Trente ans après: Bordeaux
L’élan initial a eu lieu à
Malagar. La grâce des commencements a agi en ce lieu inspiré, situé au milieu
des vignes, ouvert sur un large horizon où se profilent les landes. C’est là
qu’est née l’AEFM sous l’impulsion d’un tout petit nombre de fervents lecteurs
de F. Mauriac, il y a de cela trente ans.
La lumière de Malagar. C’est
ainsi que G. Simon intitule son article. La lumière de Malagar a-t-elle éclairé
le colloque qui s’est déroulé trente ans après, à Bordeaux? A la suite du
colloque une partie des participants est allée dans cette ancienne propriété de
F. Mauriac qui les a accueillis, nimbée d’une brume qui s’est peu à peu
dissipée, découvrant une maison d’autant plus habitée qu’elle est précisément
vidée de ses anciens habitants. Émotion. De la « terrasse » nous avons
contemplé, la vigne, l’horizon. Nous sommes entrés, comme F. Mauriac jadis, par
la cuisine (rendue à sa noblesse), nous avons traversé la salle à manger, le
salon avec ses meubles, témoins de scènes familiales et lieu de création et de
conversations littéraires, et nous nous sommes arrêtés au bureau qui était
aussi la bibliothèque. Un silence, dense de tout ce que chacun évoquait ou
convoquait en son for intérieur, nous accompagnait.
C’est l’œuvre de F. Mauriac
qui a ouvert le colloque de Bordeaux. Et une fois de plus, ce romancier,
essayiste, chroniqueur, a étonné par son sens de l’humain, son génie créateur,
uni à une constante ouverture aux problèmes du monde. L’association a grandi.
Trente ans après, les participants au colloque ont été invités à réfléchir à la
mission de l’écrivain “solitaire et solidaire”. La rencontre a été d’une grande
richesse. Les apports des uns et des autres ont exploré des voies diverses, ont
parfois ouvert des perspectives inattendues, ont interpellé fortement
l’auditoire, éclairant des événements d’un jour nouveau, ont ému, ont toujours
touché. L’Association Européenne François Mauriac a regroupé des membres venus
d’Asie, d’Afrique, d’Amérique et d’Europe. C’est pourquoi la rencontre a été
extraordinaire même si les moments informels d’échange n’ont pas été, comme Taras
Yvassiutyn le laisse entendre, aussi longs que nous l’aurions souhaité.
Islam Belgaid, participante,
Marocaine, parle du « sourire » de l’association qui l’a accueillie. Et c’est
une joie de savoir que c’est ce visage que nous présentons. « L’épiphanie du
visage constitue, selon Emmanuel Levinas, une percée de la croûte de « l’être
persévérant dans son être » (dans son ego) et soucieux de lui-même.
Responsabilité pour autrui, le pour-l’autre « dés-intéressé » de la
sainteté (au sens de valeur pour l’être humain). » Et le même philosophe me
permet aussi de répondre à une question récurrente de Michael O’Dwyer sur la
signification du mot « Bonjour » en début de journée. Bonjour est, toujours
selon Levinas, le mot de « bénédiction » pour la journée, parole exigeante de
l’être envers lui-même et envers autrui. C’est la lumière de Malagar! Merci
Islam!
Lumière, suffisante pour
répondre au premier objectif de l’association qui est l’étude de la littérature
contemporaine sous l’angle de la spiritualité dans le sens d’un questionnement
sur notre existence, ici et maintenant ? L’article de Margaret Parry sur un des
derniers livres de F. Cheng, autre référence de l’association, livre ayant pour
sujet « L’âme », appelle à la vigilance. La lecture des actes nous permettra de
voir que nombre de communications ont le souci d’approfondir, sous l’angle de
la responsabilité de l’écrivain dans l’éveil à l’intelligence du monde, ce
questionnement. La lumière de Malagar nous invite à prendre de la hauteur, à
accrocher nos racines aux étoiles, pour voir sous un autre angle notre vie sur
terre.
Notre association est
européenne. Certes. Mais pas entourée de barbelés! Ses frontières sont
élastiques et elle y gagne. Sur le plan d’un élargissement de son esprit, de
son cœur et de son âme.
Merci à tous ceux qui y contribuent. Puis-je ajouter,
ici, que nous pouvons difficilement ne pas voir le flot des réfugiés, les pays
embrasés, les pays maltraités, alentour? Et la Méditerranée devenue cimetière?
Je trouble la lumière de
Malagar? Oh, que non! F. Mauriac aurait été le premier à dénoncer l’hypocrisie
d’un monde qui refuse d’ouvrir les yeux. L’article de G. Simon le montre bien.
La lumière de Malagar peut être projecteur sur un monde en souffrance.
Que
demeure donc ce que F. Cheng appelle “soif qui nous taraude”, “ardent désir de
vivre”, “célébration de l’au-delà du désir”, “vraie vie en communion avec
d’autres”! Merci, Margaret, de nous le rappeler!
Le dernier soir de la
rencontre, la table réunissait encore une dizaine de participants. A ma droite,
il y avait Serigne, le Sénégalais, à ma gauche, Michael, l’Irlandais, en face
de moi, il y avait Daniela, l’Italienne, à l’oblique, Ada, l’Estonienne, à
l’oblique encore, Christiane, la Strasbourgeoise, et présente un peu plus loin,
Margaret, l’Anglaise. Et la soeur d’Ada et sa nièce complétaient la table. Et
je me suis dit: quel bonheur! Quel instant de plénitude! Nous partageons,
au-delà du repas, une espérance!
“Nulle autre Loi
qu’échange-change”, selon F. Cheng.
Il me reste à remercier
chaleureusement tous ceux qui ont organisé le colloque: Nina Nazarova, notre
présidente, mais aussi Marie-Cécile et Pierre Schroeter, Claude Hecham (qui
malheureusement n’a pu être des nôtres), Margaret Parry. Merci !
Marie
Louise Scheidhauer
La lumière de Malagar
C’est ainsi que Georges Simon a vécu la visite de
Malagar, cette propriété de François Mauriac qui a tenu tant de place dans sa
vie. La maison est située dans les vignes et à travers les charmilles on voit à
l’horizon Les Landes, autre
terre où se déroulent la plupart des romans de l’auteur.
Il faut savoir, pour
bien lire le texte de G. Simon, que F. Mauriac prenait tous les jours le chemin
de Calèse, pour se rendre à Verdelais. Ce chemin est jalonné des stations d’un
chemin de la croix. C’est au sommet de la colline que se dressent les croix.
Accompagné de mes amis de
l’AEFM, je suis arrivé, un beau matin, à Malagar. Là j’ai trouvé une lumière
qui descendait sur nous à mesure qu’on remontait doucement et qu’on
s’approchait de la maison de François Mauriac. Avant d’entrer, nous avons
regardé la splendeur de la vue qui s’étalait en éventail sur les collines
vertes.
Autour de moi, tout est un
creuset du silence. La rosée sur l’herbe a l’air de larmes de la nuit. Elles ne
sont pas encore séchées. Elles nous attendent et nous rappellent les larmes des
étoiles du firmament qui veillent sur notre destinée, ordonnée et comblée de la
Grâce et de l’Amour. Un petit instant, un souvenir noir me rend aux temps de
l’oubli, de la honteuse étoile jaune, qui a marqué et a mis à
l’épreuve un peuple, coupable de la seule faute d’être né. Les pins solitaires
dressent leurs ailes vertes vers le haut, comme s’ils voulaient embrasser la
lumière. Ils ont l’air de tuyaux d’ orgue ou de piliers de cathédrale.
La Lumière et le Feu. Le feu
de l’Amour qui fait brûler notre âme et la Lumière intérieure qui nous sauve de
la mort. Mieux que partout ailleurs dans son oeuvre, François Mauriac se
dévoile dans un poème dédié à Eusèbe de Brémond d’Ars: Des troncs d’arbres
noircis montent du jardin vide./ Aucune fleur – pas même un chrysanthème pâle/
N’éclate entre ces murs où sommeillent les livres. Autour, c’est la banlieue
inondée et funèbre,/ Et j’écoute, un à un, comme des oiseaux ivres/ Jaillir
vers moi vos vers pleins de douces ténèbres./ Des couchants d’autrefois
éternisent leurs flammes/ Dans les fonds verdissants d’une étoffe ancienne./
Ils sont morts comme notre enfance... Ô, fraîcheur d’âme/ Un peu la vôtre
encore et qui n’est plus la mienne!/ Le piano est un mort et les mornes
tentures/ N’étouffent que la plainte basse de l’averse./ Mais l’orage enchaîné
des musiques futures/ Que ce logis d’amour, où le Roi vint, préfère/ Votre
trouble harmonie aux musiques légères. – aux rires d’autrefois, votre âme de silence...
(27 novembre 1913). “Heureux qui comme Ulysse”. J’ai tressailli, en
murmurant ce vers, au moment où j’ai touché le sommet de la Colline. Aussi,
heureux, en lisant parmi les noms de sa Correspondance, ceux de
Marthe Bibesco et d’Anna de Noailles.
Malagar, c’est le Mont des
Oliviers de François Mauriac. Ici on pourrait découvrir la terrible puissance
du passage fugitif et furtif, de l’incessant qui s’éternise dans le livre et
qui s’actualise dans chaque instant quand on entend l’orage menaçant de la
solitude accablante. Malagar, c’est le livre ouvert de la vie d’un solitaire,
l’agonie d’un temps qui passe et qui revient comme un orage. Ce livre de
Malagar est plus vif que la vie de l’enfant, éternel orphelin qui n’a pas connu
son père. Plus tard, le visage de son père revient, dans une image
virtuelle/imaginaire et plus évasive : “Je rejoins demain les miens au train
des Pyrénées, après dix jours de solitude dans un Malagar si beau qu’il
paraissait copier certains chapitres de mes livres. Je m’y suis retrouvé et j’y
ai vécu profondément, dans un état de désespoir, qui vous semblerait choquant
et démesuré, si vous le connaissiez. Mais désespoir salubre, au fond; cette
nuit, seul dans cette maison morte, j’entendais la meute lâchée des orages sur
l’immense plaine que vous avez contemplée après tant d’autres, qui, depuis mon
adolescence, passe de regards en regards et qui est aussi immuable que cette
terrible puissance en moi pour m’attacher et pour souffrir” (Lettre à
Bernard Barbey, 21 juillet 1933)
De loin et d’en-bas, pas à
pas, on a l’impression de s’élever vers le Mont des Oliviers. Arrivé au sommet
de la Colline, on quitte toutes les arrière-pensées, tous les souvenirs, en
partageant avec le Christ la solitude et la rencontre inattendue avec soi-même.
La maison de François Mauriac nous attend avec ses portes grandes ouvertes.
C’est une maison semblable à la création de son maître, par l’ouverture et la
largeur, par les toits, les murs et les fenêtres qui vous protègent. On ne sait
pas où on pourrait s’arrêter, d’un espace à l’autre, tout est ouverture, ainsi
on se trouve toujours au centre. Devant les portes, chacun de nous regarde et
contemple, en imaginant l’arrivée du maître et le salut de bienvenue dans le
Royaume du Silence. Nous sommes comme les personnages de ses romans,
ressuscités, tout d’un coup, confirmés dans notre vie, par notre attente, par
notre vive admiration devant une création qui confère un sens plus pur à l’
Amour éternel.
En regardant et en admirant,
selon les quatre points cardinaux qui s’ouvrent comme les quatre bras de la
croix, le Mont des Oliviers, celui-ci devient pour moi le Golgotha, surnommé la
Colline du crâne. D’un coup, j’ai l’impression qu’au sommet de la Colline se
trouvent l’ Impasse du Christ et le Triomphe de l’Amour: La croix, ainsi,
est inscrite dans le cercle sacré de la vie divine, elle est l’axe vivant de
l’amour trinitaire. Le Père est l’amour qui crucifie, le Fils est l’amour
crucifié, l’Esprit Saint est la croix de l’amour, sa puissance invincible. Le
mouvement parcourt les branches de la croix, et celles-ci comme les bras
étendus du Christ, enveloppent l’univers. (Paul Evdokimov, L’art de l’icône, Desclée de
Brouwer, 1970, p.211) Dans une lettre de 26 décembre 1944, François Mauriac
avait écrit à Jean Blanzat: Cher Jean, j’ai moins peur de la chose, sans
doute improbable, que je ne suis fatigué de ce monde ignoble, de cette haine,
de cette vie, d’un rôle pour lequel je ne suis pas fait et dont je me sens très
indigne, du personnage que je joue – moi qui si souvent, épuisé, ne
souhaiterais que de fermer les yeux, la tête contre une épaule... Mais enfin
Dieu est là, ce Dieu-enfant qui touche en nous, qui délivre une source de
larmes. Ah! Cet adeste fideles!...Quelle
musique humaine aurait ce pouvoir de m’ouvrir ainsi le coeur? J’ai la Foi (moi
qui ne l’ai pas toujours...) ces temps-ci. Je crois en la réalité de cet Amour
dont je parle aux autres. Et au commencement de l’année suivante, il écrit
à son ami, André Gide, dans une lettre restée inédite: Il faut que je vous
dise pourtant que c’est une sensation étrange que d’être en contact direct avec
le public frémissant. (Je reçois 50 lettres par jour.) Écrire engage
terriblement [...] Mais je suis entre les mains de Dieu. Que j’aime cette
prière du vieux Siméon: in manus tuas,
Domine, commendo spiritum meum!
De retour, en Roumanie, avec
sa Correspondance intime de
1898 jusqu’au juillet 1970, j’ai découvert un autre Mauriac, plus ouvert et
plus soumis à la confession, sans façon et sans ombre, très conscient de sa
noble mission et de son don. Il a trouvé la voie vers la vraie vie, en lui
donnant un sens, celui de l’Amour. L’Amour qui nous sauve de la mort et qui
consacre la vérité de la Croix: le sacrifice du Fils ne se répète pas et chacun
d’entre nous a le choix de nuire en cédant à la tentation du mal ou de donner
expression seulement aux valeurs qui ordonnent et conjuguent les vies dans
l’Ordre divin du Seigneur, le Créateur.
Chaque lettre est une
confession de soi-même. Peu importe le destinataire (ils sont
quatre-vingt-huit!), François Mauriac n’oublie pas la réponse de son maître
Maurice Barrès. S’il doit confirmer bonne réception d’une lettre ou d’un livre,
il ne répond qu’après lecture et il n’hésite pas à exprimer ses propres
impressions, sans juger ou sanctionner l’auteur. À la fin de chaque lettre,
avant de signer, il n’oublie pas d’adresser un petit mot à la famille de
l’auteur. Même dans les situations où les opinions sur un sujet quelconque sont
différentes, il s’exprime avec déférence.
Chaque lettre respecte le
canon épistolaire, la matrice d’une réponse définitive, ainsi conçue, ainsi
écrite qu’il ne revient pas dessus et ne la relit pas. Sa signature est comme
un sceau suffisant pour nous confirmer que l’expéditeur est déjà arrivé avant
nous et qu’ il attend notre réponse. C’est le privilège qu’il accorde au
lecteur. Moi aussi j’ai eu l’impression que c’était moi le destinataire du
lointain. D’ailleurs, ce qui devient insupportable pour François Mauriac, ce sont
les lecteurs illettrés, les lecteurs qui lisent au pied de la lettre. Sur le
frontispice de sa maison et en tête de chaque lettre sont les paroles de
Christ: «Mes paroles sont esprit et
vie».
François Mauriac parle en
homme de foi: La Foi n’est pas la certitude, ou du moins elle n’est pas
souvent la certitude ni l’évidence. Elle est une vertu et même la première des
vertus: «Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru.» Ce qui l’exprime
le mieux, c’est la prière de l’Évangile: «Je crois, Seigneur, viens en aide
à mon incrédulité.»
Au fur et à mesure que je
lisais, la personne de Mauriac ressuscitait devant moi, en toute sa vérité,
sans aucune ombre, plus vive qu’une image qui se révèle par l’instant du Verbe,
en toute la splendeur d’une vie mise à l’épreuve, au moment le plus douloureux,
dans l’attente de la rencontre avec le père, son père qu’il n’a pas connu. Sans
perdre la qualité de fils, Mauriac écrit à son propre fils, Jean: On a
souvent reproché à ton papa d’avoir écrit des livres trop sombres. Mais on n’a
pas compris que pour lui, aimer la vie, c’est l’aimer sans la déguiser – comme
on aime une créature fût-elle pleine de misères. Rien n’est si beau ni si grand
que la vie d’un homme; elle est belle jusque dans ses défaites. Et sans doute
il y a la mort. Ta grand-mère, ta mère, moi-même, nous te précéderons...mais
dans moins de cent ans [...] nous nous retrouverons tous dans cette lumière
inimaginable et qui pourtant existe et dont tu vois le reflet jouer au-dessus
des vers et des musiques que tu aimes. L’art est un pressentiment de l’éternité.
(14 janvier 1940).
La maison de Malagar a
souffert la présence de l’intrus allemand, lors de l’Occupation: Ici, nous
sommes occupés par le Kommandant. Il vient s’assoir en face de moi dans mon
vieux salon. Il ne sait pas un mot de français. C’est un SS. Son ordonnance
prêche à la cuisine la pire doctrine nazie. La femme de chambrie dit: «Il ne
lui manque que la soutane.» (À Pierre Drieu la Rochelle, 30 décembre 1940).
On n’oublie pas l’attentat à la vie de l’écrivain (la bombe qui n’a pas
explosé), et un incendie dévastateur, mais, dans cette Maison fugitive, c’est le Verbe qui
habite à l’abri de la Lumière, c’est la Solitude-peuplée de l’enfant Mauriac qui attend la rencontre
avec son Père, de le connaître et de se connaître, dans la Grâce du Seigneur.
Chaque lettre est une page de
sa vie, chaque phrase est une ligne pour l’éternité, chaque mot respire par la
voyelle, qui est la voix d’un solitaire, mais qui n’a pas crié dans le désert.
A chaque instant il est présent. François Mauriac c’est la réponse du Seigneur,
quand on a l’impression d’être seul, mais jamais abandonné, par la grâce d’être
sauvé, même dans les circonstances les plus dures de la vie. C’est l’art
d’aimer d’un créateur (François Mauriac préfère littérateur!) qui
nous offre la plus grave et plus belle leçon: le don d’être vivant, d’aimer et
d’être aimé.
La lettre qui nous donne
toute la dimension de la personne de François Mauriac, c’est la suivante,
adressée à Pierre Brisson: Croyez-vous donc, mon cher Pierre, que la vie de
Phèdre commence au moment où Racine nous la montre? Elle ne sort pas seulement
des ténèbres de sa chambre; elle surgit du fond de ces années où elle a lutté,
presque sauvagement, contre son désir. Pas janséniste Phèdre? Mais à l’âge où
je suis parvenu, je n’ai encore jamais
rencontré un homme ou une femme capable de se rendre haïssable,
odieux à l’être aimé; je n’ai jamais observé chez personne ce comble de
l’héroïsme chrétien: persécuter ce qu’on aime, l’exiler, en devenant le
bourreau. Rien ne ressemble à cela sinon certains traits de Pascal repoussant
les caresses de sa soeur, ou portant sur lui un écrit où il proteste qu’il
n’est la fin de personne et qu’il ne veut pas qu’on l’aime. Phèdre a donc
soutenu un combat qui dépasse en grandeur tout ce que nous savons du
renoncement chrétien. [...] La défaite de Phèdre se consomme en présence de
Dieu et non pas de n’importe quel Dieu, de notre Père, de celui qui juge aux
enfers tous les pâles humains. (30 mars 1940).
Comme dans une épiphanie, les
trois M de l’AEFM (Margaret, Marie-Cécile et Marie- Louise) se sont
rencontrées, sur la voie de l’Esprit, dans les moments les plus émouvants, avec
les trois esprits tutélaires de Bordeaux: Montaigne, Montesquieu et Mauriac. Accompagné
de mon ami, Toby Garfitt, moi aussi, j’ai quitté la gare de Langon, avec une
nostalgie déchirante dont la lumière de Malagar me suit jusqu’à présent.
GEORGES
SIMON Agapia Roumanie
Triple identité de l’AEFM : littéraire,
européenne, spiritualiste
Après trois ans d’absence, je
me suis retrouvé de nouveau parmi mes anciens collègues de l ‘Association. La
rencontre a été très chaleureuse, imprégnée d’émotions et de réminiscences.
Cette fois-ci notre colloque a été axé sur le thème de la création et de
l’engagement à l’œuvre dans la littérature contemporaine. Plusieurs
communications ont été consacrées à F. Mauriac qui, avec d’autres écrivains,
aux moments de dures épreuves pour la France, ne pouvait pas «se tenir
au-dessus de la mêlée, regarder de haut les multiples tortures». J’ai été
agréablement surpris par la présence de nombreux jeunes participants, leurs
interventions étant actuelles et intéressantes. Sur le plan scientifique notre
colloque a été de très haut niveau.
Dans les journées trop pleines
de Bordeaux, de l’anniversaire de trente ans de l’AEFM, beaucoup de souvenirs
me viennent à l’esprit. Je pense d’abord à tous nos amis de l’Association qui
nous ont quittés. Mon premier contact avec l’AEFM remonte à l’année 1995, où
dans le cadre du voyage de la découverte, nous nous sommes réunis en Pologne,
au monastère de Tyniec, près de Cracovie. C’est grâce à Michel Bonte, qui à
l’époque travaillait à l’université de Tchernivtsi comme professeur-membre du
GREF, que j’avais adhéré à l’Association. Depuis ce temps-là j’ai participé à
la majorité des colloques et des rencontres dites informelles en France, en
Belgique, en Slovénie, en Italie, en Roumanie, en Allemagne, en Ukraine. En
tant que vétéran de l’Association, je voudrais avant tout souligner, qu’elle
était toujours fidèle à son objectif initial d’étudier la littérature
européenne contemporaine dans l’esprit de la spiritualité inhérente à toute
l’œuvre de François Mauriac. A l’époque où « tout est violence sur la planète»
(S. Badré) notre Association illustre de façon bien éloquente que, tout en
appartenant à différentes nationalités, nous sommes attachés à la même vision
spirituelle du monde, à des valeurs humaines semblables et c’est, bien entendu,
l’œuvre de F. Mauriac qui nous a tous réunis au sein de l’Association, ainsi
que la langue française, cet ami fidèle, qui apparaissent comme un moyen très
efficace de notre entente mutuelle.
En guise de conclusion, je
voudrais souligner que chacune de nos rencontres s’avère très enrichissante et
fraternelle car dans notre Association règne une ambiance amicale et cordiale.
En paraphrasant le thème de notre dernier colloque, on peut dire que nos
membres sont fidèles à ce principe de solidarité grâce auquel certains de nos
collègues ne se sentent pas solitaires tout en jouissant de cette possibilité
énorme de pouvoir communiquer, de contacter leurs semblables, car, selon A. de
Saint-Exupéry, « le plus beau métier d’homme est le métier d’unir les hommes ».
Taras Ivasiutyn
Le visage de l’AEFM selon Islam Belgaid
L’inattendue rencontre du sourire de la
Littérature !
Bordeaux !
Ce berceau de l’histoire
française, sublimé par la majestueuse marraine « La cathédrale Saint-André », a
porté en son cœur le cercle, non des poètes disparus, mais de la
littérature semée aux quatre vents du monde. Le colloque « Solitaire et solidaire: création et
engagement à l'œuvre dans la littérature contemporaine » qui
s’est tenu à Bordeaux du 4 au 9 mai 2017, fut l’avènement de ma rencontre des
regards amicaux de la littérature. Présente en ce lieu où se sont réunies les
voix de la sagesse, j’ai reconnu la primauté de l’échange sur la lecture en
solitaire. Ecouter la voix suave lire les poèmes d’Alda Merini, lire les mots
d’un grand poète traçant les pas du « Grand Solitaire, Gao Xingjian »,
rencontrer le sourire d’une amie passionnée des derniers moralistes de l’ère
contemporaine ou côtoyer des visages toujours aspirant à encenser les dons
intarissables de la Littérature ; de telles rencontres nous marquent à jamais !
Chacune des communications des participants a mis en relief les interrogations
pertinentes de ce colloque. De la présence de l’écrivain solitaire à
l’engagement littéraire ; la portée d’un tel sujet réside dans son actualité en
devenir. Nouvelle participante aux colloques de l’Association Européenne
François Mauriac, j’ai été éperdue d’admiration pour les organisateurs de ces
journées d’études. Ce fut un honneur d’être parmi ces mécènes de la
Littérature. La singularité de cette association c’est le feu chaleureux qui
l’anime ; des regards aimants et hospitaliers veillent à accueillir le monde
chez eux. Mon premier voyage en France fut un poème ancré de paroles
inoubliables et de souvenirs parfumés par la félicité d’avoir de nouveaux amis
!
« Mes amis, mes aimées » comme disait Yves Bonnefoy, j’ai partagé
avec vous la coupe des Belles-lettres et je vous suis éternellement
reconnaissante de m’y avoir invitée. Auprès de vous, tant d’idées effleurent
l’esprit tel que : l’humaine littérature, regard et création littéraire, la
littérature et ses mécènes, la mémoire des lecteurs au chevet du livre...etc.
Merci à vous tous,
Islam Belgaïd
Du visage à l’âme
Si
F. Mauriac demeure notre référence, François Cheng en est une autre qui nous
permet de prendre conscience de ce qui nous anime de l’intérieur: notre
recherche de spiritualité qui n’est pas une vague religiosité mais bien une
recherche du sens même de notre existence.
De
l’Ame, par François Cheng
de l’Académie
française, (Albin Michel, 2016)
De
l’Ame...
titre on ne peut plus alléchant pour une association comme la nôtre qui
s’intéresse à la ‘littérature et spiritualité’. Ouvrage, en plus, non de la
main d’un philosophe mais d’un romancier et poète, spécialiste aussi de la
peinture. Poète-romancier, donc, momentanément converti en philosophe épris de
concepts et par là soumis à un autre langage que celui de l’imagination et du
cœur. Serait-ce un leurre ?
La démarche même, assez
originale, doit nous rassurer. Le livre prend la forme d’un échange de lettres
– sept en tout – entre l’auteur et sa bien-aimée, ce qui promet un certain côté
romantique, d’autant plus que la ‘protagoniste’ en question rappelle une autre
qui paraît dans un de ses romans. Elle n’est présente, d’ailleurs, que par
allusion, l’auteur reproduisant quelques bribes seulement de ses lettres dans
les siennes. On peut se demander si ce trucage fait partie de ses desseins
cachés, lui permettant, à certains moments du moins, d’échapper au concept pour
aller dans le sens de l’émotion poétique rattachée à l’idée de la ‘beauté
féminine’, première révélatrice de l’âme.
Le livre naît, en fait, de la
prière que l’aimée adresse à l’ami de lui ‘parler de l’âme’. Après bien des
hésitations - l’âme, n’est-ce pas ‘un mot désuet’ que ‘personne ne prononce
plus’, ‘dont on ne doit pas parler au risque d’incommoder’, surtout dans ‘l
‘hexagone’ [Vraiment, M. Cheng, faudrait-il limiter le problème à la France ?
Qu’en est-il d’autres pays européens, du mien en premier ?]... Après bien des
hésitations, donc, il accepte, car ‘retrouver et repenser l’âme s’avère une
tâche nécessaire et urgente’. Pour l’avenir de l’humanité ? A nous de répondre
...
Voilà, donc, la conception du
livre. Quel en est le bilan ? Différent pour chacun(e) certainement, selon
notre ‘unicité’, thème fondamental du livre. A chacun, donc, sa perspective. En
voici une.
Sur le côté positif,
signalons d’abord ces belles observations – du Cheng tout pur – qu’on a du mal
à contester, il me semble, tant elles reflètent une tradition philosophique dépassant
les frontières qui parlent directement à l’âme et à l’esprit. Ainsi, l’âme
[dit-il] ‘implique toujours un élan vers une possibilité d’être plus élevé’ ...
‘l’aspiration à croître, à s’épanouir’ ... ‘le désir d’être qui incite à
rejoindre le Désir initial grâce auquel l’univers est advenu... ce Désir qui de
Rien a fait advenir le Tout’. Rappelons ici le bel exemple de l’éclosion de la
rose dans les Cinq Méditations sur la beauté. En fait, la poésie n’est
jamais loin.
Sauf quand un certain flou
philosophique prend le dessus, relevant d’interrogations plus universalistes
que culturelles, touchant, par exemple, ce qui est présenté comme la substance
et les actes de l’âme, ou le lien ‘âme-esprit’. Problématique aussi, mais
combien digne de
9
développement, la relation
qui intéresse l’auteur entre l’âme et la psychanalyse. Et que dire de ces longs
extraits, doctes, prosaïques, certains pris dans un dictionnaire, pour remplir
les lacunes ? Qu’advient-il alors de ce maître de la parole, pour qui l’art signifierait
un style uni comme l’âme un être uni ? ‘Parlez-moi de l’âme’, l’avait conjuré
la bien-aimée. La ‘parole’ ne serait-elle pas le seul langage qui convienne
dans un échange intimiste de ce genre ?
... ‘Parole’, il faut bien le
dire, qui finit par revenir, à chaque fois et comme par une réaction spontanée,
après les sauts ailleurs de l’esprit raisonnant, pour le remettre sur la voie
de son vouloir-dire propre. Et quelles belles révélations de l’âme pour
celle qui attend ! Quand, par exemple, par peinture interposée, il devient
cette minuscule figure de paysan chinois perdu dans l’immensité de la nature...
Ou quand il évoque les ‘moments privilégiés’ de l’enfance et le ‘sentiment
cosmique’, force de l’élan, du Souffle...
... Qui trouve sa voie à
travers l’Amour, la Beauté, la Mémoire : trois flèches dont peut seule nous
retenir en conclusion la dernière, qui dit aussi devoir de mémoire. Ici,
s’inspirant de Pérec, Cheng nous propose, non pas un Credo mais une Pratique :
un Je me souviens, travail de mémoire qui conserve, qui ouvre, qui
élargit ... qui porte vers le Tout.
‘Je me souviens’...
n’avons-nous pas dans notre rubrique poésie d’Intervoix de beaux
exemples de ce qui est déjà instinct chez certains... Qui pour d’autres n’est
peut-être jusque-là qu’un lointain murmure qui s’écoute, attendant de se dire ?
Si je termine en pensant à
nous, à l’AEFM, c’est que François Cheng, poète-philosophe, semble à un certain
moment s’adresser directement à nous pour nous confirmer dans notre aspiration
et dans notre vérité : ‘La vraie vie – dit-il – est dans le désir que chacun
porte à la Vie, désir d’une vie ouverte en communion avec d’autres vies, dans
une commune Présence où tout fait signe, tout prend sens.’
Postface
Je confère à cette
dernière citation un sens symbolique en associant cette ‘commune Présence’ à
Cheng lui-même. Oui, François Cheng est pour nous une ‘Présence’, grâce à
l’inoubliable colloque de Strasbourg de 2009 qui, par un travail à la fois
collectif et individuel, nous a donné une première percée dans la culture
chinoise – sa pensée, ses croyances, sa peinture, sa littérature. Richesse
indescriptible, qui a donné à certains le désir de s’aventurer plus loin dans
la lointaine Asie pour chercher une autre expérience de vie et d’expression.
L’heure n’est-elle pas venue
de préparer encore un colloque consacré à un seul auteur ? Pourquoi pas à un
écrivain renommé d’aujourd’hui représentatif d’un de nos nouveaux pays- membres
?
A vous de donner votre avis,
de lancer le débat... Margaret Parry Angleterre
Les 3 M Des écrivains engagés
Nous avons eu
l’occasion, au lendemain du colloque, de visiter les lieux où ils ont passé une
partie de leur existence
Montaigne
A Montaigne, l’honneur d’être
cité en premier,
Puisque né le premier des trois, en 1533.
Son père lui fait
donner une éducation humaniste.
Il fréquente le collège de Guyenne à
Bordeaux.
Plus tard, il vit au château de Montaigne où il installe sa librairie
dont les poutres sont gravées de citations latines.
Mais il vient souvent à
Bordeaux dont il est maire par deux fois.
Il écrit Les Essais , sorte de
confession, où il se peint tel qu’il se perçoit, où il note ses expériences de
vie dans un écrit qui évolue au gré de son existence et qui connaît des publications
successives.
Aujourd’hui, il constitue une
œuvre unique en langue française.
Mais Montaigne assume aussi des charges de
conseiller ou de diplomate, notamment auprès de Henri de Navarre, futur Henri
IV.
Il meurt en 1592.
Montesquieu
Charles Louis de Secondat,
est né en 1689, à La Brède, au Sud de Bordeaux.
Ses parents lui donnent un
pauvre comme parrain pour qu’il se souvienne de la dignité de l’homme.
Cela a
son importance.
Il devient conseiller au
Parlement de Bordeaux.
Une première période de sa vie se déroule à l’Académie
des Sciences de Bordeaux.
Puis il voyage à travers l’Europe.
Puis il se retire
dès qu’il le peut au château de La Brède pour écrire.
Citons juste Les
lettres persanes (1721) et L’esprit des Lois (1748), ouvrages de si
grande influence.
Il meurt en 1755.
Mauriac
Mauriac est le troisième
M.
Une petite plaque commémorative signale sa maison natale à Bordeaux.
Ces trois hommes ont eu une
profonde influence sur la pensée philosophique et littéraire. Tous trois ont eu
une influence politique ayant été, à leur place, des “acteurs” à la cité et
dans leur pays et laissant derrière eux une oeuvre littéraire de premier plan.
Hommes engagés, dont le souci
est un profond respect de la personne humaine, ils méritent d’être cités à la
suite d’un colloque qui s’est interrogé sur la création et l’engagement dans
les oeuvres littéraires.
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