INTERVOIX N° 28 Janvier 2013



SOMMAIRE


Editorial par Marie Louise Scheidhauer

C’est le moment ou jamais de placer notre bulletin sous le signe de l’échange. L’échange est notre richesse la plus réelle au sein de l’AEFM. Il nous oblige sans cesse à bousculer nos habitudes, à réinterroger nos certitudes, à reconstruire notre identité.  Notre rencontre à Paris, du 12 au 14 octobre, sous l’égide des Russes à Paris, nous a permis de découvrir combien les échanges entre les pays slaves et la France ont ouvert de portes à de nouvelles créations sur tous les plans artistiques et littéraires. Le présent numéro rend compte de ces rencontres extraordinaires à travers quelques communications et témoignages qui ont ponctué le séjour, élargissant et approfondissant nos connaissances…

Les Russes à Paris : quelques moments marquants de ce 13 octobre

Le cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois par Claude Hecham

Andreï Makine a évoqué sans le nommer le cimetière russe dans son roman de 1998, Le Crime d’Olga Arbélina, en ces termes : « Ça ne ressemble pas du tout à un cimetière, c’est un vrai jardin un peu à l’abandon où l’on sent tout de suite qu’ils ont, eux, une tout autre vision de la mort que nous… ». Ce lieu poétique, c’est celui que nous avons visité ce matin du samedi 13 octobre, par une journée d’automne que je ne me risquerai pas à décrire, la comparaison avec notre romancier préféré étant inévitable…Notre guide, Tatiana, a mené notre groupe vers l’entrée, et déjà nous étions en Russie, devant la petite église surmontée d’un bulbe bleu, de pur style novgorodien, blanche, sans ouvertures, sans autre décor que la fresque surmontant la porte d’entrée…

A la cantine russe par Marie Louise Scheidhauer

Chante et danse
Chante et danse, belle Ukraine

C’était un soir d’octobre, à la Cantine russe,
 Avenue de New York, en face de la Tour Eiffel.
C’était en Ukraine, quelque part à Paris, là où coule la Seine.

Un orchestre jouait
Une femme chantait…

Communications sur les écrivains et artistes russes à Paris


Ces communications permettent de comprendre les raisons de la présence des écrivains et artistes russes à Paris mais aussi les échanges très fructueux qui ont eu lieu entre eux et les écrivains et artistes français.

Ivan Tourgueniev et les Salons Parisiens par Monique Grandjean

Ivan Sergueievitch Tourgueniev est né en Russie en 1818 à Orel et meurt en France en 1883 à Bougival. Entre ces deux dates, l’écrivain vit deux existences inextricablement mêlées dont la ligne de partage est 1843 date à laquelle il rencontre à l’opéra de Moscou la cantatrice Pauline Viardot dont il tombe éperdument amoureux. (Elle est la sœur de la Malibran, célèbre cantatrice décédée en 1836 à 38 ans). A partir de ce moment, il vivra dans le sillage de la jeune femme et de son mari, directeur de l’opéra italien .C’est un aristocrate, fils de propriétaire terrien, il grandit dans la maison familiale de Spaskoie-Lioutivinova sous la coupe d’une mère despotique qui régnait sur un père faible et plus jeune qu’elle, sur 20 villages et 5000 âmes …

Sergey Prokofiev à Paris par Margarita Shtern

Il a consacré son œuvre à la lutte ardente et noble pour la vérité dans l’art.
George Auric

Sergey Prokofiev a fait connaissance avec Paris quand, en 1913, à l’âge de 22 ans, il est venu en Europe avec sa mère. C’était en été, la veille de sa sortie du conservatoire de Saint Petersbourg. Dans une lettre au compositeur Nicolas Tcherepnine, il écrit : « qu’ (il a) habité à Paris pendant une semaine [...], [...] mais (qu’il a) ressenti l’impression la plus superbe. La vivacité des Français, l’allure de leur vie et de leur culture générale (l’) ont enchanté ». Prokofiev dit aussi qu’il a pu écouter Petrouchka de Stravinsky et Daphnis et Chloé de Ravel. Outre la musique, le jeune homme a été impressionné par l’art : il a regardé et hautement apprécié le département des sculptures du Salon, a visité le Louvre et aussi la Tour Eiffel….

Les égéries rouges par Nina Nazarova
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

Louis Aragon, Les Yeux d'Elsa


Qu'y a-t-il de commun entre Henri Matisse, Romain Rolland, Paul Eluard, Louis Aragon, Salvador Dali, Jean-Paul Sartre ou encore Aristide Maillol ou Fernand Léger? Tous ces hommes brillèrent dans leurs domaines respectifs et marquèrent profondément leur époque et les temps à venir ; outre cela, ils se sont liés à des femmes d'exception, des Russes exilées bien décidées à peser sur les destinées de ces hommes auprès desquels elles avaient choisi de jouer le rôle de muses...

Littérature russe émigrée par Anne Hogenhuis

En un bref raccourci, je voudrais partager avec vous quelques considérations à propos de la création littéraire russe hors frontières, telle qu’elle s’est présentée en France dans les années 1920 et 30 du siècle dernier. Je ne vais pas retracer l’histoire des diverses familles littéraires, mais plutôt replacer les littérateurs et leurs œuvres dans le cadre philosophique et social de leur époque et voir comment celui-ci se reflète dans leurs créations.  Partageant le sort de nombreux Russes, des écrivains, des poètes ont émigré en deux vagues. En 1920 au moment de la Guerre civile (80.000 personnes environ en France). Puis en 1923 une émigration beaucoup plus élitaire, pour ceux qui espéraient s’accommoder avec les soviétiques et que ceux-ci ont expulsés, « la nef des philosophes ». Ensuite, il y a quelques allés et retours jusqu’en 1927, puis c’est le rideau de fer stalinien, pour très longtemps…

Andrei Tarkovski, cinéaste soviétique et écrivain par Anne Hogenhuis

Le destin de nombreux artistes fut marqué par l’exil. Celui d’Andrei Tarkovski le fut tardivement, puisque seuls les deux derniers de ses sept longs métrages ont été tournés hors de Russie : Nostalghia, en Italie, et Le Sacrifice en Suède. Pendant vingt ans, entre 1962 et 1982, il a réalisé avec d’immenses difficultés liées aux conditions de la production cinématographique en URSS, des films qui l’ont rendu célèbre dans le monde entier : L’Enfance d’Ivan, Andrei Roublev, Solaris, Stalker, Le Miroir. Quand il obtint le Lion d’Or à Venise pour son premier film, qui reçut en tout huit prix internationaux, il fut invité par la ville de Florence à venir travailler en Italie. Il y choisit l’exil en 1984…

Mamardachvili Proust Mauriac : correspondances par Yaryna Tarassiuk

Dans le contexte du thème « Les Russes à Paris » le titre Mamardachvili Proust Mauriac : correspondances exige quelques mots d’explication. Tout d’abord il est à noter que le manque de liens apparents situe le thème à un niveau symbolique et métaphysique. Car à vrai dire Merab Mamardachvili, Docteur ès Sciences, Professeur de philosophie est de nationalité géorgienne, il n’a fait qu’un nombre restreint de séjours à Paris et il n’a pas écrit un seul mot sur l’œuvre de F. Mauriac. Donc il faut argumenter différents points de vue : Mamardachvili et les Russes; Mamardachvili et Paris réel; Mamardachvili et Paris symbolique; Mamardachvili –Proust –Mauriac…


Le colloque de Berlin : Résumés des communications : Ecriture et identité

1. BADRÉ Sabine

Dans Le dérèglement du monde, l’affirmation de l’identité dans l’écriture a-t-elle un sens?( à partir de l’œuvre d’Amin Maalouf)

Amin Maalouf s’interroge depuis des années sur l’identité  malmenée par une mondialisation trop rapide, échevelée, souvent non maîtrisée, un maelström où l’homme ne trouve pas sa place et ne se reconnaît plus, surtout quand il est né au confluent de plusieurs traditions...

2. DRANENKO Galyna

Limonov d’Emmanuel Carrère .Et si nous étions tous des sujets et des agents doubles…

Comme l’analyse littéraire de l’autobiographie le vérifie, l’histoire d’une vie ne cesse d’être refigurée par toutes les histoires véridiques ou fictives qu’un sujet se raconte sur lui-même. Cette refiguration fait de la vie elle-même un tissu d’histoires racontées
Paul Ricœur

Emmanuel Carrère, l’auteur de D’autres vies que la mienne (P.O.L., 1999), aurait pu à l’évidence signer le livre, trop méconnu, du poète espagnol, Antonio Machado, De l’essentielle hétérogénéité de l’être (Rivages poche, Petite bibliothèque, 2002), et reprendre à son compte la notion d’« autreté ». C’est une telle vision du monde et de l’homme qu’illustre, en tout cas, son dernier opus Limonov (P.O.L., prix Renaudot 2011)…

3. FABIANI Daniela

L’identité juive dans l’œuvre d’Irène Némirovsky

Le XXI siècle a vu paraître, à titre posthume, le dernier roman d’I. Némirovsky, écrivaine ukrainienne d’origine juive qui a commencé sa carrière littéraire à Paris et qui est morte à Auschwitz sans avoir réussi à obtenir la nationalité française qu’elle avait pourtant demandée à maintes reprises. Russe, juive, française : ces trois identités n’ont pas joué dans sa vie personnelle un rôle trop conflictuel (sauf les derniers temps, avant sa déportation), car elles fusionnaient dans ce qu’elle considérait comme sa véritable identité, à savoir une écrivaine française ; par contre ses romans et nouvelles montrent ces trois origines en éternel conflit…

4. FERNANDEZ Thaïs A.

Une nuit de novembre 1956… Agota Kristof: une identité à re-construire

Le traumatisme identitaire d’Agota Kristof remonte à une nuit de novembre 1956, lorsque, suite à l’invasion de l’Armée Rouge, elle doit fuir la Hongrie et les persécutions. Elle a dix-neuf ans et une petite fille de quatre mois. Dans son récit autobiographique, L’analphabète, elle dira plus tard qu’elle n’aurait pas voulu en arriver là, mais qu’elle a suivi son mari, qui risquait la prison pour son engagement politique. Il s’agit d’un détail important, car cet abandon forcé de sa terre, de ses affections, de ses racines provoquera en elle une crise d’identité dont elle sortira grâce à l’écriture…

5. GARFITT Toby

Identité et (dé)création chez Sylvie Germain

Les derniers livres de Sylvie Germain posent de façon aiguë le problème de l’identité. La romancière s’interroge en particulier sur la ligne fragile qui sépare l’existence de la non-existence, tant pour le personnage littéraire (Les Personnages, 2004) que pour l’être social (L’Inaperçu, 2008 ; Hors champ, 2009). Qu’est-ce qui fait qu’un être humain vive vraiment ? Nous ne vivons qu’en rapport avec l’Autre, et « l’enfer, c’est quand il n’y a plus que “moi”, mais un moi insulaire, abandonné de tous » (Quatre actes de présence, 2011). Qu’est-ce qui assure notre visibilité ? Quel est le sens de la décréation dont notre société moderne est menacée, et dans quelle mesure peut-elle être rachetée ? Sylvie Germain apporte des éléments de réponse dans une méditation nourrie comme toujours d’échos et de dialogues, où la présence de l’Autre (voisin, créateur, ou Dieu) est essentielle.

6. GORMALLY Patrick

Pearse Hutchinson : du code de la tribu à l’identité continentale 

Pearse Hutchinson (1927-2012), un des rares poètes bilingues d’Irlande (gaélique et anglais), est également le traducteur en anglais de poèmes tirés d’une douzaine de langues et dialectes européens dont les langues de la péninsule ibérique en particulier.
La langue irlandaise, parlée depuis 500 avant J-C, est une des plus vieilles d’Europe et date pour la forme moderne de 1200. Les textes de Pearse Hutchinson sont cependant étonnamment modernes et évoquent les grands thèmes de la poésie universelle : l’amitié et l’absence, le trouble intérieur et la paix, la colère et l’humour…

7. HECHAM Claude

Sur le thème : écriture et identité, une analyse du roman Le nœud de vipères de François Mauriac (1932)

Mauriac avait montré avec Thérèse Desqueyroux la perfection de sa technique de la rétrospection. Avec Le nœud de vipères il alla plus loin en faisant d’une confession par lettre, un journal couvrant tout un cahier. Alors que le premier exercice exprime un sentiment de culpabilité, le second ne vise d’abord qu’à juger les autres. Comment et pourquoi se fait ce passage d’un genre à l’autre ? …

8. IVASSIOUTINE Taras

Gregor von Rezzori: littérature comme quête des origines

La vie de Gregor von Rezzori coïncide presque parfaitement avec le XXe siècle. Né citoyen austro-hongrois, en 1914 à Czernowitz en Bucovine (cet entre-deux politique, entre la Mitteleuropa et les Balkans, où sont nés beaucoup d’autres écrivains, dont P. Celan) ce grand séducteur portait en lui une mosaïque de langues et de cultures issue de son pays natal. Apatride, il adoptera la nationalité autrichienne seulement en 1984. Nomade, il séjournera à Bucarest, Vienne, Berlin, Hambourg, Rome, Paris et New York avant de se retirer, à partir de 1966, en Toscane, pour s’adonner totalement à l’écriture. Mais ce fils de chasseur n’était pas homme de bureau. Chroniqueur radio à ses débuts, puis journaliste à Playboy ou Kurier, il fut aussi scénariste de films et même partenaire au cinéma de Brigitte Bardot…

9. JACQUET Marie-Line

Personnages en quête d’identité dans deux romans de Gabriel Osmonde

Une bonne partie de l'œuvre d'Andreï Makine et de Gabriel Osmonde est marquée par le thème de la recherche ou de la perte de l'identité des personnages. Certains héros de Gabriel Osmonde ne semblent ne pas apprécier ce qu'ils sont, et vivent comme une distance par rapport à leur propre corps. Dans Les 20 000 Femmes de la vie d'un homme, Alexis Taraneau éprouve du dégoût par rapport à sa propre personne et de même, il est à la fois fasciné et rebuté (l'omniprésence du champ lexical de la bestialité, dès qu'il s'agit de sexualité, en témoigne suffisamment) par le corps des femmes qu'il rencontre et prétend aimer. Dans Le Voyage d'une Femme qui n'avait plus peur de vieillir, Laura n'aime guère ses formes un peu lourdes et aucun de ces personnages n'est épanoui dans sa vie amoureuse…

10. JAMMAL Nadia

Ecriture cathartique et quête de l’identité dans Anima, roman de Wajdi Mouawad.

Wajdi Mouawad est né au Liban et a vécu à Paris et à Montréal avant de se fixer à Toulouse. Roman multiforme de 389 pages, Anima déroule le périple échevelé, à travers l’Amérique, d’un homme à la recherche du meurtrier de sa femme, sauvagement assassinée au début du récit. Mais l’enquête s’avère être une quête de l’identité, de l’altérité et des origines, à travers les lacis de récits entrecroisés, assumés par des animaux-totems et qui aboutissent à un sacrifice rituel où la perte de l’âme est rachetée par le dévoilement des mensonges enfouis dans un passé révolu et la récupération d’une identité avérée protéiforme...

11. MONTESARCHIO Marta

L’identité en déplacement dans Soigne ta chute de Flora Balzano

Comment saisir complètement sa propre identité dans une société aussi scindée et chaotique que notre société contemporaine? Chaque individu moderne s’est posé cette question une fois dans la vie, et la réponse est toujours difficile à trouver car elle implique un parcours de totale mise en jeu de soi-même pour pouvoir enfin se comprendre et se dire aux autres. Dans le cas de Flora Balzano, cette définition identitaire implique une quête encore plus tortueuse, suivant un voyage à la fois physique et intérieur qui a caractérisé la vie et l’œuvre de l’auteur…

12. NAZAROVA Nina

Alter ego ou alternaissance: de Makine à Osmonde

Qu'est ce qui pousse un romancier célèbre qui a cumulé des prix littéraires et la reconnaissance des lecteurs, un romancier qui est traduit en plusieurs langues et qui est invité partout, à publier sous un pseudo, à se cacher derrière un nom et une personnalité autre et à vivre des années dans la clandestinité ? Est-ce le désir de repartir à zéro, de se débarrasser du poids insupportable du passé et de l'image créée par la critique qui commencent à freiner la liberté d'expression ou est-ce plutôt un jeu avec le sort, un moyen d'échapper à l’oubli, de conjurer la perte de la créativité ? …

13. OUNDOUA  Hervé

  Jacques Derrida et la question  de l’identité

En considérant l’homme dans un « jeu de miroirs du monde », les idéologies postmodernes ont un même objectif : saisir ce dernier dans sa fugacité et sa contingence. Ces théoriciens refusent à la nature humaine toute identité précise, dés lors que d’après eux, la vie elle-même se charge de « déjouer les fixations » et les pièges identitaires aussi bien par l’exil que par la dispersion...

14. PARRY Margaret

Austerlitz de Sebald, ou des frères dans le mal : identités meurtries et meurtrière

Sous quelles formes la crise identitaire se retrouve-t-elle dans la littérature française et francophone ? C’est la question posée dans la proposition de colloque qui nous transmise. Etant donné le lieu de notre colloque, j’ai choisi d’interroger un écrivain allemand, W G Sebald, considéré par bon nombre de critiques comme étant l’un des plus grands romanciers d’aujourd’hui, destiné à recevoir le prix Nobel de littérature, n’eût été sa mort précoce survenue en 2001 dans un accident de voiture…

15. RUTTIK Ada

L’identité à travers lécriture ou nouvelles clés de lecture dun récit de Friedebert Tuglas

Il nous semble que toute écriture créative quelle que soit sa forme ou son sujet en dit plus sur son auteur que la parole de ce dernier. Cest-à-dire quen écrivant, lauteur révèle malgré lui une partie de son âme, ce quil ne fait pas ou ne doit pas forcément faire en parlant. Lorsquil écrit, il est obligé dêtre plus honnête envers lui-même ainsi que devant ses lecteurs. Enfin, il se rend compte que les mots ne senvolent pas tout de suite à la différence des paroles...

16. SCHEIDHAUER Marie Louise

Quels liens littéraires entre les narrateurs d’Alternaissance de Gabriel Osmonde et du livre des brèves amours éternelles d’Andreï Makine?

Il existe des liens étranges entre les deux écrits. Le lecteur d’A. Makine qui lit Alternaissance de Gabriel Osmonde y reconnaît des phrases entières du livre des brèves amours éternelles. Entre autres ce que G. Osmonde appelle « les instants perliers ». Et c’est comme si Alternaissance développait le rêve du Poète qui est de remplacer l’humanité fade et perverse et moutonnière qui est la nôtre par une humanité nouvelle faite d’ « instants perliers éternels ». Pour réaliser ce rêve il faut trouver le langage de l’alternaissance. Cette tâche est confiée au narrateur d’Alternaissance qui s’est initié au projet du groupe des diggers…

17. SIMON Georges

Deisis ou les trois visages de Sylvie Germain

Chaque fois qu’on lit un livre de Sylvie Germain, on a la chance de se retrouver sur la troisième voie de la vie, comme l’unique chemin vers l’éternité vivante. Sacrée, la vie c’est le don que le Créateur a offert aux hommes pour partager et consacrer la Création : accueillir, accepter, consentir ; écouter le silence et scruter l’invisible, - tels sont les plus hauts actes de l’attention et de la conscience que doivent accomplir les vivants…

18. TARASSIUK Yarina

La quête ou le refus d’identité dans les romans de F. Mauriac précédant Le baiser au lépreux

La quête d’identité ressemble à l’aspiration de l’homme à se situer au sein de l’humanité et en exprime le trait principal – son besoin d’appartenir au groupe et en même temps d’être unique et libre. Plusieurs appartenances de l’homme aboutissent à un mouvement interminable dans le temps et l’espace, donc à un changement infini des coordonnées…

19.LATINI MASTRANGELO Giulia 

Jacques Poulin:  Volkswagen blues  ou le désir de clarification identitaire


Notre travail commence par une rappel de Chrétien de Troyes (XIIe siècle), dont l’un des personnages, Perceval, décide de quitter les chevaliers du roi Arthur et la gloire mondaine pour entreprendre une quête par laquelle il espère, au travers d’une prise de conscience de lui-même, atteindre l’élévation morale. Resté inachevé, peut-être suite à la mort de l’auteur, ce roman jette les bases du sens que prend cette décision du jeune Perceval qui, au fil de son éducation, acquiert la conscience de soi et du monde environnant ; aussi pouvons parler, en termes modernes, d’un voyage identitaire...


Nouvelles publications de nos membres

Taras Ivassioutine, De Molière à Chagall : dialogue littéraire et artistique, Tchernivtsi, Zoloti lytavry, 2012, 292 p. (en ukrainien, en français, en allemand)

La monographie de Taras Ivassioutine comprend des recherches scientifiques tout à fait passionnantes et intéressantes tant en littérature, qu’en art et en traduction. Le premier chapitre réunit des articles consacrés à l’histoire de la réception de l’œuvre de Molière en Ukraine. Le point de vue choisi s’inscrit dans une problématique de traductologie, dans la mesure même où Taras Ivassioutine examine et étudie comment les pièces de Molière ont émergé dans les champs littéraire et culturel en Ukraine, grâce à la médiation de la Pologne et de la Russie. Ainsi une attention particulière est-elle portée sur l’histoire et la configuration du théâtre ukrainien des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Il est établi que cette période se caractérise par un répertoire assez restreint. Les œuvres dramatiques, qu’elles soient ukrainiennes ou étrangères dont on dispose alors, sont relativement peu nombreuses. Taras Ivassioutine montre, à ce propos, combien ont été importantes les interprétations critiques de l’œuvre du célèbre dramaturge français entreprises par Ivan Franko et Lessia Oukraïnka. En effet, il est incontestable que, grâce à eux, l’œuvre de Molière a eu une influence décisive sur un grand nombre d’écrivains ukrainiens – à savoir : H. Kvitka-Osnovianenko, I. Karpenko-Karyï, I. Franko, M. Kropyvnytskyï, pour ne citer que les plus connus. Par ses travaux d’historien de la littérature et de la culture, T. Ivassioutine se révèle donc, à coup sûr, comme l’un des meilleurs spécialistes qui ait mis en lumière le rayonnement de Molière en Ukraine.
Le deuxième chapitre est consacré, en grande partie, à des études littéraires comparées d’œuvres d’écrivains ukrainiens, européens et, en particulier, français du XXe siècle (F. Mauriac, A. Makine, P. Michon, R. Gary, M. Houellebecq, J.M.G. Le Clézio, A. Wiazemsky). On soulignera l’approche originale de Taras Ivassioutine dans l’analyse des œuvres des écrivains qu’il affectionne, car il examine avec beaucoup d’acuité comment leur écriture est liée aux différents arts (peinture, musique…). Il faut mentionner aussi une autre facette des investigations entreprises par cet enseignant-chercheur, quand il établit des parallèles entre les pièces de Sartre, d’Anouilh et de Vynnytchenko, dans des études centrées autour du personnage dont l’identité profonde risque, à chaque instant, de se confondre avec les masques qu’ils prennent. Taras Ivassioutine trouve dans ce phénomène la manifestation d’un drame existentiel, celui de la tension entre l’être et le paraître – peut-être l’un des thèmes les plus importants de la littérature du XXe. En écho à cette préoccupation humaniste, Taras Ivassioutine entreprend d’évoquer, dans un de ses articles, en les réinscrivant ainsi à nouveau dans nos mémoires individuelle et collective, trois hommes qui ont vécu l’expérience du Goulag et qui en ont témoigné ultérieurement dans leurs écrits. Certes, c’est le cas de Soljenitsyne, mais aussi celui de Varlaam Chalamov, condamné au bagne, où il mourra, qui a su raconter, d’une façon originale et poignante, l’indicible des souffrances endurées à la Kolyma. Taras Ivassioutine a aussi le mérite de rendre inoubliable le témoignage de Mykhaïlo Ivassiouk, un écrivain bucovinien peut-être moins médiatisé mais qui compte pour tout lecteur capable d’entendre cette voix qui décrit l’enfer du camp et les difficiles tentatives de vivre après cette expérience tragique.
Dans son troisième chapitre, Taras Ivassioutine examine les liens culturels et historiques qu’ont entretenus la France et l’Ukraine, et étudie les phénomènes de multiculturalisme en Bucovine, passés par le filtre des œuvres d’écrivains bucoviniens dont la renommée et l’aura sont devenues mondiales (I. Némirovsky, O. Arkhypenko, V. Vynnytchenko, P. Celan, G. von Rezzori, etc.). Autant historien qu’archéologue et exégète de ces échanges entre les cultures, on comprend, donc, que Taras Ivassioutine ait eu aussi le souci de découvrir et de relever les moindres traces des ressortissants de Tchernivtsi et de la Bucovine en France, et en particulier à Paris.
Enfin, il faut signaler que tout chercheur est aussi un homme qui vit, grâce à ses préoccupations scientifiques, des expériences humaines qui l’enrichissent, et on sait gré, dès lors, à Taras Ivassioutine de nous les faire partager dans ses notes de voyage, où il évoque les rencontres mémorables qu’il a faites avec des personnalités qui ont été des phares de l’art du XXe siècle, et en particulier celle avec Marc Chagall.

Compte rendu de Galyna Dranenko

Anne Hogenhuis: Tristes Printemps, épopée, Editions du Rocher, 2009

L’épopée, disait Victor Hugo, c’est de l’Histoire écoutée aux portes de la légende.
Après avoir lu l’histoire de la famille Séliverstoff racontée par Anne Hogenhuis, je me suis demandé pourquoi l’auteure, qui est historienne, avait sous-titré son ouvrage "épopée". Etait-ce parce qu’elle a utilisé les sources à sa disposition et que ces documents sont dépositaires de la légende familiale ? Ou bien était-ce parce que les événements auxquels sa famille a été mêlée eurent la dimension d’un cataclysme universel ?
Anne Hogenhuis dispose de sources premières, pour l’essentiel rédigées en français, un paquet de lettres jaunies à l’encre violette, d’une écriture régulière, penchée à l’anglaise façon Sacré-Cœur : la correspondance adressée par Cécile pendant vingt-cinq ans à sa sœur Joséphine ; le récit, par sa fille Mila, des années passées au Goulag ; les confidences enfin de Lucette, à la troisième génération. D’autre part, elle a connu certains des protagonistes de cette histoire qui sont ses parents, au sens large, alors que ses grands-parents, Cécile et Iva, ne lui sont connus que par des photographies. Trop tardivement, elle en est consciente, écrire leur biographie à partir des renseignements ainsi recueillis est devenu pour elle une intime exigence. Mais il lui fallait la remettre à sa place dans la trame de l’Histoire avec un grand H, cette dernière primant toujours sur les destins individuels. Travail mené avec le souci d’exactitude propre à l’historien, mais qui, au final, se lit comme un roman, tout comme le précédent : Des savants dans la Résistance, qui nous a fait revivre la tragique destinée de Boris Vildé. Après avoir retracé l’épopée de ce jeune russe fusillé à Paris pour avoir fait partie du réseau du Musée de l’Homme, c’est celle de sa propre grand-mère, française devenue russe, qu’elle a fait revivre grâce à la correspondance conservée pendant soixante-dix ans par sa famille française. Elle a recherché passionnément les traces de la guerre de 14-18, de la Révolution russe de 1917, de la guerre de 39-45 dans ces longues missives lancées parfois comme des bouteilles à la mer ! Et lorsque les lacunes des sources ne permettaient pas de suivre le déroulement des évènements, Anne Hogenhuis a poursuivi ses recherches dans les documents diplomatiques du Quai d’Orsay à la publication desquels elle collabore.
Cet héritage d’une famille disparue se situe quelque part entre la Russie et la France, à Varsovie, Strelna ou Kiev, partout où l’exil volontaire, puis subi, a poussé Cécile à consacrer du temps à l’écriture. Ses lettres témoignaient d’une culture et d’une intelligence remarquables ; dans un style inimitable que de nombreuses citations nous font apprécier, elle raconte sa vie de grande dame, palais et robes à traîne, et son existence misérable d’exilée sans le sou, mais toujours avec humour. Quand il fallait déjouer la censure soviétique, elle avait recours aux expressions populaires aussi bien qu’aux métaphores poétiques. N’est-ce pas une forme d’héroïsme, cette lutte contre la faim, l’exil, la maladie ? Le désespoir guettait toujours Cécile, mais soutenue par ses enfants et son amie Charlotte, elle tenait bon. L’incompréhension de sa famille de France fut peut-être sa plus grande tragédie : à la fin, quelqu’un dit : « elle l’a bien cherché ».
Nous savons grâce à Anne Hogenhuis, sa petite fille, que cet héroïsme était fait d’amour.

Compte rendu de Claude Hecham

Roger Bichelberger, Bérénice, Ed. Albin Michel, oct. 2012

Roger Bichelberger,  membre de l’AEFM depuis ses origines, publie Bérénice, son douzième roman chez Albin Michel, outre ses récits, nouvelles et essais chez ce même éditeur…d’autres romans ont paru chez Plon, Stock, Fayard, Desclée de Brouwer etc…beaucoup ont été primés…

Bérénice a 17 ans quand elle rencontre dans son lycée le Père Kenelm, un jeune prêtre irlandais envoyé en France auprès de jeunes filles auxquelles il se dévoue sans compter. Bérénice n’a jamais existé pour ses parents et croit trouver en Kenelm un père de substitution, capable de la comprendre, de l’aider et de l’aimer. Kenelm est le narrateur. Entre ces deux êtres profondément spirituels mais solitaires, sensibles et tourmentés, la rencontre qu’ils vivront comme une grâce s’annonce incertaine et douloureuse. Bérénice, écrit d’après une histoire vraie comme souvent dans les romans de Roger,  est un drame qui ne cache pas ses influences bernanosiennes.

En Lorraine, sur la terre natale de Roger Bichelberger, plusieurs manifestations sont organisées à chaque parution d’un nouveau livre ; nous assistions à celle de Forbach où le public était très nombreux. Roger avait réuni un ancien collègue, professeur de français, qui se dit athée, et un prêtre catholique, chacun soulignant à sa manière l’intérêt de ce livre, le tout ponctué par les chants d’une chorale ; un débat a suivi et la soirée s’est terminée autour d’un verre de l’amitié. Merci à Roger pour son écriture et tout ce qu’elle suscite…
Compte rendu de Marie-Cécile Schroeter

Autre parution

Liliane Barakat, Le Liban, Géographie d’un pays paradoxal, Ed. Belin, Paris, 2012


Evènement

Boulgakov a aussi franchi le mur par Marie-Louise Scheidhauer

Boulgakov, dont nous avons entouré la statue à Kiev, a eu droit à la cour d’honneur en Avignon, en cette année 2012, affichant par là-même l’intérêt que le lecteur d’aujourd’hui porte à ce roman. La page qui suit en propose une relecture…


Lire la suite des articles dans la version papier
(contacter Pierre Schroeter  pierre.schroeter@wanadoo.fr)

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