Intervoix 37

Trente ans après: Bordeaux

L’élan initial a eu lieu à Malagar. La grâce des commencements a agi en ce lieu inspiré, situé au milieu des vignes, ouvert sur un large horizon où se profilent les landes. C’est là qu’est née l’AEFM sous l’impulsion d’un tout petit nombre de fervents lecteurs de F. Mauriac, il y a de cela trente ans.
La lumière de Malagar. C’est ainsi que G. Simon intitule son article. La lumière de Malagar a-t-elle éclairé le colloque qui s’est déroulé trente ans après, à Bordeaux? A la suite du colloque une partie des participants est allée dans cette ancienne propriété de F. Mauriac qui les a accueillis, nimbée d’une brume qui s’est peu à peu dissipée, découvrant une maison d’autant plus habitée qu’elle est précisément vidée de ses anciens habitants. Émotion. De la « terrasse » nous avons contemplé, la vigne, l’horizon. Nous sommes entrés, comme F. Mauriac jadis, par la cuisine (rendue à sa noblesse), nous avons traversé la salle à manger, le salon avec ses meubles, témoins de scènes familiales et lieu de création et de conversations littéraires, et nous nous sommes arrêtés au bureau qui était aussi la bibliothèque. Un silence, dense de tout ce que chacun évoquait ou convoquait en son for intérieur, nous accompagnait.
C’est l’œuvre de F. Mauriac qui a ouvert le colloque de Bordeaux. Et une fois de plus, ce romancier, essayiste, chroniqueur, a étonné par son sens de l’humain, son génie créateur, uni à une constante ouverture aux problèmes du monde. L’association a grandi. Trente ans après, les participants au colloque ont été invités à réfléchir à la mission de l’écrivain “solitaire et solidaire”. La rencontre a été d’une grande richesse. Les apports des uns et des autres ont exploré des voies diverses, ont parfois ouvert des perspectives inattendues, ont interpellé fortement l’auditoire, éclairant des événements d’un jour nouveau, ont ému, ont toujours touché. L’Association Européenne François Mauriac a regroupé des membres venus d’Asie, d’Afrique, d’Amérique et d’Europe. C’est pourquoi la rencontre a été extraordinaire même si les moments informels d’échange n’ont pas été, comme Taras Yvassiutyn le laisse entendre, aussi longs que nous l’aurions souhaité.
Islam Belgaid, participante, Marocaine, parle du « sourire » de l’association qui l’a accueillie. Et c’est une joie de savoir que c’est ce visage que nous présentons. « L’épiphanie du visage constitue, selon Emmanuel Levinas, une percée de la croûte de « l’être persévérant dans son être » (dans son ego) et soucieux de lui-même. Responsabilité pour autrui, le pour-l’autre « dés-intéressé » de la sainteté (au sens de valeur pour l’être humain). » Et le même philosophe me permet aussi de répondre à une question récurrente de Michael O’Dwyer sur la signification du mot « Bonjour » en début de journée. Bonjour est, toujours selon Levinas, le mot de « bénédiction » pour la journée, parole exigeante de l’être envers lui-même et envers autrui. C’est la lumière de Malagar! Merci Islam!
Lumière, suffisante pour répondre au premier objectif de l’association qui est l’étude de la littérature contemporaine sous l’angle de la spiritualité dans le sens d’un questionnement sur notre existence, ici et maintenant ? L’article de Margaret Parry sur un des derniers livres de F. Cheng, autre référence de l’association, livre ayant pour sujet « L’âme », appelle à la vigilance. La lecture des actes nous permettra de voir que nombre de communications ont le souci d’approfondir, sous l’angle de la responsabilité de l’écrivain dans l’éveil à l’intelligence du monde, ce questionnement. La lumière de Malagar nous invite à prendre de la hauteur, à accrocher nos racines aux étoiles, pour voir sous un autre angle notre vie sur terre.
Notre association est européenne. Certes. Mais pas entourée de barbelés! Ses frontières sont élastiques et elle y gagne. Sur le plan d’un élargissement de son esprit, de son cœur et de son âme.
Merci à tous ceux qui y contribuent. Puis-je ajouter, ici, que nous pouvons difficilement ne pas voir le flot des réfugiés, les pays embrasés, les pays maltraités, alentour? Et la Méditerranée devenue cimetière?
Je trouble la lumière de Malagar? Oh, que non! F. Mauriac aurait été le premier à dénoncer l’hypocrisie d’un monde qui refuse d’ouvrir les yeux. L’article de G. Simon le montre bien. La lumière de Malagar peut être projecteur sur un monde en souffrance.
Que demeure donc ce que F. Cheng appelle “soif qui nous taraude”, “ardent désir de vivre”, “célébration de l’au-delà du désir”, “vraie vie en communion avec d’autres”! Merci, Margaret, de nous le rappeler!
Le dernier soir de la rencontre, la table réunissait encore une dizaine de participants. A ma droite, il y avait Serigne, le Sénégalais, à ma gauche, Michael, l’Irlandais, en face de moi, il y avait Daniela, l’Italienne, à l’oblique, Ada, l’Estonienne, à l’oblique encore, Christiane, la Strasbourgeoise, et présente un peu plus loin, Margaret, l’Anglaise. Et la soeur d’Ada et sa nièce complétaient la table. Et je me suis dit: quel bonheur! Quel instant de plénitude! Nous partageons, au-delà du repas, une espérance!
“Nulle autre Loi qu’échange-change”, selon F. Cheng.
Il me reste à remercier chaleureusement tous ceux qui ont organisé le colloque: Nina Nazarova, notre présidente, mais aussi Marie-Cécile et Pierre Schroeter, Claude Hecham (qui malheureusement n’a pu être des nôtres), Margaret Parry. Merci !
Marie Louise Scheidhauer

La lumière de Malagar

C’est ainsi que Georges Simon a vécu la visite de Malagar, cette propriété de François Mauriac qui a tenu tant de place dans sa vie. La maison est située dans les vignes et à travers les charmilles on voit à l’horizon Les Landes, autre terre où se déroulent la plupart des romans de l’auteur.
Il faut savoir, pour bien lire le texte de G. Simon, que F. Mauriac prenait tous les jours le chemin de Calèse, pour se rendre à Verdelais. Ce chemin est jalonné des stations d’un chemin de la croix. C’est au sommet de la colline que se dressent les croix.
Accompagné de mes amis de l’AEFM, je suis arrivé, un beau matin, à Malagar. Là j’ai trouvé une lumière qui descendait sur nous à mesure qu’on remontait doucement et qu’on s’approchait de la maison de François Mauriac. Avant d’entrer, nous avons regardé la splendeur de la vue qui s’étalait en éventail sur les collines vertes.
Autour de moi, tout est un creuset du silence. La rosée sur l’herbe a l’air de larmes de la nuit. Elles ne sont pas encore séchées. Elles nous attendent et nous rappellent les larmes des étoiles du firmament qui veillent sur notre destinée, ordonnée et comblée de la Grâce et de l’Amour. Un petit instant, un souvenir noir me rend aux temps de l’oubli, de la honteuse étoile jaune, qui a marqué et a mis à l’épreuve un peuple, coupable de la seule faute d’être né. Les pins solitaires dressent leurs ailes vertes vers le haut, comme s’ils voulaient embrasser la lumière. Ils ont l’air de tuyaux d’ orgue ou de piliers de cathédrale.
La Lumière et le Feu. Le feu de l’Amour qui fait brûler notre âme et la Lumière intérieure qui nous sauve de la mort. Mieux que partout ailleurs dans son oeuvre, François Mauriac se dévoile dans un poème dédié à Eusèbe de Brémond d’Ars: Des troncs d’arbres noircis montent du jardin vide./ Aucune fleur – pas même un chrysanthème pâle/ N’éclate entre ces murs où sommeillent les livres. Autour, c’est la banlieue inondée et funèbre,/ Et j’écoute, un à un, comme des oiseaux ivres/ Jaillir vers moi vos vers pleins de douces ténèbres./ Des couchants d’autrefois éternisent leurs flammes/ Dans les fonds verdissants d’une étoffe ancienne./ Ils sont morts comme notre enfance... Ô, fraîcheur d’âme/ Un peu la vôtre encore et qui n’est plus la mienne!/ Le piano est un mort et les mornes tentures/ N’étouffent que la plainte basse de l’averse./ Mais l’orage enchaîné des musiques futures/ Que ce logis d’amour, où le Roi vint, préfère/ Votre trouble harmonie aux musiques légères. – aux rires d’autrefois, votre âme de silence... (27 novembre 1913). “Heureux qui comme Ulysse”. J’ai tressailli, en murmurant ce vers, au moment où j’ai touché le sommet de la Colline. Aussi, heureux, en lisant parmi les noms de sa Correspondance, ceux de Marthe Bibesco et d’Anna de Noailles.
Malagar, c’est le Mont des Oliviers de François Mauriac. Ici on pourrait découvrir la terrible puissance du passage fugitif et furtif, de l’incessant qui s’éternise dans le livre et qui s’actualise dans chaque instant quand on entend l’orage menaçant de la solitude accablante. Malagar, c’est le livre ouvert de la vie d’un solitaire, l’agonie d’un temps qui passe et qui revient comme un orage. Ce livre de Malagar est plus vif que la vie de l’enfant, éternel orphelin qui n’a pas connu son père. Plus tard, le visage de son père revient, dans une image virtuelle/imaginaire et plus évasive : “Je rejoins demain les miens au train des Pyrénées, après dix jours de solitude dans un Malagar si beau qu’il paraissait copier certains chapitres de mes livres. Je m’y suis retrouvé et j’y ai vécu profondément, dans un état de désespoir, qui vous semblerait choquant et démesuré, si vous le connaissiez. Mais désespoir salubre, au fond; cette nuit, seul dans cette maison morte, j’entendais la meute lâchée des orages sur l’immense plaine que vous avez contemplée après tant d’autres, qui, depuis mon adolescence, passe de regards en regards et qui est aussi immuable que cette terrible puissance en moi pour m’attacher et pour souffrir” (Lettre à Bernard Barbey, 21 juillet 1933)
De loin et d’en-bas, pas à pas, on a l’impression de s’élever vers le Mont des Oliviers. Arrivé au sommet de la Colline, on quitte toutes les arrière-pensées, tous les souvenirs, en partageant avec le Christ la solitude et la rencontre inattendue avec soi-même. La maison de François Mauriac nous attend avec ses portes grandes ouvertes. C’est une maison semblable à la création de son maître, par l’ouverture et la largeur, par les toits, les murs et les fenêtres qui vous protègent. On ne sait pas où on pourrait s’arrêter, d’un espace à l’autre, tout est ouverture, ainsi on se trouve toujours au centre. Devant les portes, chacun de nous regarde et contemple, en imaginant l’arrivée du maître et le salut de bienvenue dans le Royaume du Silence. Nous sommes comme les personnages de ses romans, ressuscités, tout d’un coup, confirmés dans notre vie, par notre attente, par notre vive admiration devant une création qui confère un sens plus pur à l’ Amour éternel.
En regardant et en admirant, selon les quatre points cardinaux qui s’ouvrent comme les quatre bras de la croix, le Mont des Oliviers, celui-ci devient pour moi le Golgotha, surnommé la Colline du crâne. D’un coup, j’ai l’impression qu’au sommet de la Colline se trouvent l’ Impasse du Christ et le Triomphe de l’Amour: La croix, ainsi, est inscrite dans le cercle sacré de la vie divine, elle est l’axe vivant de l’amour trinitaire. Le Père est l’amour qui crucifie, le Fils est l’amour crucifié, l’Esprit Saint est la croix de l’amour, sa puissance invincible. Le mouvement parcourt les branches de la croix, et celles-ci comme les bras étendus du Christ, enveloppent l’univers. (Paul Evdokimov, L’art de l’icône, Desclée de Brouwer, 1970, p.211) Dans une lettre de 26 décembre 1944, François Mauriac avait écrit à Jean Blanzat: Cher Jean, j’ai moins peur de la chose, sans doute improbable, que je ne suis fatigué de ce monde ignoble, de cette haine, de cette vie, d’un rôle pour lequel je ne suis pas fait et dont je me sens très indigne, du personnage que je joue – moi qui si souvent, épuisé, ne souhaiterais que de fermer les yeux, la tête contre une épaule... Mais enfin Dieu est là, ce Dieu-enfant qui touche en nous, qui délivre une source de larmes. Ah! Cet adeste fideles!...Quelle musique humaine aurait ce pouvoir de m’ouvrir ainsi le coeur? J’ai la Foi (moi qui ne l’ai pas toujours...) ces temps-ci. Je crois en la réalité de cet Amour dont je parle aux autres. Et au commencement de l’année suivante, il écrit à son ami, André Gide, dans une lettre restée inédite: Il faut que je vous dise pourtant que c’est une sensation étrange que d’être en contact direct avec le public frémissant. (Je reçois 50 lettres par jour.) Écrire engage terriblement [...] Mais je suis entre les mains de Dieu. Que j’aime cette prière du vieux Siméon: in manus tuas, Domine, commendo spiritum meum!
De retour, en Roumanie, avec sa Correspondance intime de 1898 jusqu’au juillet 1970, j’ai découvert un autre Mauriac, plus ouvert et plus soumis à la confession, sans façon et sans ombre, très conscient de sa noble mission et de son don. Il a trouvé la voie vers la vraie vie, en lui donnant un sens, celui de l’Amour. L’Amour qui nous sauve de la mort et qui consacre la vérité de la Croix: le sacrifice du Fils ne se répète pas et chacun d’entre nous a le choix de nuire en cédant à la tentation du mal ou de donner expression seulement aux valeurs qui ordonnent et conjuguent les vies dans l’Ordre divin du Seigneur, le Créateur.
Chaque lettre est une confession de soi-même. Peu importe le destinataire (ils sont quatre-vingt-huit!), François Mauriac n’oublie pas la réponse de son maître Maurice Barrès. S’il doit confirmer bonne réception d’une lettre ou d’un livre, il ne répond qu’après lecture et il n’hésite pas à exprimer ses propres impressions, sans juger ou sanctionner l’auteur. À la fin de chaque lettre, avant de signer, il n’oublie pas d’adresser un petit mot à la famille de l’auteur. Même dans les situations où les opinions sur un sujet quelconque sont différentes, il s’exprime avec déférence.
Chaque lettre respecte le canon épistolaire, la matrice d’une réponse définitive, ainsi conçue, ainsi écrite qu’il ne revient pas dessus et ne la relit pas. Sa signature est comme un sceau suffisant pour nous confirmer que l’expéditeur est déjà arrivé avant nous et qu’ il attend notre réponse. C’est le privilège qu’il accorde au lecteur. Moi aussi j’ai eu l’impression que c’était moi le destinataire du lointain. D’ailleurs, ce qui devient insupportable pour François Mauriac, ce sont les lecteurs illettrés, les lecteurs qui lisent au pied de la lettre. Sur le frontispice de sa maison et en tête de chaque lettre sont les paroles de Christ: «Mes paroles sont esprit et vie».
François Mauriac parle en homme de foi: La Foi n’est pas la certitude, ou du moins elle n’est pas souvent la certitude ni l’évidence. Elle est une vertu et même la première des vertus: «Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru.» Ce qui l’exprime le mieux, c’est la prière de l’Évangile: «Je crois, Seigneur, viens en aide à mon incrédulité.»
Au fur et à mesure que je lisais, la personne de Mauriac ressuscitait devant moi, en toute sa vérité, sans aucune ombre, plus vive qu’une image qui se révèle par l’instant du Verbe, en toute la splendeur d’une vie mise à l’épreuve, au moment le plus douloureux, dans l’attente de la rencontre avec le père, son père qu’il n’a pas connu. Sans perdre la qualité de fils, Mauriac écrit à son propre fils, Jean: On a souvent reproché à ton papa d’avoir écrit des livres trop sombres. Mais on n’a pas compris que pour lui, aimer la vie, c’est l’aimer sans la déguiser – comme on aime une créature fût-elle pleine de misères. Rien n’est si beau ni si grand que la vie d’un homme; elle est belle jusque dans ses défaites. Et sans doute il y a la mort. Ta grand-mère, ta mère, moi-même, nous te précéderons...mais dans moins de cent ans [...] nous nous retrouverons tous dans cette lumière inimaginable et qui pourtant existe et dont tu vois le reflet jouer au-dessus des vers et des musiques que tu aimes. L’art est un pressentiment de l’éternité. (14 janvier 1940).
La maison de Malagar a souffert la présence de l’intrus allemand, lors de l’Occupation: Ici, nous sommes occupés par le Kommandant. Il vient s’assoir en face de moi dans mon vieux salon. Il ne sait pas un mot de français. C’est un SS. Son ordonnance prêche à la cuisine la pire doctrine nazie. La femme de chambrie dit: «Il ne lui manque que la soutane.» (À Pierre Drieu la Rochelle, 30 décembre 1940). On n’oublie pas l’attentat à la vie de l’écrivain (la bombe qui n’a pas explosé), et un incendie dévastateur, mais, dans cette Maison fugitive, c’est le Verbe qui habite à l’abri de la Lumière, c’est la Solitude-peuplée de l’enfant Mauriac qui attend la rencontre avec son Père, de le connaître et de se connaître, dans la Grâce du Seigneur.
Chaque lettre est une page de sa vie, chaque phrase est une ligne pour l’éternité, chaque mot respire par la voyelle, qui est la voix d’un solitaire, mais qui n’a pas crié dans le désert. A chaque instant il est présent. François Mauriac c’est la réponse du Seigneur, quand on a l’impression d’être seul, mais jamais abandonné, par la grâce d’être sauvé, même dans les circonstances les plus dures de la vie. C’est l’art d’aimer d’un créateur (François Mauriac préfère littérateur!) qui nous offre la plus grave et plus belle leçon: le don d’être vivant, d’aimer et d’être aimé.
La lettre qui nous donne toute la dimension de la personne de François Mauriac, c’est la suivante, adressée à Pierre Brisson: Croyez-vous donc, mon cher Pierre, que la vie de Phèdre commence au moment où Racine nous la montre? Elle ne sort pas seulement des ténèbres de sa chambre; elle surgit du fond de ces années où elle a lutté, presque sauvagement, contre son désir. Pas janséniste Phèdre? Mais à l’âge où je suis parvenu, je n’ai encore jamais rencontré un homme ou une femme capable de se rendre haïssable, odieux à l’être aimé; je n’ai jamais observé chez personne ce comble de l’héroïsme chrétien: persécuter ce qu’on aime, l’exiler, en devenant le bourreau. Rien ne ressemble à cela sinon certains traits de Pascal repoussant les caresses de sa soeur, ou portant sur lui un écrit où il proteste qu’il n’est la fin de personne et qu’il ne veut pas qu’on l’aime. Phèdre a donc soutenu un combat qui dépasse en grandeur tout ce que nous savons du renoncement chrétien. [...] La défaite de Phèdre se consomme en présence de Dieu et non pas de n’importe quel Dieu, de notre Père, de celui qui juge aux enfers tous les pâles humains. (30 mars 1940).
Comme dans une épiphanie, les trois M de l’AEFM (Margaret, Marie-Cécile et Marie- Louise) se sont rencontrées, sur la voie de l’Esprit, dans les moments les plus émouvants, avec les trois esprits tutélaires de Bordeaux: Montaigne, Montesquieu et Mauriac. Accompagné de mon ami, Toby Garfitt, moi aussi, j’ai quitté la gare de Langon, avec une nostalgie déchirante dont la lumière de Malagar me suit jusqu’à présent.
GEORGES SIMON Agapia Roumanie

Triple identité de l’AEFM : littéraire, européenne, spiritualiste

Après trois ans d’absence, je me suis retrouvé de nouveau parmi mes anciens collègues de l ‘Association. La rencontre a été très chaleureuse, imprégnée d’émotions et de réminiscences. Cette fois-ci notre colloque a été axé sur le thème de la création et de l’engagement à l’œuvre dans la littérature contemporaine. Plusieurs communications ont été consacrées à F. Mauriac qui, avec d’autres écrivains, aux moments de dures épreuves pour la France, ne pouvait pas «se tenir au-dessus de la mêlée, regarder de haut les multiples tortures». J’ai été agréablement surpris par la présence de nombreux jeunes participants, leurs interventions étant actuelles et intéressantes. Sur le plan scientifique notre colloque a été de très haut niveau.
Dans les journées trop pleines de Bordeaux, de l’anniversaire de trente ans de l’AEFM, beaucoup de souvenirs me viennent à l’esprit. Je pense d’abord à tous nos amis de l’Association qui nous ont quittés. Mon premier contact avec l’AEFM remonte à l’année 1995, où dans le cadre du voyage de la découverte, nous nous sommes réunis en Pologne, au monastère de Tyniec, près de Cracovie. C’est grâce à Michel Bonte, qui à l’époque travaillait à l’université de Tchernivtsi comme professeur-membre du GREF, que j’avais adhéré à l’Association. Depuis ce temps-là j’ai participé à la majorité des colloques et des rencontres dites informelles en France, en Belgique, en Slovénie, en Italie, en Roumanie, en Allemagne, en Ukraine. En tant que vétéran de l’Association, je voudrais avant tout souligner, qu’elle était toujours fidèle à son objectif initial d’étudier la littérature européenne contemporaine dans l’esprit de la spiritualité inhérente à toute l’œuvre de François Mauriac. A l’époque où « tout est violence sur la planète» (S. Badré) notre Association illustre de façon bien éloquente que, tout en appartenant à différentes nationalités, nous sommes attachés à la même vision spirituelle du monde, à des valeurs humaines semblables et c’est, bien entendu, l’œuvre de F. Mauriac qui nous a tous réunis au sein de l’Association, ainsi que la langue française, cet ami fidèle, qui apparaissent comme un moyen très efficace de notre entente mutuelle.
En guise de conclusion, je voudrais souligner que chacune de nos rencontres s’avère très enrichissante et fraternelle car dans notre Association règne une ambiance amicale et cordiale. En paraphrasant le thème de notre dernier colloque, on peut dire que nos membres sont fidèles à ce principe de solidarité grâce auquel certains de nos collègues ne se sentent pas solitaires tout en jouissant de cette possibilité énorme de pouvoir communiquer, de contacter leurs semblables, car, selon A. de Saint-Exupéry, « le plus beau métier d’homme est le métier d’unir les hommes ».
Taras Ivasiutyn
Le visage de l’AEFM selon Islam Belgaid
L’inattendue rencontre du sourire de la Littérature !
Bordeaux !
Ce berceau de l’histoire française, sublimé par la majestueuse marraine « La cathédrale Saint-André », a porté en son cœur le cercle, non des poètes disparus, mais de la littérature semée aux quatre vents du monde. Le colloque « Solitaire et solidaire: création et engagement à l'œuvre dans la littérature contemporaine » qui s’est tenu à Bordeaux du 4 au 9 mai 2017, fut l’avènement de ma rencontre des regards amicaux de la littérature. Présente en ce lieu où se sont réunies les voix de la sagesse, j’ai reconnu la primauté de l’échange sur la lecture en solitaire. Ecouter la voix suave lire les poèmes d’Alda Merini, lire les mots d’un grand poète traçant les pas du « Grand Solitaire, Gao Xingjian », rencontrer le sourire d’une amie passionnée des derniers moralistes de l’ère contemporaine ou côtoyer des visages toujours aspirant à encenser les dons intarissables de la Littérature ; de telles rencontres nous marquent à jamais ! Chacune des communications des participants a mis en relief les interrogations pertinentes de ce colloque. De la présence de l’écrivain solitaire à l’engagement littéraire ; la portée d’un tel sujet réside dans son actualité en devenir. Nouvelle participante aux colloques de l’Association Européenne François Mauriac, j’ai été éperdue d’admiration pour les organisateurs de ces journées d’études. Ce fut un honneur d’être parmi ces mécènes de la Littérature. La singularité de cette association c’est le feu chaleureux qui l’anime ; des regards aimants et hospitaliers veillent à accueillir le monde chez eux. Mon premier voyage en France fut un poème ancré de paroles inoubliables et de souvenirs parfumés par la félicité d’avoir de nouveaux amis !
« Mes amis, mes aimées » comme disait Yves Bonnefoy, j’ai partagé avec vous la coupe des Belles-lettres et je vous suis éternellement reconnaissante de m’y avoir invitée. Auprès de vous, tant d’idées effleurent l’esprit tel que : l’humaine littérature, regard et création littéraire, la littérature et ses mécènes, la mémoire des lecteurs au chevet du livre...etc.
Merci à vous tous,
Islam Belgaïd

Du visage à l’âme

Si F. Mauriac demeure notre référence, François Cheng en est une autre qui nous permet de prendre conscience de ce qui nous anime de l’intérieur: notre recherche de spiritualité qui n’est pas une vague religiosité mais bien une recherche du sens même de notre existence.
De l’Ame, par François Cheng
de l’Académie française, (Albin Michel, 2016)
De l’Ame... titre on ne peut plus alléchant pour une association comme la nôtre qui s’intéresse à la ‘littérature et spiritualité’. Ouvrage, en plus, non de la main d’un philosophe mais d’un romancier et poète, spécialiste aussi de la peinture. Poète-romancier, donc, momentanément converti en philosophe épris de concepts et par là soumis à un autre langage que celui de l’imagination et du cœur. Serait-ce un leurre ?
La démarche même, assez originale, doit nous rassurer. Le livre prend la forme d’un échange de lettres – sept en tout – entre l’auteur et sa bien-aimée, ce qui promet un certain côté romantique, d’autant plus que la ‘protagoniste’ en question rappelle une autre qui paraît dans un de ses romans. Elle n’est présente, d’ailleurs, que par allusion, l’auteur reproduisant quelques bribes seulement de ses lettres dans les siennes. On peut se demander si ce trucage fait partie de ses desseins cachés, lui permettant, à certains moments du moins, d’échapper au concept pour aller dans le sens de l’émotion poétique rattachée à l’idée de la ‘beauté féminine’, première révélatrice de l’âme.
Le livre naît, en fait, de la prière que l’aimée adresse à l’ami de lui ‘parler de l’âme’. Après bien des hésitations - l’âme, n’est-ce pas ‘un mot désuet’ que ‘personne ne prononce plus’, ‘dont on ne doit pas parler au risque d’incommoder’, surtout dans ‘l ‘hexagone’ [Vraiment, M. Cheng, faudrait-il limiter le problème à la France ? Qu’en est-il d’autres pays européens, du mien en premier ?]... Après bien des hésitations, donc, il accepte, car ‘retrouver et repenser l’âme s’avère une tâche nécessaire et urgente’. Pour l’avenir de l’humanité ? A nous de répondre ...
Voilà, donc, la conception du livre. Quel en est le bilan ? Différent pour chacun(e) certainement, selon notre ‘unicité’, thème fondamental du livre. A chacun, donc, sa perspective. En voici une.
Sur le côté positif, signalons d’abord ces belles observations – du Cheng tout pur – qu’on a du mal à contester, il me semble, tant elles reflètent une tradition philosophique dépassant les frontières qui parlent directement à l’âme et à l’esprit. Ainsi, l’âme [dit-il] ‘implique toujours un élan vers une possibilité d’être plus élevé’ ... ‘l’aspiration à croître, à s’épanouir’ ... ‘le désir d’être qui incite à rejoindre le Désir initial grâce auquel l’univers est advenu... ce Désir qui de Rien a fait advenir le Tout’. Rappelons ici le bel exemple de l’éclosion de la rose dans les Cinq Méditations sur la beauté. En fait, la poésie n’est jamais loin.
Sauf quand un certain flou philosophique prend le dessus, relevant d’interrogations plus universalistes que culturelles, touchant, par exemple, ce qui est présenté comme la substance et les actes de l’âme, ou le lien ‘âme-esprit’. Problématique aussi, mais combien digne de
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développement, la relation qui intéresse l’auteur entre l’âme et la psychanalyse. Et que dire de ces longs extraits, doctes, prosaïques, certains pris dans un dictionnaire, pour remplir les lacunes ? Qu’advient-il alors de ce maître de la parole, pour qui l’art signifierait un style uni comme l’âme un être uni ? ‘Parlez-moi de l’âme’, l’avait conjuré la bien-aimée. La ‘parole’ ne serait-elle pas le seul langage qui convienne dans un échange intimiste de ce genre ?
... ‘Parole’, il faut bien le dire, qui finit par revenir, à chaque fois et comme par une réaction spontanée, après les sauts ailleurs de l’esprit raisonnant, pour le remettre sur la voie de son vouloir-dire propre. Et quelles belles révélations de l’âme pour celle qui attend ! Quand, par exemple, par peinture interposée, il devient cette minuscule figure de paysan chinois perdu dans l’immensité de la nature... Ou quand il évoque les ‘moments privilégiés’ de l’enfance et le ‘sentiment cosmique’, force de l’élan, du Souffle...
... Qui trouve sa voie à travers l’Amour, la Beauté, la Mémoire : trois flèches dont peut seule nous retenir en conclusion la dernière, qui dit aussi devoir de mémoire. Ici, s’inspirant de Pérec, Cheng nous propose, non pas un Credo mais une Pratique : un Je me souviens, travail de mémoire qui conserve, qui ouvre, qui élargit ... qui porte vers le Tout.
Je me souviens’... n’avons-nous pas dans notre rubrique poésie d’Intervoix de beaux exemples de ce qui est déjà instinct chez certains... Qui pour d’autres n’est peut-être jusque-là qu’un lointain murmure qui s’écoute, attendant de se dire ?
Si je termine en pensant à nous, à l’AEFM, c’est que François Cheng, poète-philosophe, semble à un certain moment s’adresser directement à nous pour nous confirmer dans notre aspiration et dans notre vérité : ‘La vraie vie – dit-il – est dans le désir que chacun porte à la Vie, désir d’une vie ouverte en communion avec d’autres vies, dans une commune Présence où tout fait signe, tout prend sens.’
Postface
Je confère à cette dernière citation un sens symbolique en associant cette ‘commune Présence’ à Cheng lui-même. Oui, François Cheng est pour nous une ‘Présence’, grâce à l’inoubliable colloque de Strasbourg de 2009 qui, par un travail à la fois collectif et individuel, nous a donné une première percée dans la culture chinoise – sa pensée, ses croyances, sa peinture, sa littérature. Richesse indescriptible, qui a donné à certains le désir de s’aventurer plus loin dans la lointaine Asie pour chercher une autre expérience de vie et d’expression.
L’heure n’est-elle pas venue de préparer encore un colloque consacré à un seul auteur ? Pourquoi pas à un écrivain renommé d’aujourd’hui représentatif d’un de nos nouveaux pays- membres ?
A vous de donner votre avis, de lancer le débat... Margaret Parry Angleterre

Les 3 M Des écrivains engagés
Nous avons eu l’occasion, au lendemain du colloque, de visiter les lieux où ils ont passé une partie de leur existence
Montaigne
A Montaigne, l’honneur d’être cité en premier,
Puisque né le premier des trois, en 1533.
Son père lui fait donner une éducation humaniste.
Il fréquente le collège de Guyenne à Bordeaux.
Plus tard, il vit au château de Montaigne où il installe sa librairie dont les poutres sont gravées de citations latines.
Mais il vient souvent à Bordeaux dont il est maire par deux fois.
Il écrit Les Essais , sorte de confession, où il se peint tel qu’il se perçoit, où il note ses expériences de vie dans un écrit qui évolue au gré de son existence et qui connaît des publications successives.
Aujourd’hui, il constitue une œuvre unique en langue française.
Mais Montaigne assume aussi des charges de conseiller ou de diplomate, notamment auprès de Henri de Navarre, futur Henri IV.
Il meurt en 1592.
Montesquieu
Charles Louis de Secondat, est né en 1689, à La Brède, au Sud de Bordeaux.
Ses parents lui donnent un pauvre comme parrain pour qu’il se souvienne de la dignité de l’homme.
Cela a son importance.
Il devient conseiller au Parlement de Bordeaux.
Une première période de sa vie se déroule à l’Académie des Sciences de Bordeaux.
Puis il voyage à travers l’Europe.
Puis il se retire dès qu’il le peut au château de La Brède pour écrire.
Citons juste Les lettres persanes (1721) et L’esprit des Lois (1748), ouvrages de si grande influence.
Il meurt en 1755.
Mauriac
Mauriac est le troisième M.
Une petite plaque commémorative signale sa maison natale à Bordeaux.
Ces trois hommes ont eu une profonde influence sur la pensée philosophique et littéraire. Tous trois ont eu une influence politique ayant été, à leur place, des “acteurs” à la cité et dans leur pays et laissant derrière eux une oeuvre littéraire de premier plan.
Hommes engagés, dont le souci est un profond respect de la personne humaine, ils méritent d’être cités à la suite d’un colloque qui s’est interrogé sur la création et l’engagement dans les oeuvres littéraires.


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