INTERVOIX N° 27 Avril 2012


SOMMAIRE

Editorial   par Margaret Parry

Qui aurait pensé que le thème des « Russes à Paris » donnerait une telle richesse parmi nos membres ?  Mais n’avions-nous pas senti, à travers nos échanges de Noël, un nouvel enthousiasme, une nouvelle vitalité, cela grâce en partie du moins à notre numéro précédent ? Qui se traduisent ici dans la volonté - cela malgré tant d’autres obligations pressantes - de continuer à donner le meilleur de nous-mêmes pour nous enrichir mutuellement, en ouvrant de nouvelles pistes, de nouvelles perspectives qui ne cessent de nous orienter sur le plan « spirituel », mot qui, sans aucun sens confessionnel, continue à diriger notre pensée et nos lectures…

Réflexion sur la dimension spirituelle de l’association  par Sabine Badré

Dans chaque numéro nous invitons des contributions sur la spiritualité comme axe central de notre orientation.  Notons dans la réflexion présente l’accent que met Sabine Badré sur l’idée de « la spécificité » dans la quête de chacun, sur la « richesse » dans la « diversité », sur  l’ouverture à « l’Autre, plus moi-même que moi », autant de thèmes (parmi d’autres) qu’éclairent, au fur et à mesure de notre lecture de ce numéro, les contributions de chacun.

Notre Association européenne qui s'est constituée dans une référence à François Mauriac, dont les colloques autour du centenaire de la naissance nous avaient réunis à Bordeaux et à Paris, est demeurée fidèle à son intuition de départ. Ce qui nous intéresse dans la littérature "d'ici et d'ailleurs" c'est la quête du sens, la recherche de ce qu'est l'homme et de ce qui le dépasse infiniment, une forme de transcendance qui s'exprime à travers les mots dans le cheminement de l'auteur…

Découverte d’auteurs d’aujourd’hui

-Manque, profusion et transcendance dans l’œuvre romanesque   d’Antoine Volodine  par  Marie-Line Jacquet

Lors de l'automne 2011, je m'étais proposé d'écrire, pour Intervoix, un article sur le thème suivant : « Antoine Volodine, une spiritualité creuse » (je songeais alors, plus ou moins, à l'affirmation célèbre de Saint-Augustin, comme quoi « il y a, dans le cœur de tout homme, un vide en forme de Dieu »).  Il me semblait, en effet, que les romans de cet auteur témoignent d'une telle désespérance et en même temps d'une telle volonté de résistance au malheur…

-Italophonie et francophonie, sœurs jumelles ou demi-sœurs ?  Le cas du dernier  roman de Younis Tawfik   par Marta Montesarchio

«Italophonie». Ce mot du moins inattendu pendant mon petit-déjeuner m’a figée à ma place, bouche béante et incertain sourire d’espoir sur les lèvres. En considérant l’attitude actuelle de l’Italie par rapport à ses immigrés, jamais je n’aurais pensé entendre ce mot se dégager de ma télévision un matin de janvier. Pourtant, c’était un homme ferme et tranquille qui avait proféré cette flatteuse parole…

-Irène Nèmirowski, entre Russie et France par  Daniela Fabiani

Le nom  d’Irène Némirovsky est aujourd’hui bien connu : l’attribution posthume, en 2004, du Prix Renaudot à son roman Suite Française et la réédition de toutes ses œuvres - romans, nouvelles, essais- pendant ces dernières années ont contribué à faire sortir de l’oubli le nom de cette écrivaine juive d’origine russe (ou mieux, ukrainienne), exilée en France depuis 1919 et morte à Auschwitz en 1942, à l’âge de trente-neuf ans.  Pendant sa vie elle avait été reconnue et célébrée par la critique littéraire de cette époque comme une grande romancière et nouvelliste…

L’Emigration russe : souvenir personnel

-Pèlerinage dans un passé d’émigrés   par  Anne Hogenhuis

Novembre 1920. La défaite des Blancs en Crimée sonne le glas de la guerre civile. Dos à la mer, les armées du général Wrangel s’embarquent sur tous les vaisseaux disponibles. Dans leur sillage les civils suivent. Beaucoup les ont précédés au cours de l’année écoulée. En 1923, un dernier lot d’intellectuels expulsés prit le large vers la Baltique, et Paris peut-être...

Les Russes à Paris

Présence-absence de Gogol à Paris : un étranger de passage   dans une ville étrange par Galyna Dranenko

Nikolaï Gogol (1809-1852) est une des figures les plus énigmatiques de la littérature européenne. Connu et en même temps méconnu, il suit un chemin de vie tissé de paradoxes, de contraintes et de mystères : double identité, œuvres réécrites ou détruites, obsessions mystiques, mort inexplicable… Nikolaï Gogol est aussi un grand nomade. Durant toute sa vie d’adulte, il effectue des voyages constants entre l’Ukraine et la Russie, la Russie et l’Europe, l’Allemagne et l’Italie, etc. Ses biographes ont calculé que, tout au long des quarante-trois ans de son existence, l’écrivain a vécu vingt-quatre ans en Ukraine, onze ans en Europe et huit ans en Russie…

-K G Paoustowski : l’homme du dégel à Paris  par Sophie Ollivier

Dans la seconde moitié des années 50, les portes de l’Union soviétique commencent à s’ouvrir sur l’Europe occidentale. Représentant le plus important du dégel  par son livre La Rose d’or (1955), qui en est une sorte de manifeste, l’écrivain Konstantin Gueorguievitch Paoustovski (1892-1968) est un des premiers Russes à venir en France. En septembre 1956, il fait une croisière en Europe sur le navire Victoire en compagnie d’un groupe d’écrivains de Leningrad. L’essai  (« otcherk » en russe) Un coup d’œil sur Paris (1956) a été écrit à la suite de  sa visite de trois jours dans la capitale. On était en pleine guerre froide…

-Bounine à Paris  par Marie Louise Scheidhauer

Yvan Bounine est né à Voronej, en Russie centrale, le 22 octobre 1870. Il est un écrivain russe, auteur de poèmes, de nouvelles et de romans. Né au sein d’une famille de poètes (Anne Pétrovna Bounine et Vassili Andréïévitch Joukovsky), il se met très tôt à écrire lui-même, publiant son premier poème, La Patrie, à dix-sept ans. Pour son recueil Automne, il reçoit le prix Pouchkine en 1901. En 1909, il publie son premier roman Le village. Entre temps, il a travaillé à un journal, publié des recueils de poésies, rencontré des écrivains russes célèbres…

-Henri Troyat : les échos d’une enfance russe par  Nina Nazarova

Académicien de la littérature française Henri Troyat (Lev Aslanovitch Tarassov ; en russe : Лев Асланович Тарасов) naquit en Russie tsariste le 1er novembre 1911 dans une famille arménienne. Pour le jeune Lev, la vie commence dans l'opulence : ses parents, riches négociants, possèdent de grands comptoirs de vente de drap ainsi que des compagnies de chemin de fer. Dans son enfance, une gouvernante suisse lui apprend le français, tandis que sa nounou, sa niania, le nourrit de légendes russes et de dictons populaires – deux femmes qui symbolisent déjà une destinée partagée entre deux cultures. Durant toute sa vie, Lev Tarassov va garder des souvenirs nostalgiques de sa vie en Russie…

-Pilules pink et la paix des peuples par Margaret Parry

A l’occasion de la visite à Paris en octobre 1896 du tsar Nicholas II et de la tsarine Alexandra  Fedorovna paraît dans le journal cette publicité sous forme de double cœur :
Pilules pink pour personnes pâles
Vous ne jouirez pas de ces fêtes si vous
n’êtes pas en bonne santé.
Force, vigueur et jeunesse s’acquièrent par
l’usage des pilules pink.
Quoi de plus clair ?  Il faut être vraiment en forme pour fêter comme il faut ce grand événement qui va renforcer l’alliance franco-russe établie en 1893… et, si nous en croyons les journaux, qui « hantait depuis plus de deux cents ans l’esprit de tous les hommes entreprenants ».  Et pas seulement des hommes ‘entreprenants’, osons-nous dire.  N’y a-t-il pas quelque chose de viscéral dans l’attirance  des deux peuples l’un vers l’autre ?  Qui fait que, entre eux « tout fut loyal même à la guerre.  La France et la Russie se sont combattus sans se haïr »…

-Diaghilev et les ballets russes à Paris par Averil King

Une amie anglaise historienne de l’art (spécialiste de Levitan dont il a été question dans nos colloques sur Makine), à qui je racontais notre prochain numéro d’ « Intervoix » sur « Les Russes à Paris » m’a dit : « Mais je pourrais vous faire quelque chose sur Diaghilev et les ballets russes à Paris ».  Comment résister à ce souffle d’inspiration venu d’ailleurs ?
A la fin du dix-neuvième siècle, Paris se montrait très ouvert à de nouvelles idées et à de nouveaux concepts, et attirait des artistes et créateurs de nombreux pays.  C’est dans l’automne de 1909 que l’indomptable ambassadeur de la culture russe, Sergeï Diaghilev, propulsé vers l’Europe par les événements politiques de son pays, déchaîna ses Ballets Russes sur un public parisien pris au dépourvu…

-Les muses russes  par Nina Nazarova

Les histoires d'amour singulières entre les artistes et intellectuels français et leurs égéries russes sont emblématiques de l'intérêt et de la fascination réciproques qui lient la France à la Russie de longue date, depuis le mariage qui unit le roi Henri 1er à la princesse Anne de Kiev, en 1051. La liste des femmes russes devenues les muses d’illustres représentants de l’art français est impressionnante: Dina Vierny, qui rencontra Maillol à l'âge de quinze ans, posa pour lui et passa le reste de son existence à faire connaître l'œuvre du sculpteur ; Gala Dali, qui avant de devenir l'épouse du célèbre peintre, avait eu pour mari Paul Eluard, et pour amant Max Ernst; Olga Khokhlova, qui fut l’épouse de Pablo Picasso et qui lui  donna son premier fils; Lidia Delektorskaia, modèle d’Henri Matisse et sa muse vingt-deux ans durant, pour n'en nommer que quelques-unes…

-Marie Bashkirtseff, L’incarnation vivante du mythe de la femme artiste  par Galyna Dranenko

« Que suis-je ? Rien. Que veux-je ? Tout », note la jeune fille de 18 ans dans son journal intime. Pour devenir célèbre, son rêve, Marie Bashkirtseff désire, avant tout, être artiste – chanter ou peindre, en un mot, créer. Elle possède une très belle voix et s’engage donc dans des études musicales ; mais, au bout de trois ans, la progression de sa maladie l’oblige à abandonner le chant. Elle se consacre donc à la peinture et à la sculpture, et laisse une œuvre importante et riche qui est exposée, de nos jours, dans les meilleurs musées du monde (Le Louvre, Orsay, etc.). Pourtant, la plus grande création de Marie Bashkirtseff reste son propre mythe celui d’une femme sensuelle et indépendante (« diabolique »)…

-Ivan Tourgueniev et les salons parisiens par  Monique Grandjean

Ivan Sergueievitch Tourgueniev est né en Russie en 1818 à Orel et meurt en France en 1883 à Bougival. Entre ces deux dates, l’écrivain vit deux existences inextricablement mêlées dont la ligne de partage est 1843, date à laquelle il rencontre à l’opéra de Moscou la cantatrice Pauline Viardot dont il tombe éperdument amoureux. (Elle est la sœur de la Malibran, célèbre cantatrice décédée en 1836 à 38 ans). A partir de ce moment il vivra dans le sillage de la jeune femme et de son mari, directeur de l’opéra italien . C’est un aristocrate, fils de propriétaire terrien ; il grandit dans la maison familiale de Spaskoie-Lioutivinova sous la coupe d’une mère despotique qui régnait sur un père faible et plus jeune qu’elle, sur 20 villages et 5000 âmes…

-Peintres ukrainiens appartenant à l’Ecole de Paris  par  Taras Ivassioutine

Vers la fin du XIXe, les impressionnistes français transformèrent leur capitale en centre mondial de l`art. La ville de Paris, sur les collines de laquelle naissaient les courants artistiques les plus novateurs, attirait des peintres de l`Europe, des deux Amériques, voire même du Japon lointain. A leur arrivée à Paris, ils s`installaient d`abord pour un bref délai à Montmartre où P. Picasso créait déjà ses tableaux et où vivait G. Apollinaire, après quoi ils commencèrent à s`établir principalement à Montparnasse, quartier situé sur la rive gauche de la Seine.La Ruche”, une maison abritant les ateliers artistiques, des ateliers bon marché situés rue Campagne Première et au carrefour Vavin (boulevards Raspail et Montparnasse) où se trouvent encore les cafés de la ”Rotonde”, du”Dôme”, de ”La Coupole” , devinrent les lieux de rencontre préférés des peintres étrangers, représentant les colonies artistiques allemande, russe, polonaise, américaine…

-Andreï Tarkovski, cinéaste soviétique et écrivain  par Claude Hecham

Le destin de nombreux artistes fut marqué par l’exil. Celui d’Andrei Tarkovski le fut tardivement, puisque seuls les deux derniers de ses sept longs métrages ont été tournés hors de Russie : Nostalghia, en Italie, et Le Sacrifice en Suède. Pendant vingt ans, entre 1962 et 1982, il a réalisé avec d’immenses difficultés liées aux conditions de la production cinématographique en URSS, des films qui l’ont rendu célèbre dans le monde entier : L’Enfance d’Ivan, Andrei Roublev, Solaris, Stalker, Le Miroir. Quand il obtint le Lion d’Or à Venise pour son premier film, qui reçut en tout huit prix internationaux, il fut invité par la ville de Florence à venir travailler en Italie. Il y choisit l’exil en 1984…

Echos de Mauriac

-Les cours sur Proust de M. Mamardachvili comme clé de la compréhension des premiers romans de F. Mauriac par  Yaryna Tarassyuk

À première vue le thème de la communication paraît au moins assez étrange  et inadéquat. Car à vrai dire Merab Mamardachvili, Docteur es Sciences et Professeur de philosophie est de  nationalité géorgienne, et n’est venu qu’à de rares intervalles  à Paris ;  et il n’a pas écrit un seul mot sur l’œuvre de F. Mauriac. Donc il ne peut s’agir dans cet article que des influences symboliques au niveau de l’œuvre et des idées…

-Dostoievski, ou l’aigle captif par  Georges Simon

En lisant cet article de Georges Simon, vous ferez vous-même le lien entre cette lecture très personnelle de Dostoïevski et le thème central de ce numéro.  N’oublions pas l’ouvrage que Gide avait écrit sur son nouveau maître, Dostoïevski, et l’impact pendant les années vingt qu’avait eu ce livre sur François Mauriac, poussé à ré-interroger ses idées sur l’art romanesque en France, comme le témoigne son essai, Le Roman, écrit en 1928.

Georges Simon s’inspire des carnets que Dostoïevski a rédigés pendant sa captivité et qui ont donné lieu à l’ouvrage les carnets de la maison des monts, paru à St Petersbourg, en 1862. L’article de Georges Simon peut être lu comme une réponse à la question fondamentale concernant l’écriture singulière de Dostoïevski :où cet homme a-t-il appris à lire dans l’âme de ses personnages ?


Poésie

-La Femme Seule par  Monique Mangold

Sans mari, sans compagnon, sans amant,
elle intéresse peu de gens. C'est évident.
On l'invite quand  on est seul, si on s'ennuie,
mais on l'oublie  lorsqu’on est avec des amis

Ouvrages de nos membres

-Galyna Dranenko, « Le mythe comme forme du sens et sens de la forme : une  lecture mythocritique des œuvres de Bernard-Marie Koltès »  (compte rendu de Nina Nazarova)

Galyna Dranenko vient de publier un livre sur l'œuvre de Bernard-Marie Koltès, auteur dramatique français. Le titre de son ouvrage  nous révèle que l'objet de sa recherche embrasse plusieurs domaines de la critique littéraire et de la mythologie car l’objet théorique de la publication a trait aux méthodes d’étude des œuvres littéraires fondées sur les acquis des théories françaises de l’imaginaire et plus particulièrement celles des mythocritiques les plus en vue, comme Gilbert Durand et Pierre Brunel…

-Sabine Badré, « Couleurs du monde » (poèmes)  (compte rendu de Margaret Parry)

Couleurs du monde est le neuvième recueil de Sabine Badré et pour moi c’est le plus beau, non seulement de par une nouvelle maturité du langage et du rythme et de la structuration de la page, qui nous mettent sous le charme, nous emportant sur les vagues du son et le déroulement des vagues, mais aussi par ce miracle de grâce que réalise le poète grâce à l’alchimie des mots : celle de se réveiller à neuf devant un monde transfiguré, enfant-poète qui voudrait saisir à pleines mains les merveilles de l’univers, les sucer jusqu’à la lie,  s’extasier à jamais devant cette « palette aux mille teintes » qui en contient le secret…

-Margaret Parry (trad.), « Fr Alexander Men, Martyr of Atheism »,  par Michel Evdokimov  (compte rendu de Anne Hogenhuis)

Le père Alexandre Men ne m’était pas inconnu. Il y a une dizaine d’années, j’ai reçu un opuscule en cadeau de la librairie des Editeurs réunis, spécialisée dans les ouvrages littéraires, philosophiques et religieux russes. Une prime de fidélité me laissant le choix entre plusieurs ouvrages. J’avais opté pour le recueil de divers articles et sermons du père Men, formant un traité de catéchisation à l’intention des Russes qui avaient subi l’athéisme militant du régime soviétique et ignoraient tout de la pratique religieuse…

- Anne Hogenhuis :Tristes printemps. Ed du Rocher

C'est l'épopée sur trois générations d'une famille d'aristocrates franco-russes qui s'échoue a Kiev en 1917. Provisoirement, pense-t-on, le temps de partir en France. Mais le couperet communiste s'abat alors sur le pays...
Ce n'est qu'un avant-gout du livre de notre membre Anne Hogenhuis, qui sera présenté plus pleinement dans le prochain numéro.

Lire la suite des articles dans la version papier
(contacter Pierre Schroeter  pierre.schroeter@wanadoo.fr)

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