde.
La musique de Mozart est une remontée délicieuse mais exténuante vers les sources. Quand nous étions enfants, entre toutes nos promenades il en était une dont on ne pouvait parler sans que je fusse inondé de bonheur et d’inquiétude : “Nous allons aller aux sources de la Hure...”, c’était le ruisseau qui coulait au bas de notre jardin. Nous partions fous d’espérance, bien que nous ne les eussions jamais atteintes, ces sources. Mais il nous semblait impossible de ne pas les découvrir enfin... et puis, une fois encore, nous nous perdions dans les fourrés inextricables, nous nous enlisions dans le marécage des prairies, et jamais nous ne pûmes, à genoux, toucher des lèvres et des mains, en écartant les fougères, lorsqu’elle jaillit de la boue, l’eau glacée de notre enfance.
Mon angoisse au retour de cette promenade, que de fois l’ai-je reconnue lorsque j’écoutais Mozart...
Vivre, pour presque tous, c’est s’éloigner de ce paradis dont Mozart rassemble les voix... »
(Extraits choisis par Margaret Parry)

Berlin, aujourd’hui. Regards singuliers

Lettre à Margarita
Ma chère Mimi,
La préparation des vacances m’ayant accaparée, je n’ai pas trouvé un seul moment de liberté pour t’écrire; mais nous sommes de retour et comme promis je vais te donner un aperçu du colloque de Berlin, qui s’est déroulé du 9 au 14 mai dernier.
Tu sais que j’avais une appréhension: comment allais-je trouver la capitale de l’Allemagne en ce début du vingt-et-unième siècle, alors que ma mémoire est remplie d’images affreuses de cette ville?
Ma première démarche, au sortir de l’aéroport Tegel, a été une visite au musée des Antiquités: je disposais de cinq heures avant le rendez-vous à l’hôtel Energie et je voulais prendre contact avec Berlin sur un terrain qui m’est familier. Comme je ne parle pas l’allemand, le terrain d’entente parfait avec les Allemands me paraît être l’archéologie. En effet je me suis sentie immédiatement à l’aise, très bien accueillie par le personnel du musée. Je peux dire que pendant tout le séjour cette gentillesse ne s’est jamais démentie, que ce soit dans la rue ou dans le métro. On peut même rencontrer des gens parlant français et l’anglais sert aussi dans bien des circonstances. Mais tu veux savoir ce que j’ai vu au musée de si intéressant? En entrant, le petit cheval de bronze de style archaïque a tout de suite attiré mon regard, car il évoque l’Iliade d’Homère. Les bijoux et le sarcophage d’ivoire trouvés dans une tombe étrusque, les vases peints d’une grande beauté provenant de fouilles en Grèce, tout montre la richesse de cet Altes Museum. La ville de Priène, en Asie Mineure, occupe toute une salle, car le travail des archéologues allemands y a été particulièrement fructueux –tu te souviens que nous avons visité ce site en Turquie. Enfin, j’ai passé trois heures merveilleuses et je suis ressortie pleine d’énergie pour affronter la ville moderne.
Le métro aérien la traverse et permet d’apercevoir les constructions les plus époustouflantes comme la gare centrale ou la tour de la télévision. Une visite organisée en car m’a permis de découvrir le Sony Center de Potsdamer platz avec notre groupe ainsi que les vastes avenues Unter Den Linden ou Kurfürstenstrasse-les Champs- Elysées de Berlin. Mais c’est le dernier jour que j’ai pu me rendre avec une amie à la Porte de Brandebourg et au Reichstag. Les anciens bâtiments ont presque tous disparu et l’architecture extravagante des nouvelles constructions m’a paru écrasante, menaçante parfois, comme cette “machine à laver” de la chancellerie où Angela Merkel a ses bureaux.
Nous avons bien travaillé pendant les deux journées du colloque dans une salle aménagée au sous-sol de l’hôtel: les conférences se faisaient en français pour une dizaine de nationalités et nous pouvions échanger quelques mots pendant les pauses avec des amis venus de Paris ou du Liban. Un poète roumain avait voyagé trente-six heures en autocar, pour venir au colloque; une poétesse allemande de quatre-vingt- douze ans nous a étonnés par sa vitalité; très inspirée, elle a lu le poème qu’elle venait d’écrire et tout le monde était bouleversé! Nos auteurs favoris nous avaient fourni de la matière pour le thème Écriture et identité: Mauriac, Makine, Sylvie Germain, Amin Maalouf, Emmanuel Carrère. Mais nous avons aussi découvert Wajdi Mouawad ou Sebald. Il faut que tu lises Austerlitz, roman d’une profonde humanité.
Les soirées étaient bien appréciées après ces journées chargées: ne pas oublier que les intellectuels sont aussi des épicuriens! Les vins du Rhin ou d’Arménie ont accompagné nos chansons! Le cadre de l’Orangerie au château de Charlottenburg nous a fait rêver aux fastes de la monarchie prussienne: quatre-cent couverts servis par des jeunes-gens en costume dix-huitième. Les musiciens du concert baroque étaient costumés aussi. Mais le dîner-promenade en bateau sur le fleuve nous a encore davantage fait apprécier le charme de Berlin au printemps, car la Spree traverse la ville ancienne et les nombreux parcs où les berlinois vont se détendre; sur les berges, les terrasses des bars à bière débordaient de buveurs, chope en main! Pas de précipitation donc, pas de presse: en Allemagne, on attend, on ne s’impatiente pas. On fait les choses en ordre, l’une après l’autre, écrivait Brigitte Sauzay (1) à la fin de son Journal d’Allemagne 1997 publié chez Plon en 1998. Nous avons fait les choses en ordre, nous aussi, travaillant dans la journée et sortant le soir comme des milliers de berlinois, heureux de goûter à la douceur du printemps et de l’amitié.
Claude Hecham
Note 1- Brigitte Sauzay, co-directrice de l’Institut Berlin-Brandebourg de Genshagen avait publié son journal sous le titre Retour à Berlin. Elle avait reçu le prix De Gaulle- Adenauer à l’occasion du 35e anniversaire du Traité de l’Elysée.

Berlin dans ma vie

Le comité directeur de l’Association a eu une excellente idée de nous réunir en mai 2013 à Berlin – ville mondiale culturelle et artistique de premier plan. Grâce aux grands efforts de Nina Nazarova et d’autres membres du Comité de direction notre séjour de presque une semaine à Berlin fut une pleine réussite tant au point de vue scientifique que culturel. Moi, je voudrais relater quelques raisons personnelles de ma participation à cette rencontre inoubliable qui m’a permis, en premier lieu, d’avoir une nouvelle occasion de revoir mes anciens amis de l’Association. Premièrement, ce fut, à coup sûr, ma participation au colloque avec une communication consacrée cette fois-ci à l’œuvre de Gregor von Rezzori, grand écrivain d’expression allemande (dont les livres les plus importants ont vu le jour en version française), né en 1914 à Czernowitz, en Bucovine, et puis amené successivement à Vienne, Bucarest, Berlin, Hambourg puis dans ce coin de Toscane où il est mort en 1998. Comme il avait passé à Berlin plusieurs années avant et pendant la guerre 1939-1945, ce fut donc pour moi une belle occasion de marcher sur les traces de l’écrivain, d’autant plus que, par pure coïncidence, notre colloque s’est tenu à l’hôtel situé dans la Wielandstraße où en 1939, à la pension Haxthausen, avait logé Gregor von Rezzori. Il en parle dans son livre autobiographique Sur mes traces (p.188). Il y relate les années passées à Berlin, surtout sa première impression de la ville, avec un sentiment de déception et de désillusion. Tout ce qu’il avait imaginé dans les années 20 sur cette ville de l’expressionnisme et du futurisme, le légendaire Berlin, capitale de l’Europe, il n’en trouva nulle trace. Il compare l’impression qu’il a gardée de cette ville avec celle « d’un lieu où l’on travaille consciencieusement mais qui, comme dans les coulisses d’une pièce de théâtre retirée de l’affiche, ne présente rien de dramatique. La scène était vide et bien aérée, avec juste un reste de passé poussiéreux » (p.163). Mais, comme nous le savons bien, c’était « l’accalmie avant une tempête », et Rezzori, quelques années plus tard verra Berlin à ses pieds « aplati par les bombes » (p.161). Ici l’écrivain fait allusion à Rastignac qui, arrivé à Paris, contemplait depuis une colline la ville de lumière se jurant de l’avoir un jour à ses pieds.
En voyant Berlin aujourd’hui, je n’en croyais pas mes yeux : comment la ville, détruite à presque 98% a-t-elle pu renaître, comme le Phénix, de ses cendres et devenir si belle ?
Deuxièmement – ce fut une opportunité de revoir « mon enfant de Berlin » - mon petit-fils Stanislaw qui y étudie la psychologie. Je l’ai trouvé grandi, plus intelligent, plus sûr de lui, ce qui m’a beaucoup réjoui.
Enfin, me trouvant à Berlin, j’ai évoqué les souvenirs inoubliables de notre première visite de cette ville avec Irène remontant à 1994, en particulier les recherches du Mémorial soviétique du Treptower Parc, où dans une fosse commune devaient reposer les restes de son père Anton, mort en 1944 lors des combats acharnés sur le fleuve Oder. Son sort n’aurait pas pu être différent, car il y avait été envoyé par les Soviétiques comme chair à canon à une mort certaine. Je revois Irène saisie d’une grande émotion, avec des larmes aux yeux quand elle a appris que le nom de son père se trouvait dans la liste parmi les morts ensevelis dans cette fosse commune. Puis elle ouvre un petit sachet rempli de terre ramassée dans sa ville natale et la répand au-dessus de cette fosse. De tels moments se gravent pour toujours dans la mémoire.
Comme je l’ai déjà souligné au début de l’article, Berlin était et reste toujours une des capitales culturelles mondiales avec, entre autres, 165 musées, 146 bibliothèques et 60 théâtres. Parmi les grandes célébrités berlinoises, c’est Marlène Dietrich qui me vient la première à l’esprit. Dans mon adolescence et dans ma jeunesse, j’avais un faible pour le cinéma, je découpais des photos des grandes stars et les gardais longtemps dans mes collections. Une place d’honneur y appartenait à Marlène Dietrich – cette Berlinoise de souche, même si la guerre et le nazisme l’ont obligée à l’expatriation et à la naturalisation américaine. Elle a passé les douze dernières années de sa vie, cloîtrée dans son appartement de l’avenue Montaigne à Paris, où elle est morte en 1992. Sa tombe est visible au cimetière de Friedenau à Schöneberg, non loin de celle de sa mère. Je parle d’elle avec tant de détails parce que j’ai eu le grand bonheur et privilège d’entendre cette « Blonde Vénus du cinéma allemand” chanter à un concert à Moscou en été 1964. En ce temps-là je m’y trouvais pour régler mon transfert, hélas raté, à l’Institut des relations internationales. A l’époque, j’étais trop jeune pour apprécier à sa juste valeur la grandeur de cette star qui donnait au public ce qu’il voulait : du rêve, du glamour, de la sensualité, de la poésie en fait. C’est avec une grande émotion que j’ai découvert dans l’allée des stars de Berlin l’étoile de Marlène Dietrich qui fut de son vivant l’incarnation de la femme fatale et demeure jusqu’à présent l’un des grands mythes du cinéma mondial.
Taras Ivassioutine

Pierres de Mémoire

A Berlin, de petits pavés dorés sont encastrés dans certains trottoirs,
devant les maisons des victimes éliminées au long des années noires.
Attirant l’attention des passants, et rappelant la tragique Histoire

ces humbles et puissants témoignages honorent leur mémoire.

Hier wohnte, ici vivait Ana Worms, née en 1930, Auschwitz 1943. Exterminée.
Ces carrés de pierre sont recouverts d’une fine couche de laiton doré

où sont gravés nom, dates, camps de concentration et d’exécution du déporté,
coupable d’être juif, homosexuel, opposant. Tout individu “hors normalité.”

Stolpersteine, des pierres sur lesquelles on trébuche, disent les Allemands.

Ces pavés devraient inciter à s’arrêter, à s’interroger un instant

sur l’enfer que vécurent ces hommes, ces femmes, ces enfants.

Nul ne devrait oublier le passé, ou le nier pour construire le futur. Et le présent.
Monique Mangold

Les Croix Blanches

Hors des principaux lieux historiques très fréquentés,

elles sont accrochées au grillage d’un parc en toute simplicité.
Sans décorum aucun, sobres, modestes, épurées,

elles suscitent intérêt, questionnement et attisent la curiosité.

Pour franchir le mur de la honte, certains étaient d’une folle témérité.
Cachés à l’intérieur de voitures, recroquevillés, pétrifiés,

dissimulés dans des bateaux ou traversant à la nage la Spree,
creusant des souterrains, tous voulaient atteindre « l’autre côté ».

Nombre d’entre eux, jeunes pour la plupart, furent tués.

Sur le sol où ils étaient tombés, des croix avaient été dressées.

Hommage aux victimes mortes dans la solitude, la souffrance, l’obscurité,
ces Croix Blanches rayonnent de puissance, de paix et de clarté.
Monique Mangold

Le Mur

Muraille divisant la ville en secteurs d’occupation.

Frontière entre deux mondes, Est et Ouest, interdisant toute circulation.

Barrage dressé par un régime totalitaire et d’oppression.

Le mur de Berlin criait la révolte, la souffrance des êtres déchirés par la séparation.

Non pas simple ligne de démarcation, il était dispositif militaire.
Systèmes d’alarme, barbelés, clôtures électriques meurtrières,
miradors, zones minées, no man’s land, univers concentrationnaire.
Impitoyables, gardes et chiens surveillaient cet enfer suicidaire.

Malgré les obstacles, il tentait de s’évader, l’Homme emmuré.
Audacieux, courageux ou inconscient, il avait échappé à tous les dangers.
Soudain, une balle mortelle l’atteignit. Il s’écroula... Foudroyé.

Seuls quelques mètres le séparaient pourtant de la Liberté.

La chute du mur survint, enfin, dans une liesse indescriptible.
Mais dans les esprits demeurent des empreintes indélébiles.
La mémoire des lieux survit, invisible, mais perceptible.
Cœurs serrés, les angoisses, les émotions affluent. Indicibles.

Symbole de tous ces hommes disparus en d’anonymes sépultures,
un vestige du mur subsiste recouvert de messages, de peintures.
personnages, Bruderkuss, graffitis colorés, soleil, fleurs, verdure ...
témoignages d’espoir de paix universelle pour des temps futurs.

Monique Mangold

Le franchissement du mur

Il est fait violence à votre frère
Et vous, vous fermez les yeux!
Le blessé pousse un hurlement
Et vous vous taisez!
Le forcené se retourne et choisit sa victime.

Et vous:
« Il nous épargne car nous naccomplissons pas de méfaits »
Quelle sorte de ville êtes-vous?

Quelle espèce dhumains êtes-vous?
B. Brecht

A cet endroit de la capitale allemande il reste quelques centaines de mètres du mur. Juste derrière coule paisiblement la Spree. De quoi ce mur a-t-il été témoin? De quels franchissements? De quelles tentatives d’évasion? De quelles morts?
Aujourd’hui il est rempli de peintures, de slogans, d’extraits de poèmes, de graffitis, de signatures qui tous disent l’espoir en un monde non divisé en deux, non marqué par une partition inhumaine.
Nous nous sommes arrêtés pour regarder ce mur de l’expression, de la protestation, du « jamais plus ».
Taras a sorti son stylo. Il a trouvé un coin de mur, vide d’inscriptions. Il a écrit « Liberté », puis il a ajouté « amitié ». Je lui ai dit « Fraternité » et il a écrit « Fraternité ».
J’avais contemplé ce mur l’année précédente. L’idée ne m’était pas venue d’y inscrire quoi que ce soit. Pour moi il appartenait à l’Histoire. Pour Taras c’était sa réalité. Et soudain, j’ai mesuré l’extraordinaire chance de ce moment exceptionnel qui réunissait dans la joie ceux que la stupidité humaine avait séparés. Non seulement le mur était franchi, mais il avait disparu presque partout et avec nous chantaient ceux que nous avions déjà rencontrés en littérature, les dissidents de tout bord, qui en fin de compte vivaient dans leurs écrits. Je pense plus particulièrement à Heiner Müller qui avait vécu et souffert au bord de la Spree et dont le théâtre est joué à Paris, sur les bords de la Seine.
Maintenant le mur s’enrichissait de ces trois mots « Liberté, amitié, fraternité » qui fulguraient à côté de nombreux autres et qui pour moi avaient une résonance particulière, au sein de notre association, petit monde que ne réunissait pas seulement l’amour de la littérature, mais aussi un lien plus fort, l’espérance d’écrire ne serait-ce qu’une page, une petite page d’une histoire sans ombre de mur.
« Le franchissement du mur dans la littérature soviétique » n’était-ce pas l’intitulé du colloque qui avait réuni au Tertre, le château de Roger Martin du Gard, les participants d’un colloque qui traitait de l’enfermement de l’homo sovieticus non seulement derrière un mur, mais dans une pensée unique, dans un art officiel, dans une écriture stéréotypée que seules pouvaient sauver les paroles ailées, ces envolées de la poésie, chemins de la voix libre qui franchissaient en dépit de tous les censeurs et de tous les geôliers, toutes les enceintes.
Marie Louise Scheidhauer

Le Nouveau Berlin

Tel le phœnix, Berlin renaît de ses cendres

Tours, immeubles, édifices rivalisent d’originalité, d’audace, d’élégance.
Formes, lignes droites, courbes... se côtoient, se croisent avec extravagance.
Béton, acier, pierre, bois, et le verre, jouant de la transparence.

Chaque quartier affiche sa culture, son appartenance et sa différence.

Après la chute du Mur, Berlin, endeuillée, appauvrie, blessée, mutilée,
panse ses plaies mais assume le poids de son lourd et douloureux passé.
La cité et les hommes font preuve de courage, de rigueur, de volonté
pour restaurer, voire magnifier, les bâtiments anciens. Et surtout créer.

Une élite mondiale de bâtisseurs contemporains visionnaires

a contribué à la restauration et au renouveau par des projets téméraires.
La mise en œuvre de chantiers géants dépasse l’imaginaire.
L’architecture futuriste s’épanouit à l’aube du troisième millénaire.

Mosaïque de populations et d’activités dans de nombreux secteurs,
éventail d’institutions d’enseignement et de recherche, de valeur,
arc-en-ciel de musiques, théâtre, spectacles hauts en couleurs,

la ville dispose d’atouts intellectuels, culturels et artistiques majeurs.

Nouvelle capitale de la République Fédérale d’Allemagne depuis la réunification,
Berlin a reconquis ses terres, son esprit d’innovation et ses ambitions.

Entre lieux intimistes, grandioses espaces surréalistes, oasis de végétation,

la métropole européenne d’avant-garde s’offre aux jeunes générations.
Monique Mangold

Berlin, hier,
dans des écrits journalistiques, épistolaires, romanesques

Ach wie gut schmeckt mir Berlin
Französische Passanten im Berlin der zwanziger und frühen dreiziger Jahre
Que Berlin est donc à mon goût!
Des Français de passage à Berlin, dans les années 20 et au début des années 30 (Im Verlag Das Arsenal)

C’est pendant l’une de nos pauses que Gilda Rodeck nous a apporté le livre dont l’intitulé figure ci-dessus. Je lui ai promis d’en faire un compte rendu dans notre bulletin. Ce livre nous avait été signalé par Véronique de Coppet et par Margaret Parry. Et pour cause. Nous y découvrons une ville dont nous ignorons aujourd’hui l’existence et ceci à travers des écrits émanant de Français l’ayant visitée après la Première Guerre mondiale et jusqu’au début des années trente. Parmi ces Français il en est un dont le château nous a hébergés au Tertre: Roger Martin du Gard dont la petite-fille, Véronique de Coppet, entretient la mémoire. Il a fréquenté Berlin à l’instigation de son ami, André Gide, et il a été subjugué par cette capitale. Au cours de son séjour il écrit des lettres à son ami qui lui répond. Ces lettres ainsi que des extraits de son journal, rapportent ses activités, ses rencontres, ses découvertes. L’ensemble se termine par les lignes que je reproduis:
« Journal
Bellême, le 20 décembre 1932
Il existe une tristesse larvée partout. Ici je suis un vieux garçon. Ailleurs sûrement aussi. Mais là-bas, je me sens un autre. La différence est énorme. »
Roger Martin du Gard est notre lien vivant avec la ville où s’est tenu notre dernier colloque. Et c’est pourquoi nous réservons une place de choix au livre et à ses auteurs: Margarete Zimmermann assistée de Gilda Rodeck.
Dans l’avant-propos, Margarete Zimmermann présente les différentes catégories de visiteurs et l’objectif de leur visite. Elle distingue trois périodes:
1921 à 1926,
1926- 1930 (marquée par les accords de Locarno),
Autour de 1932,
Parmi les premiers visiteurs elle signale Robert de Tratz, journaliste et éditeur, qui découvre, à travers un regard non dénué de préjugés, la misère de Berlin au sortir de la Première Guerre mondiale. Henri Béraud, témoin oculaire, écrit un livre Ce que jai vu à Berlin et parle d’une ville qui a soif de vivre.
Nathalie Sarraute (Natascha Tschuniak) étudie pendant un an à l’Université de Berlin. 15
Paul Valéry est amené à y faire des conférences. Fernand Léger y voit un «bloc lumineux. »
Berlin est la ville des contrastes (et c’est encore le cas aujourd’hui) comme le montre l’aquarelle de Jeanne Mammen intitulée Bei Aschinger qui figure sur la première de couverture.
René Crevel est admiratif du style de vie nouveau.
Le Berlin dont R. Martin du Gard fait la connaissance dans les salons, les cercles, les manifestations artistiques ne ressemble en rien au Berlin des bas-fonds que Joseph Kessel peut infiltrer grâce à un ami journaliste. Cependant, l’un comme l’autre reconnaissent une ville libérée, entre autres, vis-à-vis du corps, du sexe, des préjugés.
Après 1930 et le crash de Wall Street, les visiteurs sont confrontés à une ville aux prises avec le chômage, la pauvreté et la crise économique.
Pierre Mac Orlan publie Photoband Berlin, en 1935. Raymond Aron s’inquiète de la montée de l’antisémitisme.
Quelques écrivains, comme Ph. Soupault ou J. Kessel, nés aux environs de 1900, ayant encore connu la Première Grande Guerre, fréquentent la ville comme quelques anciens étudiants ayant étudié l’allemand entre 1970 et 1918 et une génération de Juifs inquiets de la montée de l’idéologie nazie.
Seules, Madeleine Paz, journaliste, et S. Weil, philosophe, représentent les femmes.
Ce livre est très intéressant parce qu’il présente une ville qui contient les prémisses de l’Allemagne nazie, qui explose sous certains aspects, qui vit dangereusement, qui explore des domaines inconnus, qui frémit d’une vie souterraine, mais une ville inconsciente du fait qu’elle va disparaître sous les décombres.
M L Scheidhauer

Roger Martin du Gard à Berlin

Au début des années 30 du 20e siècle, un écrivain français célèbre d'âge moyen se promène seul dans les rues de Berlin. A quoi s'intéresse-t-il? Qu'est-ce qu'il en transmet et comment? C'est en quelques mots que j'essayerai d'en donner une idée.
En mars 1932, ensuite en octobre et en novembre de la même année, Roger Martin du Gard se rend à Berlin. Les deux séjours ont un caractère assez différent. C’est d’abord la prise de contact avec la ville en flâneries incognito, plus tard, il y a aussi des rencontres officielles: conférence à l'université de Berlin, rencontres avec un éditeur allemand connu, dîners chez l'ambassadeur.
Enthousiasmé par la première visite, spontanée, sorte d’échappée, RMG parle surtout de ses rencontres avec les Berlinois, brèves entrevues avec des chômeurs de toutes sortes auxquels il offre une bière ou un repas dans un petit restaurant. Il comprend et parle assez bien l'allemand pour suivre les conversations, il interroge ses interlocuteurs sur leur situation et leurs vues politiques, et il trouve “l'Allemand moyen” (Corr. p.378) aimable, social et capable de jugement, considérant Hitler “comme un bourreur de crânes” (Corr. p. 379). La griserie de ces dix jours de liberté l'emporte sur l'analyse politique; il se déclare “complètement conquis” (Corr. p.383).
Son deuxième séjour, plus long, se passe dans la situation politique tendue autour des élections du 5 novembre. Le 24 octobre, il assiste à une manifestation hitlérienne au vélodrome; dans son journal, il décrit la façon de parler de Goebbels qui fait un discours violent, très théâtral, amenant le public à des rires sans fin; le public lui paraît borné, cherchant uniquement la confirmation de ses préjugés.
A part cette impression de la vie politique, ce sont certains aspects de la vie sociale qui attirent son attention: A l'institut de Magnus Hirschfeld, lieu de recherche sur l'homosexualité, il a l'occasion de parler - “en psychiatre français” – avec des patients qui lui expliquent leur situation; dans un bar “littéraire”, il rencontre la faune nocturne des jeunes auteurs et acteurs; il visite une école communiste qui lui rappelle une crèche; il fréquente un bar de lesbiennes où il y a des femmes 'gigolos' employées et payées par l'établissement; il s'amuse à observer, dans le “Wellenbad”, piscine couverte à vagues artificielles, “une jeunesse déchaînée, à demi nue, sportive et gaie” (Corr. p.484), qui, à son avis, peut inspirer l’optimisme. Parfaitement conscient de son rôle, il dessine son autoportrait de vieux dans cette fontaine de jouvence. Et c’est cette jeunesse allemande inventant ses libertés, qui lui paraît contraster le plus fort avec la société française de son temps.
Dans ses lettres à sa femme Hélène, à des amis comme Louis Jouvet, Jean Paulhan, André Gide, Martin du Gard varie ses anecdotes; dans son journal, il approfondit la réflexion.
Pour terminer, citons l’auteur avec un jugement sommaire qu'il exprime dans une note à Louis Jouvet: “Berlin est passionnant. Passionnément incompréhensible. L'Allemand vit dans la contradiction, comme poisson dans l'eau de mare... (Corr. p. 483)”. L'importance que Berlin gagne dans sa propre vie se reflète le mieux dans une phrase en allemand qu'il écrit à son ami André Gide: “Ach wie gût schmeckt mir Berlin!” - Comme je me régale de Berlin!
(Cette phrase a donné le titre à une anthologie en traduction allemande qui rassemble des textes d'auteurs français ou francophones en visite à Berlin dans les années 20 et 30 du siècle dernier; j'ai eu le plaisir d'y travailler comme traductrice et co-éditrice: Ach, wie gut schmeckt mir Berlin, Berlin 2010 Im Verlag Das Arsenal)
Gilda Rodeck 30.8.2013
Notes: Roger Martin du Gard, Correspondance, t.V, Paris, Gallimard, 1988.

La bataille de Berlin dans le roman d’Elmy Lang

Elmy Lang a écrit un roman intitulé Bis der Adler stürtz qui raconte, comme le laisse présager le titre, la fin de l’empire nazi. Sur la première de couverture on reconnaît la porte de Brandebourg, emblématique de la ville de Berlin. Au cours de notre visite de Berlin, Elmy a tenté de nous raconter, comment elle- même a vécu, en avril 1945, la bataille de Berlin, l’arrivée de l’armée soviétique et les dangers encourus par la population civile. Elle ne cessait de dire: « J’ai eu beaucoup de chance » et moi, son interlocutrice du moment, place de Postdam, j’étais très surprise par cette expression. Ce n’est que par la suite que j’ai compris qu’il fallait compléter celle-ci : « J’ai eu beaucoup de chance d’en réchapper ».
Suivent les pages du roman qu’Elmy a choisies pour Intervoix.
En quatrième de couverture figurent ces lignes: Je ne dis pas qu’il s’agit d’un ouvrage autobiographique, je dis seulement que les événements rapportés sont réels et non exagérés et même plutôt en deçà de la vérité.
Bertram de Marckwardt et moi-même nous sommes saisis du strict nécessaire, nous avons pris nos bicyclettes, contents de voir que personne n’osait nous retenir. Quand la maison de celle qui nous avait dénoncés fut derrière nous, nous respirâmes plus librement, malgré les dangers toujours présents de la guerre.
- Où devons-nous aller? Criai-je.
- N’aie pas peur. Je m’y connais à Berlin et j’ai déjà une idée. Il nous faut traverser le Kurfürstendamm.
- Tu es sûr?
- Tout à fait sûr! Crois-moi!
Bertram voulait me conduire le plus vite possible au Kurfürstendamm, mais des civils venus en sens inverse, nous informèrent que les rues transversales étaient déjà occupées par les soldats russes. Nous dûmes faire un détour pour y arriver. Quand enfin nous arrivâmes au Kurfürstendamm, il y avait déjà beaucoup de gens, qui attendaient avec des charrettes, des voitures d’enfants, pleines de sacs, de coussins et de matelas; il y avait des jeunes, des vieux, des troufions dispersés et des blessés, têtes et bras bandés, qui cherchaient un hôpital.
A droite, à partir de la Gedächtniskirche (église du souvenir), les Russes tiraient avec des «orgues de Staline», en face d’eux, à gauche, les Allemands tiraient avec l’artillerie. Tout à coup ce fut le silence. Tout devint clair pour moi. Le sentiment qu’un pas vers la gauche ou qu’un pas vers la droite, signifiait la mort et qu’il fallait agir tout de suite en passant au milieu et au bon moment. A l’instant même, pendant la courte trêve, je m’avançai avec ma bicyclette et comme cela, plus ou moins consciemment, je donnai le signal. Toute la petite caravane d’hommes, même Bertram, qui avait essayé de me retenir, se mit en marche. Moi-même je ne pensai qu’à Jeanne d’Arc et ce fut bizarrement la seule chose à laquelle je pensai. Pas une seule seconde ne me vint à l’idée que mon action pouvait mettre en danger tout le groupe d’hommes boiteux qui se dépêchaient. Quelque chose d’inconscient me poussait en avant et me donnait une absolue sécurité. Quand les personnes de l’autre côté de la rue remarquèrent ceux qui arrivaient, ils se mirent eux aussi en mouvement et changèrent de côté.
............
A peine avions-nous traversé la rue, large d’au moins cinquante mètres, que les salves enragées recommencèrent à hurler et à siffler des deux côtés.
 - Le pire est derrière nous! s’écria Bertram, dans ce brouhaha, maintenant ce n’est plus loin jusqu’à la rue Sybel. Nous n’avons plus qu’un petit bout de chemin à faire, puis nous aurons au moins un toit sur la tête.
J’aurais bien voulu savoir de quel genre de toit il pouvait bien s’agir, mais je ne le demandai pas. Il était trop occupé par sa bicyclette endommagée de sorte qu’il avait de la peine à la pousser avec les bagages.
- Le grand bâtiment devant nous, c’est la « Fürstin von Bismarck Schule », dit-il. Il paraît qu’il sera transformé provisoirement en hôpital. J’espère que nous pourrons y séjourner quelque temps.
De nombreuses charrettes faisaient la queue devant le bâtiment. Même la cour était pleine de voitures de réfugiés. Ils étaient venus en convois. La plupart d’entre eux venaient de l’autre côté de l’Oder. Ils avaient vécu des choses horribles, avaient vu brûler leurs maisons et leurs fermes. Sous le vacarme des avions, au milieu des tirs d’artillerie, beaucoup de personnes se trouvaient prises entre les troupes allemandes et russes avec leurs véhicules et leurs chevaux, les femmes, les vieillards et les enfants.
En avant seulement! Vers l’Ouest! Beaucoup avaient espéré être en sécurité dans la capitale du Reich. Personne n’aurait pensé que Berlin, avec ses millions d’habitants, pourrait être défendu comme une forteresse. Maintenant ils se trouvaient au milieu de tout cela comme nous.
Bertram me pilota, à travers le corridor de l’école, encombré de bagages et de gens, vers la cave.
- Vas-y déjà, je vais m’informer entre temps pour savoir si nous pouvons rester ici. Plus tard je te rejoindrai. Sans doute pourront-ils avoir besoin de mes services.
La cave était un bivouac de masse. Des blessés étaient couchés là sur le sol, à côté des réfugiés. Sac contre sac, baluchon contre baluchon, campement contre campement. Les familles avec leurs enfants qui gémissaient. Des visages dont l’indifférence terne était visible même dans la pénombre. Fatigués et brisés par la fuite, ils ne pensaient pas à la patrie qu’ils avaient quittée. Ils étaient seulement reconnaissants d’avoir trouvé un toit et de survivre.
Une bouffée d’odeurs vint à moi. Je pensai ne pas être capable d’y résister plus de cinq minutes. Cependant l’homme ne s’habitue à rien plus facilement qu’aux odeurs.
La vie de la population civile ne se déroulait pratiquement que sous terre, comme ici, où certains avaient déjà enduré des semaines sans la moindre possibilité de se laver ou sans conditions sanitaires. Dans la cave, beaucoup avaient préféré la partie arrière et, à mon étonnement, je parvins à trouver un petit coin près de l’entrée, où il y avait au moins un souffle d’air.
Je posai la couverture verte que le sergent-chef de la Wehrmacht m’avait donnée à l’entrée de la cave, comme à tous les autres, par terre. Elle était rugueuse comme du papier émeri, mais merveilleusement chaude.
Après quelque temps, Bertram apparut pour voir ce que je faisais.
- Ici, c’est le seul lieu sûr, dit-il. Essaye de dormir! Ainsi tu oublieras le mieux la puanteur et la misère autour de toi. Un étage plus haut il fait un peu meilleur. On va y mettre des lits de camp pour les blessés.
- Je pourrais aider, dis-je.
- Est-ce que tu te sens capable de soigner les blessés? A la prochaine occasion j’en parlerai aux responsables. Mais pour le moment, essaye de dormir un peu et réserve à tout prix la place à côté de toi. Quand je descendrai j’aurai besoin d’un peu de sommeil. Nous nous embrassâmes et je le vis disparaître d’une démarche un peu pesante dans l’ouverture éclairée de la sortie.
Je fis un coussin avec ce que j’avais et je m’endormis en un clin d’œil.
De temps en temps une grenade éclatait derrière ou devant le bâtiment mais je n’entendais plus rien. Quelques heures plus tard la voix de Bertram me réveilla.
- Bouge un peu! Je m’accorde deux ou trois heures de sommeil, dit-il à mi-voix. Le capitaine médecin, continua-t-il, m’a demandé de m’occuper de l’organisation de l’hôpital dans la cave. Il me confia que les Russes avaient détruit un hôpital dans un faubourg parce qu’ils y avaient trouvé des armes et des munitions. Alors je suis allé voir, avec le médecin, le chef de l’unité du « Volkssturm » qui se trouvait dans le bâtiment. Nous lui avons demandé de quitter celui-ci avec ses gens pour que les blessés puissent profiter de la protection de la Croix Rouge. Après avoir consulté des officiers de la « Wehrmacht », le chef du Volkssturm, un fonctionnaire du parti, décida de quitter le bâtiment et d’essayer d’atteindre le stade du Reich où les Russes n’étaient pas encore. Dans les salles qu’ils avaient quittées, nous avons trouvé des trésors: champagne, liqueurs, cigarettes. Ensuite nous avons éloigné les armes et les munitions que les gens du Volkssturm avaient abandonnées dans les salles. On aurait pu en équiper une compagnie. Avant tout j’ai fait installer le symbole de la Croix Rouge sur le toit de l’école. Demain matin, tu pourras commencer ton service à l’hôpital.
Quelques secondes après ces mots il dormait profondément.
Le sergent-chef, infirmier, me reçut le lendemain matin.
- C’est très bien de vouloir nous aider, dit-il. Nous sommes reconnaissants pour toute aide car presque tous courent à droite et à gauche et ne font qu’amplifier le chaos. Maintenant, avec la croix rouge sur le toit, les Russes hésiteront peut-être à nous attaquer et nous pourrons enfin quitter la cave et installer les blessés dans les salles d’école.
Les blessures et les mutilations que je vis à ce moment-là ont fait une impression terrible sur moi et m’ont touchée au cœur. Mais, confrontée à cette misère, je me sentis forte et j’aidais à soigner les blessés, à panser leurs plaies, à apporter thé et soupe, à changer de lit.
Le travail m’absorbait complètement de sorte que j’oubliai mon propre sort incertain et celui de mes parents. Je n’avais même pas le temps de penser à Bertram qui était en danger.
Elmy Lang, Bis der Adler stürzt, Monia Verlag Pirmasens, p.215-219
 (Elmy Lang a introduit, dans la traduction, la première personne du singulier, là où le texte original se rapporte au personnage principal du roman, Christine.)

Petit prélude aux actes

Je suis revenue du colloque avec une extraordinaire impression de richesse. Et je me suis mise aussitôt à lire quelques- uns des livres qui avaient servi de base à la réflexion sur le thème de l’écriture et de l’identité. J’attends donc avec impatience les actes, mais je sais que ce n’est pas pour demain.
J’ai lu entre autres le roman de F. Mauriac Le nœud de vipères comme si je le lisais pour la première fois. Et j’ai en effet constaté, comme Claude Hecham nous l’avait fait remarquer, à quel point l’écriture avait permis au personnage de Louis non seulement de se découvrir mais d’échapper à l’image désastreuse que sa famille lui avait renvoyée. Et je me suis dit, comme s’il fallait me le répéter, que F. Mauriac était un grand auteur. L’écriture lui a probablement permis d’approcher de son être intime comme la calligraphie a permis à François Cheng (autre François de notre Panthéon) d’approcher de sa pierre de jade.
En passant j’ai relu la phrase de Proust qui clôt presque la Recherche:
Mais pour en revenir à moi-même, je pensai modestement à mon livre, et ce serait même inexact de dire en pensant à ceux qui le liraient, à mes lecteurs. Car ils ne seraient pas selon moi, mes lecteurs, mais les propres lecteurs deux-mêmes, mon livre nétant quune sorte de ces verres grossissants comme ceux que tendait à un acheteur lopticien de Combray; mon livre grâce auquel je leur fournirais le moyen de lire en eux-mêmes. De sorte que je ne leur demanderais pas de me louer ou de me dénigrer, mais seulement de me dire si cest bien cela, si les mots quils lisent en eux-mêmes sont bien ceux que jai écrits ( les divergences possibles à cet égard ne devant pas, du reste, provenir toujours de ce que je me serais trompé, mais seulement de ce que les yeux du lecteur ne seraient pas de ceux à qui mon livre conviendrait pour bien lire en eux-mêmes.)
Proust, A la recherche du temps perdu, Le temps retrouvé,
p.1033, Pléiade, T3, 1954
Cette remarque de Proust n’était sans doute pas absente de l’analyse qui a été faite par les uns et par les autres de la relation entre écriture et identité. Il m’a semblé néanmoins intéressant de la citer pour élargir éventuellement cette relation aux lecteurs que nous sommes.
Marie Louise Scheidhauer

Poésie sans frontière

Le fil des Saisons  par Françoise Hanus

Novembre

Avez-vous vu moutons
Plus moutonnant

En troupeau sur les routes
Du ciel

En rangs serrés en lignes
En cercles
Paissant le bleu lumineux
Des prés célestes
Sans berger

Nuages de novembre

Nuages
Vivement dispersés
Par le souffle des vents
Errants
Balayant l’espace
De leurs ailes déployées
Amples lents

Ou tourbillonnants
Vents

Vents de novembre
Enveloppant

Des longs plis de leurs voiles
Les ramures dorées

Des arbres

Qui pleuvent sur le sol
Leur feuillage

En un tapis bruissant
Feuilles mortes

De l’automne

Toussaint splendide

Le fil des saisons
Souvent
S’embrouille en arrière
Dans l’arrière-saison
Millefleurs des gazons
Été indien

Été de la Saint Martin
Douceur automnale

Estivale

Mais soudain
Reviennent la nuit et le froid
Reviennent le gel et la neige
Au droit fil des saisons
Sans illusion
4-11-11

Tentations
Non nous n’irons pas fouler
La neige immaculée
Nappe chape linceul
Sacrés inviolés
Secrets de l’hiver

Non nous ne piétinerons pas
Le gazon nouveau
Dans sa verdeur innocente
Virginité vertu vigueur
Printanière de la terre

Non nous ne cueillerons pas
La première rose
Avant qu’elle n’éclose
Dans son nid de lumière
Sa robe de splendeur

Ce sont choses
Que l’on ne touche
Qu’avec les yeux
De l’âme
Contemplation
15-11-11
Intermède

La lune flotte abandonnée
Comme une épave oubliée
Dans le ciel d’opale
De l’automne pâle

Entremetteuse des nuages
Elle marie les pastels sages
Aux fauves violents
Du soleil couchant

Mais quand vient la nuit
 Star splendide elle se rit
 Des amours envolés
 Qu’elle avait inspirés
25-10-2012

Afrique
La mer aux boucles irisées
Coiffe sa frange

Sur le sable blond du rivage
Sur l’ombre des cocotiers
Qui déchiquettent l’air
De leurs longs couteaux verts

Elle rebondit en hautes vagues
Crachant leur ressac

Sur la lourde barre

De rochers roux hérissés
De coquilles incrustées
Aiguisées comme des lames

Bruissements sourds d’orage
Grondements grognements
Rumeurs de cataractes
Ruissellements de cascades
Claques sauvages des vagues
Fracassées

A plat ventre sur leur planche
Au loin les enfants crient
Saluant les vagues déferlantes
Où ils s’engouffrent triomphants
Dans le galop effréné des rouleaux
Qui les rejettent titubants

Sur le flanc mouvant de la plage
06-06-2012

L’Âme n’a pas de frontières par Georges Simon
A Nina et à Pierre
A l’heure de l’urgence !

On a détruit le mur de Berlin

On a franchi les murs du mesquin

On a suivi les pas du pèlerin

Mais tout d’un coup, chaque jour, chaque instant,

On voit le mur transparent

Qui pousse dans nos âmes à présent.

Et nous sommes devenus la présence

De Celui qui nous appelle incessamment

Et qui se réveille soudain exilé dans l’oubli.

C’est pas moi ! C’est pas moi à l’abri du mur transparent
C’est pas moi ! C’est Lui le coupable, ni moi, ni toi
C’est Lui qui passe sur l’impasse de la voie douloureuse
De nos âmes douteuses.

Ni Toi, ni Moi, c’est la foi

Et c’est l’amour qu’on partage aux siècles des siècles
L’amour de toujours à l’écoute

D’un frémissement innocent du Verbe à présent

Où personne n’est absent, ni moi ni toi,

Où on entend seulement la Voix de Celui qui nous attend
Dans l’absolu de Sa solitude !
Le 13 mai 2013, à l’heure de... quitter Berlin.


Par Elmy Lang

Nur Mut !

Wenn zwischen Wollen und Vollbringen
Täler und Berge liegen,

Greife zu dem, was am nächsten ;

Tu es als seies das Einzige,

Was du zu tun hast.

Und dann wie von selbst

Nur habe den Mut zu beginnen.
Beginnen ist halb schon Vollbringen
Und fast von selbst

Führst du das Werk dann zu Ende.

Folgt alles Weitere nach !

Seulement du courage

Quand entre vouloir et accomplir

Il y a des vallées et des montagnes

Saisis le travail le plus proche

Fais-le comme si c’était

La seule chose que tu doives faire

Ensuite comme de soi-même

Tout le reste suivra.
I
l faut seulement avoir le courage de commencer !
Commencer c’est déjà presque accomplir

Et comme de soi-même,

Tu mèneras le travail jusqu’à la fin.


POÈMES de Vassyl Stouss

Traduit de l'ukrainien par Galyna Dranenko

***

L’Homme se fait remplacer par le désir,
le désir passe.

C’est pourquoi, après une chaîne de transformations,
l’homme se mue peu à peu

en gravillons,

en sable,

en cendre.

Ce qui reste de l’homme
c’est l’unique signe

de soustraction.

***


Échapper à mon sort – je n’en ai pas eu l’occasion.
Le tonnerre frappe – et d’un coup ma vie est
chamboulée. Et toi, tu n’es que ce tu rêvais –

la mortexistence et la viedisparition.
L
es aimés, les proches, les amis et les enfants, a
lors, mets­les à l’épreuve, comme au titre l’or :
te suivront­ils à travers leurs mille morts ?

Sauront­ils appréhender

ton image – au moins vers la fin de ta destinée ?

Ou bien, tremblotants, ressentiront­ils dans leurs cœurs un effroi
devant tous les malheurs? Si l’on pouvait savoir...

Le chemin des inconscients se fait bravement.

Tout l’univers est exposé aux vents.

Oh mon sort, Dieu merci, tu as tout surmonté

Au vent féroce la peur vile va trépasser.

***


La sensation de la grossesse est féminine.
Tu as certes de la joie, mais mêlée à un peu de pudeur
(la prétention juvénile ne t’est pas encore

étrangère), quand tu te sens
enceint : pressent sur la gorge
les mots fermes, lourds et rebondis,

même s’ils sont encore aveugles.

Et dans ta poitrine, comme dans un caveau,
tu entends un roulement arrondi. Entre

tes côtes rapetissées, le vers bat déjà

avec ses palmes. De même, il fait sa mue.
Il sursaute et veut atteindre ta gorge,
conscient de sa proche sortie, comme du malheur,
de la poitrine écroulée, du magma

de ta vengeance montée,

sans suivre ton but,
tente sa crache, sur la feuille blanche.
L’instant de l’accouchement se fige,
la terre cesse de tourner,

et dans les yeux, y a que les cercles
rouges et l’âme bout.
Monte un soulagement bienfaisant

non pas de la vengeance – du regret. Non pas de la lame –
mais des mots doux. L’âme douce­malade
de poètes et de femmes.

UNE NUIT BLANCHE

Je ramasserai mes pensées comme les grains,
comme les épis, entre les chaumes du blé moissonné.
Les larmes piquent. Les larmes piquantes.

Les piques – dans les yeux.

La nuit se glisse comme un ivrogne,

elle traîne dans la chambre et sur les murs.

En silence, en silence. Tel un esprit de maison,
elle rôde. En silence.

Dehors bourdonnent les avions,

comme les sorcières – au sabbat.
Au­dessus des toits,

au­dessus des toits étouffés,

au­dessus de Kyïv muet – ils bourdonnent.

Réfugié. Je vous le jure. Le lit.

Sur ma couverture – en reflet des fenêtres – les grilles.
Mon oreiller est ébouriffé,
elle est ébouriffée, ma tête aussi.

Que captez­vous, les antennes

démentes de télévision – les sans­toits ?

Que captez­vous – avec vos bouches béantes –
les cheminées noircies ?

L’air vous manque ? La fumée ?

Votre esprit n’est pas aéré, il brûle comme de l’alcool ?
Deux, deux nuits blanches de suite.
Les lanternes jaunes à travers la fenêtre.

POUVOIR

Une tortue monstrueuse,

parsemée de galaxies,

traîne loin derrière tout le monde.
Si elle saute –

elle rajeunira de toute une éternité.
Sa jeunesse à elle suffira –

pour toute une terre décrépite.

***


Je suis écrit par la peine avec tant de douleur.
Je suis écrit par la douleur avec tant de peine.
Toi – tu es dans le gouffre. Au­dessus –
une fête de folies joyeuses bat son plein.
Face à l’univers, face

au ciel, à la lune, aux étoiles
tu es couché, plein de chagrin,

en veillant au pas étrange du destin.
Caché, il a poussé en toi

comme un épi de seigle,

et tu ne t’es pas manqué, le monde non plus
n’a pas manqué ton frère. Le frère se manque
et a manqué les amis sont en trop.

***

Encore le Dieu ne m’a pas mis en garde,
Encore une route nouvelle est devant moi.
Alors – à la prochaine – dans l’espace

Et – à la prochaine dans le temps.


Publications de nos membres

Roger Bichelberger, Bérénice, Albin Michel, 2012

En parcourant la longue chaîne qui relie entre elles les œuvres si variées de Roger Bichelberger : romans, essais, poèmes et nouvelles, on a l’impression de pénétrer dans un monde musical très ample qui nous offrirait à la fois des opéras, à la fois des concertos, mais aussi des lieder et même un oratorio avec Noël pour un enfant perdu. Notre ami, né dans une zone frontalière, est un grand Européen qui réunit en lui les cultures franco-allemandes que l'on retrouve dans ses livrets et ses chants tirés de Goethe, Kleist, Heine aussi bien que des évocations de Pascal, Baudelaire, Rimbaud, Mauriac, Bernanos ou Eluard.
Cette année, le dernier roman de Roger, Bérénice, nous fait plutôt penser à un opéra anglais de Benjamin Britten, dont le livret pourrait s'apparenter à Shakespeare avec des évocations de Hamlet. Le héros masculin est sujet britannique : le Père Kenelm, prêtre catholique, religieux de la congrégation irlandaise, né à Romsley, près de Birmingham. Pour avoir révélé à ses supérieurs certaines fragilités de caractère, n'étant pas toujours maître de sa tendresse envers autrui, il a été envoyé en France dans une maison religieuse de son ordre pour y affirmer et son caractère et sa vocation. Et c'est dans un pensionnat de jeunes filles où il prêche une recollection de fin d'année aux élèves du second cycle qu'il reçoit, sous forme de missive glissée sous la porte de son bureau, un appel au secours désespérée d'une jeune Bérénice de dix-huit ans.
Comme échappée de moult œuvres précédentes de Roger, c'est la même mélodie qui s’élève vers nous : cet appel à l'aide, ce cri désolé de mendiante d'amour, cette supplication de toutes les victimes de la force, du pouvoir, de l'injustice et en retour, en écho cette attention, cette tendresse à l'égard de tous les cabossés de la vie. Et même si, ici l'héroïne éponyme est une femme, on ressent, comme dans l'opéra Peter Grimes de Britten, l'atmosphère d'angoisse, de terreur, de soupçon qui entoure les deux héros, on retrouve l'incompréhension de la société, l'éclatement de l'innocence; en fait le déséquilibre mental de Bérénice est voisin de celui de Grimes.
En effet, celle-ci a subi tout enfant les violences extrêmes de par ses frères; de plus pour ses parents elle n'existe pas, elle est « sans nom », la voilà donc pour la vie avilie, brisée, détraquée. Elle va mendier auprès du Père Kenelm, figure idéale d'un homme qu'elle admire, amitié et amour pour laver sa honte et recouvrer le droit de vivre...Que de souvenirs ainsi évoqués ! Roger Bichelberger dit lui-même dans sa Rencontre avec Mauriac que son œuvre raconte toujours la même histoire avec les mêmes personnages. Dans son dernier roman c'est au burin qu'il a gravé au meilleur de lui- même ses deux héros. Dans son premier roman, A l'aube du premier jour, écrit en 1974? Jacqueline et le diacre Philippe sont des voix aux tons « mineurs » à côté de celles de Bérénice et du Père Kenelm en « tons majeurs ». Il faut noter que l'époque a changé et attribue un rôle différent aux pasteurs de l'Eglise : autrefois les scrupules de Philippe Lobets et la peur du scandale l'avaient rendu mutique et paralysé, aujourd'hui, même les fragilités du Père sont un atout dans son dialogue avec la jeune fille qui les ressent. Comme un état partagé. D'autre part, les interrogations du jeune prêtre loin de l'affaiblir le confortent dans son désir de prière et d'engagement à la fois.
Nous imaginons parfaitement bien le Père à son bureau et les entrées intempestives de la jeune fille de retour se ses fugues diverses. Même en son absence le prêtre ne peut retrouver la paix et la sérénité car Bérénice jalonne ses parcours de cartes postales représentant les chefs d'œuvre de l'humanité mais comportant toujours des harmoniques inquiétants et bouleversants, que ce soit L'adieu du pécheur ou Le Blue boy de Picasso, La Femme aux yeux bleus de Modigliani, Le Christ jaune de Gauguin, Le violon rouge musique et peinture de Dufy : ces bleu, jaune, rouge, tels des rayons de l'arc en ciel sont des planches de salut : « elle s'accrochait au beau littéralement » dit le narrateur.
En écrivant ce roman Roger Bichelberger dépasse largement les problèmes psychologiques qui peuvent exister entre un religieux et sa pénitente; il peint magistralement les relations généralement délicates entre deux personnes dont l'une a besoin de l'autre pour survivre. Dans cette situation périlleuse, la limite entre l'intérêt et l'indiscrétion est très mince; par ailleurs la crainte de dépasser cette limite, d'être accusé de harcèlement peut paralyser toute attention envers l'autre. Souci plus
fort encore : comment aider une âme désespérée sans se brûler soi même au désespoir rencontré et secourir autrui sans se mettre soi-même en danger, telle est la question insoluble qui traverse tout le roman. Les liens entre l'amour et l'Amour sont inextricables et je me suis souvent demandé si Roger n'espérait pas qu'un hypothétique mariage des prêtres mettrait fin à maints problèmes. Je ne sais pas si ce ne serait pas échanger un problème contre beaucoup d'autres car les questions de la tentation et de la fidélité existent dans toutes les relations humaines.
Malgré le Requiem qui clôt le roman l'Espoir est aussi présent, tout ne finit pas dans les larmes et les grincements de dents. Bérénice s'est sentie reconnue par le prêtre, elle a recouvré sa dignité de Femme. Mieux encore, elle a eu l'intuition d'avoir fait mûrir et grandir le Père ; « Je vous ai fait du bien» dit-elle. Le Père Kenelm a entendu l'encouragement du Christ « Va, n'aie pas peur » et senti Sa main sur son épaule. Il est dorénavant armé pour la vie, prêt à sauver d’autres âmes en pé.
Monique Grandjean

Jeanne-Marie Baude, Marie-Noël, Notes intimes, Ed Du Cerf, 2012

La poétesse Marie Noël (1883-1967) a représenté pour nous un idéal de perfection dans l’écriture en même temps qu’une puissance unique d’évocation et d’émotion à travers ses Contes. Mais comme rien n’échappe à l’œil exercé de Jeanne-Marie Baude, nous pouvons désormais surprendre une Marie Noël cachée, celle des Notes Intimes.
Il ne s’agit pas d’un journal intime, ce sont des pensées que cette femme secrète notait pour elle-même, pour s’aider à vivre alors qu’elle souffrait d’une terrible solitude affective. Lorsque J.-M. Baude a eu en mains les cinq bloc-notes à couverture rouge témoins de quarante années de méditations, elle a dû être aussi émue que si elle avait touché les fragments des Pensées de Pascal.
Un paradoxe apparent réside dans la publication de ces Notes Intimes en 1959, huit ans avant sa mort. Jeanne-Marie souligne le goût du secret de cette poétesse qui refusait de se livrer à ses lecteurs. Mais elle montre, citations à l’appui, que le soin qu’elle apportait à l’écriture de ses poèmes, elle l’apportait aussi à ses écrits les plus personnels, comme si le rythme du vers était inséparable de l’expression la plus juste et la plus parfaite.
Il a donc fallu un motif puissant pour que cette poétesse célèbre accepte de livrer à l’éditeur le jaillissement intime de sa vie intérieure, quitte à ne plus pouvoir par la suite écrire une nouvelle série de notes. Elle semble en effet s’être détachée de ces textes une fois qu’ils furent publiés. Son directeur spirituel, le célèbre abbé Mugnier, l’avait persuadée que ces notes de voyage spirituel pouvaient aider des lecteurs en quête de lumière.
Les scrupules de l’auteure ne cessent pourtant pas de la tarauder : dans sa Note préliminaire, elle déconseille la lecture de cette publication. Pour Jeanne-Marie Baude, cette attitude se situe dans la tradition catholique marquée par l’Index, tradition que Marie Noël aura intériorisée en autocensure.
Après un commentaire inspiré, très éclairant, de cette Note, Jeanne-Marie nous invite à la suivre dans les profondeurs de cet esprit divisé entre « moi sauvage et moi soumis », entre « l’institution ecclésiale » et « l’amour du Christ », et qui plonge dans l’enfer, comme Dante, avant de remonter vers la lumière. Nous pouvons désormais, grâce au travail de Jeanne-Marie Baude, suivre cet itinéraire d’une poétesse française qui écrivait : « Oser penser, jouir de penser, parfois... »
En conclusion, je voudrais citer la réaction enthousiaste d’une lectrice : « L’auteur sait piquer la curiosité dès le premier chapitre. De page en page, j’ai poursuivi ma lecture avec intérêt et même avec gourmandise ! Je ne sais ce qui m’a le plus accrochée, de l’analyse limpide et riche de Jeanne-Marie Baude ou du choix judicieux des extraits et de la pensée vigoureuse, subtile, surprenante et délicate d’une Marie Noël dont le parcours spirituel mérite d’être mieux connu. A l’automne prochain, ces NOTES INTIMES de Marie Noël prendront place parmi mes livres de chevet pour meubler ces longues soirées que la télévision ne sait pas enrichir. »
Claude Hecham

Marie-Line Jacquet, D’esprit de sang, Encres vives, 2013

(Vient de paraître: un compte rendu figurera dans le prochain numéro)

Autres publications

Philippe Le Guillou

Présentation de l’œuvre de Philippe Le Guillou, Prix des Écrivains Croyants 2013 pour Le Pont des anges (Gallimard), par Monique Grandjean, secrétaire générale de l’association, lors de la remise du prix le 23 mai 2013 au musée Bourdelle, à Paris.

Monsieur et cher ami,
Je peux vous nommer « ami », même si je ne vous ai rencontré que récemment, car
j’ai lu tous vos livres qui m’ont enchantée, en particulier Les sept Noms du peintre, couronné en 1997 par le Prix Médicis. De vos romans j’ai savouré l’âme, la musique, les livrets, les décors : satisfaction de tous les sens portée à l’apogée dans votre dernier roman Le Pont des Anges qui reçoit aujourd’hui le Prix Littérature 2013 des Ecrivains croyants.
Vous l’avez construit comme un oratorio à quatre voix sur fond d’orgue : Dieu, l’Homme, la Mort, la Beauté. Ces dialogues où se mêlent profondeur et élévation m’ont rappelé les romans d’André Malraux qui, semble-t-il, est pour vous comme pour moi autrefois, un des héros de votre jeunesse : en effet, votre mémoire de maîtrise porte en 1980/81 sur La Voie Royale d’André Malraux dont vous reparlez en 1996 dans votre roman L’inventeur des royaumes, que vous publiez à l’occasion du transfert des cendres du grand écrivain au Panthéon; et c’est aussi par attirance pour cette prose magistrale que, en 2010, étant inspecteur général, vous désirez mettre au programme du baccalauréat les Mémoires du Général de Gaulle. Je ne résiste pas au plaisir de vous faire entendre quelques notes de cette musique particulière dans une lettre du Général à Malraux : « Que le vent souffle plus ou moins fort, que les vagues soient plus ou moins hautes, je vous sais comme un compagnon à la fois merveilleux et fidèle à bord du navire où le destin nous a embarqués tous les deux ». Et c’est bien ce ton de Légende des siècles que l’on retrouve tout au long du Pont des Anges.
Nous nous trouvons à Rome dans un présent légèrement décalé, en 2060, le pontificat du premier pape africain Miltiade II – le dieu noir – s’achève dans le sang et les attentats ; l’Eglise est déchirée, secouée de toutes parts, nombre de prélats en prédisent la fin, du moins la fin de son pouvoir dans la vieille Europe; Rome mourrait sous les dorures de ses traditions passées, soumise aux églises africaines et d’Amérique du sud.
Dans la Ville éternelle, envahie par des millions de pèlerins venus à la veille du conclave, quatre personnages émergent de la foule, ce sont les vrais piliers qui soutiennent le Pont des Anges. D’abord le cardinal Thomas Sullivan bénédictin, venu d’Irlande pour l’élection d’un nouveau pape, puis Julius, un dramaturge, immobilisé par la maladie dans ses appartements qui surplombent le Vatican, et un peintre Simon Viarmes, attiré à la fois par les lumières, les beautés, les noirceurs, les glaucités de la ville. A côté d’eux une femme, la comtesse Francesca, de vieille souche aristocratique; elle reçoit tous les mardis soirs dans son immense appartement la société la plus huppée, patriciens et prélats confondus. Un compagnonnage singulier va se nouer entre les trois hommes que des liens personnels relient entre eux : le cardinal amateur des arts sous toutes leurs formes a autrefois goûté le théâtre de Julius et celui-ci a apprécié les visites du peintre talentueux avec lequel il parle création artistique, avec lequel aussi il se distrait des commérages croustillants entendus chez la comtesse.
Philippe Le Guillou, vous peignez en rouge et noir les coulisses du Vatican, vaste théâtre qui abrite toute la comédie humaine : les clans, les coteries sont à l’œuvre, tandis que, jour après jour, la fumée sortie du poêle où brûlent les bulletins de vote reste noire et puis c’est l’instant crucial où la fumée s’élève toute blanche, où est révélé le nom de l’élu : contre toute attente apparaît le nom du cardinal Sullivan qui devient Clément XV. Pour lui, retiré dans « la chambre des larmes » après avoir prononcé « Accepto », j’accepte cette charge, c’est l’angoisse extrême; je cite « une mue, un changement d’identité, la naissance d’un nouvel homme... la conscience de mon indignité et de mon impréparation ne m’abandonnait pas ». Lui, l’ancien bénédictin, intériorisé, poète à ses heures, prédicateur vibrant, amoureux de sa terre, comment allait-il intégrer les attentes de la planète et incarner pour tous, croyants et incroyants, la solidité et l’amour ? Le nouveau pontife a perdu son identité, il a l’impression d’être entré dans une nouvelle peau qui l’enserre et l’empêche de respirer : sa première décision est de repousser les ors et les marbres, les ornementations, en homme habitué au vide et aux grands espaces. « Je crois, dit-il, que la Beauté est un rempart contre la barbarie et la misère ». Il va s’entourer des beautés de la nature, des jardins et des bords du Tibre ; les cérémonies liturgiques, et les œuvres d’art aux murs des églises romaines vont remplir le vide de son cœur. Ayant publiquement fait part de son désir de faire réparer à l’identique les églises détruites avant son élection, il reçoit comme don d’un jeune peintre les restes calcinés d’un Christ repassé à l’or fin ; ce symbole de renouveau après l’épreuve du feu le touche particulièrement. C’est ainsi qu’il fait la connaissance de Simon Viarmes dont les dernières œuvres l’émeuvent terriblement : il a dessiné une étonnante série de portraits du pape Miltiade II sur son lit funéraire (Miltiade, son héros, dont les dernières années tragiques et la fin l’ont traumatisé) et, comme pour une passation de pouvoirs, Simon allait maintenant suivre le nouveau pape et peindre ses angoisses et ses doutes. Peut-être, pensait-il, n’était-il pas fait pour cette fonction, peut-être le Saint Esprit s’était-il fourvoyé en le faisant élire pape.
Philippe Le Guillou, vous avez tracé du pape irlandais un portrait follement attachant, mystique, torturé, hanté par ses origines, mais aussi totalement exigeant quant à sa mission. Ce faisant, vous avez extrapolé votre portrait et dessiné les grands traits de tout homme, de toute femme à l’acmé de leurs responsabilités au moment d’un choix difficile à assumer. Tout homme bardé de certitudes est insupportable, même dangereux, mais celui qui murmure en lui-même « je ne suis pas digne», « je ne suis peut-être pas à la hauteur », celui-là est déjà de la famille spirituelle et intellectuelle de votre Clément XV.
J’ai déjà trop parlé. Je n’évoquerai pas les mystères du gouvernement de l’Eglise, ni les voyages du Pontife, ses amis, ses ennemis de par le monde. Je ne parlerai pas non plus de ses désirs de réformer la constitution de l’Eglise et la vie des prêtres. Je termine donc, cher ami, en vous remerciant de nous avoir magistralement dépeint la grandeur du Prêtre qui, malgré ses problèmes, retrouve son unité, son identité et sa joie au moment où il monte à l’autel célébrer l’Eucharistie. Je cite : « Il ne s’appartenait plus lorsqu’il célébrait le sacrifice. C’était pour lui le moment épiphanique du Fiat, l’entrée dans la joie sans fin de la création renouvelée. Lorsqu’il entrait dans le temps sacré de la messe, il ne craignait rien, ni les cataclysmes, ni les coups, ni la mort ».
Monique Grandjean

Entre trois romans : Notes de lecture

Aujourd’hui, nous avons appris la mort d’Henri Alleg, qui dénonça la torture en Algérie en 1959 dans un petit livre intitulé La Question. Or depuis quelques années de jeunes romanciers mettent des mots sur ce non-dit de l’histoire des cinquante dernières années.
Jérôme Ferrari, l’auteur du roman Où j’ai laissé mon âme, a choisi de faire parler un ancien officier français ; celui-ci écrit une lettre à son ancien supérieur, le capitaine Degorce, après un court séjour en Algérie vers 1991. Obsédé par les images de cette guerre sans nom, il interroge son ancien chef dont il ne comprend pas l’attitude : en 1957, lorsqu’un des chefs de l’armée de libération nationale (ALN) a quitté sa cellule pour aller vers une mort certaine, il lui a rendu les honneurs militaires ! Et plus tard, au procès des membres de l’organisation armée secrète (OAS), il n’a pas témoigné en faveur de son ancien compagnon d’Indochine pour lui éviter la peine de mort. Les phrases sont longues, le rythme haletant, comme si le narrateur avait peur de ne pas parvenir au but tout en craignant d’y arriver : il doit avouer, trente quatre ans après les faits, qu’il a menti à son capitaine sur la mort de Tahar, le colonel de l’ALN. Veut-il se venger de son amour déçu en accusant son ancien compagnon d’armes de s’être comporté comme Pilate qui s’était lavé les mains du sang de Jésus ? C’est ce que laisse entendre la citation placée en exergue, tirée du roman Le Maître et Marguerite de Mikhail Boulgakov : Il dit que même en présence de la lune il ne connaît pas de repos, et qu’il fait un vilain métier.
Ce court roman très dense, paru chez Actes Sud en 2012, n’a pas eu le retentissement du premier roman d’Alexis Jenni, L’art français de la guerre. Pourtant ce dernier, doté du prix Goncourt, n’a pas les qualités littéraires du premier et décourage le lecteur exigeant qui ne supporte pas qu’on ignore l’orthographe et la grammaire... Après l’avoir lu malgré tout, j’ai cru comprendre quelle était l’ambition de l’auteur : brosser une fresque de la guerre de 20 ans que la France a menée dans le monde et en montrer les séquelles. Elle commence en 1942, avec la Résistance et se termine en 1962 avec l’indépendance de l’Algérie. Mais ce découpage artificiel révèle les véritables intentions de l’auteur: montrer que la France a imité dans ses guerres les techniques de ses ennemis, vietminh ou nazis étant les plus inventifs dans ce domaine ; dénoncer la « militarisation » de la police lors des émeutes en banlieue ; décrire le désespoir des jeunes dans une France qui les prive d’avenir.
Aucun de ces deux romans n’égale cependant à mes yeux celui de Boualem Sansal, Le village de l’Allemand, journal des frères Schiller, paru également chez Gallimard, en 2008. Cette lecture fut un choc pour moi, sans doute grâce à la puissance du texte appuyé sur des faits vérifiables. Les deux frères sont en effet issus d’une union peu commune : un ancien nazi, qui s’est enfui d’Allemagne vers l’Algérie via l’Egypte, forme des soldats algériens de l’armée de libération et se fixe dans ce pays en épousant une femme kabyle; dans son village , il est devenu un héros de la guerre d’indépendance sous un nom arabisé ; mais en 1994 les islamistes massacrent les habitants : les deux garçons, qui vivent en France chez un oncle, dans une cité, apprennent la mort de leurs parents malgré une modification de leur nom par les autorités. C’est l’histoire de la quête, ou plutôt de l’enquête menée par l’aîné des frères, qui constitue son journal. Cependant, c’est le second qui va le lire après la mort de son frère et se lancer à son tour dans le même voyage initiatique à travers l’Europe.
Comme le feront plus tard Alexis Jenni et Jérôme Ferrari, Boualem Sansal met en rapport la guerre d’Algérie avec la Seconde Guerre mondiale, mais il n’en reste pas aux considérations générales sur la guerre et la torture, et cherche ce qui désespère, par son caractère répétitif, les jeunes les plus conscients de la difficulté actuelle de trouver une raison de vivre. Certains se laissent séduire par les prêches enflammés des imams de banlieue et partent en Afghanistan ou en Syrie ; d’autres tombent dans le trafic de drogue ; tous ignorent le passé de leur pays. Lorsqu’il découvre l’holocauste, le jeune héros met un nouveau nom sur sa cité de banlieue : lage. Il tente d’expliquer à ses amis comment Hitler est arrivé au pouvoir en Allemagne et comment une forme de fascisme règne dans les cités sous l’emprise des islamistes.
Bien sûr, comparaison n’est pas raison, et il aurait fallu vivre les années quatre-vingt- dix dans une cité comme les Minguettes pour ressentir un tel état de faits. Il n’en reste pas moins que ce roman, sans tomber dans le pathos, fait vivre au lecteur la tragédie d’un homme qui voulut expier les crimes de son père.
Claude Hecham

Les relations franco-lituaniennes

Une journée d’études sur les relations franco-lituaniennes aux XXe et XXIe siècles était organisée le 21 juin dernier à l’Ambassade de Lituanie à Paris. Thierry Laurent, Dr de l’université de Paris IV Sorbonne, était responsable de cette manifestation en France, tandis que le Pr Nijolé Kaselioniené, de l’université des Sciences de l’éducation de Vilnius, représentait la Lituanie. La journée se divisait en deux parties, le matin étant consacré aux regards croisés des deux pays à travers leurs écrivains et l’après-midi à l’histoire de la Lituanie. Naturellement, l’ambassadrice, son excellence Jolanta Balciuniené, ouvrit la journée en rappelant que la Lituanie serait présidente de l’UE du début de juillet jusqu’en novembre. Elle présenta le programme Gilibert qui découle de l’accord Curien signé à Vilnius en 2003.
Avec érudition et talent, les intervenants ont apporté à un public nombreux un éclairage nouveau sur la présence de ce pays balte dans notre littérature: son image a évolué depuis l’époque médiévale, de celle d’un pays de forêts glacées peuplé de barbares à celle d’une utopie riche en mythes et traditions. A l’époque du Romantisme, la fascination des légendes nordiques s’exerce sur Prosper Mérimée qui apprend le Lituanien et compose une nouvelle intitulée Lokis. La Lituanie serait même le paradis des philologues, car on y parle une des plus anciennes langues indo-européennes, proche du Sanskrit. Le professeur Jean-Pierre Levet a créé à Limoges l’Institut d’études lituaniennes et une revue de linguistique comparée qui tend à considérer comme des langues-sœurs le lituanien et le français.
L’histoire récente de la Lituanie a été étudiée par Philippe Edel, directeur de la revue Cahiers Lituaniens; la période de l’entre-deux-guerres a vu un rapprochement de nos deux pays, le français remplaçant l’allemand comme première langue dans l’Enseignement en 1936. Mais l’élan qui portait ce petit pays balte vers l’Europe fut brisé en 1940. L’annexion par l’URSS suscita peu de réactions dans l’opinion. Pourtant, les états baltes existaient encore, comme le montre l’histoire de l’or lituanien et letton à la banque de France de 1940 à 1991, exposée par Una Bergmane de Sciences-Po Paris. Les tragiques événements de janvier 1991 à Vilnius et l’indépendance acquise de haute lutte nous enseignent que le peuple lituanien est le plus obstiné du monde!
Je remercie Thierry Laurent pour son invitation et son accueil et j’espère découvrir prochainement Vilnius et son université, créée en 1579, la plus ancienne et la plus connue des universités d’Europe de l’Est.
Claude Hecham
Post face 

Margaret Parry

« N'est-ce pas l'intuition, obscure le plus souvent, d'une proximité divine, qui donne aux artistes et aux savants le sentiment du sacré, en revêtant l'objet de leur recherche d'un prestige religieux : comme s'ils étaient admis dans une confidence, comme si leur mission était de restituer à l'Esprit tout ce qui dans l'univers porte son empreinte? »

Maurice Zundel

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