ÉDITORIAL
Le printemps est
là ! Au pied d’un cèdre, un tout petit garçon se hausse de toutes ses
forces, la tête vers le ciel, fouillant des yeux le cœur de l’arbre pour
apercevoir un merle qui chante. Fasciné, émerveillé, il l’écoute. Instant de
grâce et de bonheur, message céleste au-dessus des misères du temps.
Belle image mauriacienne
à partager, prélude au prochain colloque de Bordeaux au cours duquel nous fêterons
l’anniversaire des 30 ans de l’AEFM et des 20 ans d’Intervoix. L’enfance et le
retour aux sources sont des thèmes chers à Mauriac. S’émerveiller des
commencements ne va pas sans spiritualité.
Ainsi, depuis près d’un
tiers de siècle, une simple rencontre amicale autour de François Mauriac, grand
écrivain reconnu et admiré, quasi contemporain, s’est-elle transformée en une Association
originale, incluant en Europe et au-delà, une famille d’esprits qui revendiquent
cette filiation. En trente ans, que de changements ! L’entrée dans le
troisième millénaire, ère de l’informatique, a vu le bouleversement des
mentalités, des mœurs, de la famille, de la politique. Chocs que nous vivons
tous les jours. Tout est remis en question. La construction même de l’Europe,
si prometteuse, est attaquée…
Cependant, l’Europe
culturelle existe bel et bien ; notre Association le prouve. Reposant sur
trois piliers : Mauriac, l’Europe et la spiritualité, elle cherche dans
nos diverses cultures quelques auteurs contemporains, capables d’illustrer dans
leurs ouvrages cet idéal de pensée et de réflexion sur l’homme qui dépasse les
frontières et défie le temps… La mise en commun, à travers nos rencontres,
suppose ouverture à l’autre, bienveillance, tolérance, amour de la langue
française que nous partageons. Je ne saurais trop dire quelle admiration j’éprouve
envers nos amis non francophones qui maîtrisent si bien notre langue que cela
nous paraît naturel !
Depuis trente ans nous
vivons une belle histoire. Faire un bilan serait tentant, parlons plutôt
d’inventaire car nous sommes vivants et nous voulons vivre encore. L’idée m’est
venue d’un flash-back sur Intervoix :
relire l’ensemble des bulletins, dont je me suis procuré les numéros manquants.
Retour en arrière éloquent, qui souligne à la fois une fidélité à nos sources
et des évolutions.
Bien que l’œuvre de
Mauriac soit moins massivement analysée, on s’y réfère constamment. Nos auteurs
favoris : Roger Bichelberger, Sylvie Germain, Andrei Makine, François Cheng
habitent les mêmes espaces spirituels et le modèle de Mauriac les inspire.
Ce bulletin de liaison, à
son début, plus axé sur la critique littéraire et visant la littérature
comparée, en référence avec un courant mauriacien, a pris un air moins austère
et plus amical, accueillant dans ses pages des articles d’universitaires chevronnés
et reconnus mais aussi ceux d’amateurs qui n’ont rien publié.
Là est notre originalité.
Intervoix présente un aspect documentaire, il nous propose
une chronique de nos pérégrinations à travers l’Europe. L’article de Patrick Gormally
énumère tous les ponts que nous avons réussi à franchir (et à construire) !
Le compte-rendu émouvant de chaque rencontre par des plumes d’enfants
(Intervoix n° 11, p. 22), de jeunes et d’adultes de tous pays constitue le
miroir d’une tranche de vie de l’Association et nous renvoie le reflet d’une
époque et de ses changements. Les photos, témoignages de l’instant passé,
évoquent l’amitié des retrouvailles, les liens noués au fil du temps, ainsi que
le passage de relais qui s’est opéré en cours de route. Cette richesse insoupçonnée
du bulletin papier, archives de l’Association, mérite une analyse ultérieure plus
précise. Il s’est étoffé, enrichi, ouvert d’Ouest en Est et du Nord au Sud ;
il possède une version virtuelle mais le papier reste encore sa forme de
conservation la plus précieuse pour un chercheur. On y découvre des pépites :
tel un article de Jean Mauriac sur les séjours de son père François Mauriac à
Vemars à la fin de sa vie (Intervoix n° 12, p 33-34).
Pour l’instant, revenons
au contenu de ce numéro 36. Il comporte les résumés des communications du
colloque de Bordeaux qui aura lieu du 4 au 9 mai 2017 sur le thème suivant :
Solitaire
et solidaire : création et engagement, à l’œuvre dans la littérature
contemporaine
Trente interventions
sont programmées dont la moitié émanent de jeunes universitaires venus de
France et d’ailleurs, certains déjà présents il y a deux ans et d’autres
inconnus. C’est le signe d’une association ouverte et vivante dont nous
souhaitons qu’elle continue à être fertilisée par un terreau renouvelé.
La poésie, engagée ou
non, abonde dans ce numéro : citons Sabine Badré, Monique Mangold, Ada
Ruttik, Marie-José Piguet et Galyna Dranenko qui traduit des poèmes de Semenko …
La parution du dernier
ouvrage d’Anne Hoguenhuis, Zinaïda ou la Liberté a suscité
plusieurs comptes-rendus enthousiastes de nos membres.
Bonne lecture à tous.
Françoise
Hanus
D’un pont à l’autre
Il était une fois
une Association littéraire dont les adhérents aimaient secrètement les
ponts : le tablier, posé sur de solides piliers, reliait les deux bords
des rivières et la portée s’étendait jusqu’aux confluences avec d’autres
cultures. Le pont assurait ainsi un passage en direction des lointaines
montagnes et plaines d’Europe et un jour la jeune Association a franchi la
mer ; tout cela à cause de l’amour de la littérature, l’art, l’histoire et
la spiritualité. Attachée à François Mauriac, grand écrivain qui a su surmonter
ses démons personnels et ceux de son époque, elle connaissait comme lui deux
pôles, le lieu de naissance et l’ailleurs entre lesquels on ne cesse de se
déplacer tout au long de l’existence.
Conçue près de
Metz, ville aux nombreux ponts sur la Moselle et la Seille, l’AEFM est née
l’année suivante à Malagar près de la Garonne et du pont qui relie Langon à
Saint-Macaire ; elle a ensuite fait ses premiers pas sur les bords de
l’Ill et du Rhin à Strasbourg avant d’entreprendre une série de grands voyages.
Toute petite, elle est allée outre-Manche sur le site d’un célèbre ancien gué
aux bœufs (Ox-ford) sur la Tamise. Elle a enchaîné sur l’Italie et les marches de Macerata que draine la rivière Chienti dans
l’Adriatique. Puis elle a franchi la mer d’Irlande une première
fois pour se retrouver sur les bords de la Liffey et du Canal Royal avant de
longer le Canal de Bourgogne à l’ancienne Abbaye de la Buissière. Plus tard, elle s’est aventurée sur les eaux de
l’Entre-Sambre-et-Meuse à Namur avant de découvrir à Ljubljana la confluence de la Ljubljanica et de la Save, cette dernière
tournée vers le Danube et la Roumanie. La Normandie a été une destination privilégiée, elle a visité Paris-sur-Seine et
pour sa majorité, elle était sur le Tibre à Rome. Elle a fêté ses 20 ans sur le
bord de la Daugava en Lettonie avant de revenir sur l’Ill et le Rhin à
Strasbourg, en repassant par la Normandie dont les nombreuses petites rivières
alimentent la Loire et la Seine. Jeune
adulte, elle a séjourné le long du
Prout à Tchernivtsi en Ukraine, avant d’explorer la
confluence de la Spree et de la Havel à Berlin. Revenue une fois de plus sur
son lieu d’origine entre Moselle-et-Seille, elle fêtera comme il se doit ses 30
ans là où elle a vu le jour, à Bordeaux, tout près de la confluence de la
Garonne, de la Dordogne et de la Gironde. En somme, une histoire de rivières,
de confluences et de ponts depuis la Lorraine jusqu’en Nouvelle Aquitaine et
au-delà.
Entre
temps, la jeune Association marchait déjà bien à St-Benoît-sur-Loire et de
nouveau à Metz où tout avait commencé. Elle a découvert la Roumanie et la
Pologne, tout de suite après la chute du mur de Berlin, avant de connaître
l’Ukraine et plus tard encore la Neva à Saint-Pétersbourg, en Russie et enfin la République Tchèque. Elle
atteignait l’âge de raison au Mesnil-St-Loup où la Seine n’était pas bien loin et pendant sa petite enfance, elle était revenue sur la Garonne. Elle a goûté le vent du nord en Flandre ; au
Liban, elle s’est recueillie près du fleuve de
Beyrouth, devant la Méditerranée et à Amsterdam, elle a admiré l’Amstel et les
canaux, sur fond de la douce grisaille de la mer du Nord.
Les
souvenirs ressemblent aux rêves car chacun a les siens propres : pour un
tel ce sera la pierre de Jaumont et l’architecture germanique à Metz, la table
abondante au vieux foyer d’étudiants à Strasbourg, la simplicité des repas à
St-Benoît-sur-Loire ; pour tel autre, c’est plutôt le vignoble près de
Dijon et l’Abbaye de Fontenay, les bibs de vin rouge apportés de France pour
accompagner les repas en Irlande au Clongowes Wood College, l’arbre de Mauriac
à Saint-Clair ; ou enfin la maison de Leopardi à Recanati et le
Sferisterio de Macerata, le musée Alain à Mortagne-au-Perche, la maison d’Alain
Fournier à la Chapelle-d’Angillon, et j’en passe.
On se souvient des
premiers adhérents dont certains ont disparu du monde, et de ceux qui ont
choisi de nouveaux horizons. On apprécie l’excellente organisation, le
développement et l’approfondissement, l’ouverture des échanges, les amitiés
durables et le nombre important de publications.
Que reste-il à
découvrir ? L’AEFM connaît l’Europe depuis l’Irlande jusqu’à la Russie et
de la mer Baltique jusqu’à la rive sud de la Méditerranée. L’Europe est secouée
par la crise des migrants, l’essor des populismes et du fascisme, la menace de
la guerre, la crise politique, le découragement mais la jeune génération
actuelle sait que l’Europe existe indubitablement. S’il existait un pays apte à
illustrer l’évolution de l’Europe depuis un siècle, ce serait l’Autriche.
Pays-tampon, depuis les Habsbourg, jusqu’à l’URSS, il y existe d’étonnantes
confluences historiques et culturelles entre musique (Haydn, Mozart, Beethoven,
Schubert ; Schonberg, Berg, Webern) et art (du Baroque au moderne, Klimt,
Moser, Schiele et l’Actionnisme) ; entre histoire et bourgeoisie (Franz
Josef) et inaction politique et fascisme (les deux guerres mondiales) ; et
les écrivains célèbres y sont nombreux (Hofmannsthal, Rilke ; Kraus,
Schnitzler, Zweig, Musil, Roth ; Handke, Bachmann, Jelinek). Sigmund Freud
n’aurait pas pu faire ses découvertes dans une ville autre que Vienne ;
pourtant il a dû fuir le fascisme et chercher refuge ailleurs.
Les intellectuels
s’exilent pour des raisons à chaque fois différentes : exclusion et fuite
mais aussi par curiosité et désir de décrire comment on vit ailleurs. La France
a reçu des Russes et des Américains mais aussi des Irlandais (Wilde, Joyce,
Beckett), des Roumains (Cioran, Ionesco, Dumitriu), des Belges (Kanters,
Michaux, Yourcenar, Simenon), Cortazar (Argentine), Kundera (Rép. Tchèque),
sans oublier les écrivains du Maghreb, d’Afrique et d’Asie. Trop nombreux et
confrontés aux difficultés de l’intégration et de l’assimilation, les exilés
ont souffert sur les plans matériel, social et professionnel. Cependant l’exil
est propice à la production littéraire, on découvre d’autres aspects de la
réalité et on arrive à publier même si la reconnaissance tarde à venir.
Terre d’exil d’hier et d’aujourd’hui : quelle réalité
pour les écrivains qui choisissent l’étranger ? Ce pourrait être le thème
d’un futur colloque ?
Cette année marque
le 90e anniversaire de la parution de Thérèse Desqueyroux (1927), le 80e anniversaire du
bombardement de Guernica et du tableau de Picasso, et le 50e
anniversaire de la parution des Mémoires
politiques (1967) de Mauriac. Littérature et politique, les deux pôles
de son œuvre et de sa vie, attirent toujours les écrivains. Le désordre
économique et financier, la crise des religions et l’inhumanité des hommes sont
un aspect de notre monde, certes. L’Espérance est là aussi et, sans optimisme
excessif, des écrivains constatent dans le contact humain et dans l’exil
intérieur ou extérieur, la vie éclatante des hommes et l’insoumission inventive
des individus et des groupes contestataires. Les œuvres anciennes expliquent le
passé mais les œuvres nouvelles éclairent un monde à venir. Rapprocher les deux
et les comparer, c’est permettre la survie de l’esprit et la victoire de
l’humanité. François Mauriac n’était pas un théoricien politique mais un
prophète inspiré par la soif de la justice et sa foi en l’homme et en Dieu.
Libéré des liens de sa classe, il a su analyser la vie politique avec justesse
et promouvoir clairement l’importance d’une Europe unie. Les écrivains
d’aujourd’hui font d’autres choix en faveur d’un monde plus juste. Relire les
écrivains historiques de l’exil en la compagnie de ceux d’aujourd’hui, porteurs
d’espoir et qui croient en une autre façon de vivre :
« tous… ensemble, c’est tout » serait
passionnant.
Patrick Gormally
(Irlande et
Anché 86)
Un voyage
de découverte
Cette année, cela fera quatorze ans que j’ai découvert l’Association
Européenne François Mauriac. Une période de quatorze ans constitue une durée
relativement brève, toutefois cette durée m’a permis de m’enrichir dans le
domaine de la connaissance et d’approfondir mes centres d’intérêt pour l’AEFM.
Comme le dit Charles Aznavour "nous avons eu de bons moments"[1] : des moments amusants et
des moments émouvants, intellectuels et intéressants, solennels et surprenants,
tous ces moments étant à la fois formidables et inoubliables… Pour le 30e
anniversaire de notre association je souhaite longue vie à toutes nos manifestations
et à ceux qui les réalisent en collaboration avec tous nos bénévoles !
Je suis hantée par un souvenir lointain, une dette ancienne qui me taraude
en permanence, rongeant furtivement mon âme depuis des années.
La scène se passe en 2004 : nous sommes ensemble attablés dans une agréable
salle à manger quelque part en Roumanie. Cette longue table est effectivement
composée de plusieurs petites tables dont l’une est un peu plus haute que les
autres, mais la plupart parmi nous l’ignorent. Je suis installée à la jonction
des dites tables, et soudain je renverse mon verre. Je suis surprise mais pas
pour longtemps. Quelques instants plus tard, mon vis-à-vis
renverse le sien. La boisson se répand partout en formant sur la nappe blanche
un superbe lac rose. Dans cette situation légèrement surréaliste, Michel, qui
est à ma gauche, a une réaction spontanée. Il nous demande, si c’est un jeu, et
il renverse son verre, à son tour, lui aussi. Là-dessus, je lui fais remarquer
que les autres verres sont tombés par inadvertance. On ne se comprend pas, on
est dubitatifs et pourtant joyeux, mais tout cela n’est qu’un préambule…
La soirée continue et je ne me rappelle plus à qui vient l’idée de réciter
une poésie dans sa langue maternelle. Je garde toujours en moi le spectacle
admirable qui se déroule ensuite sous mes yeux : Marie-José, Christa Preiss,
Elmy Lang et beaucoup d’autres récitent par cœur, avec tant d’expressivité,
leurs poèmes assez longs dont moi, je ne comprends parfois pas un seul mot car
je ne parle pas allemand. Cependant, je les suis attentivement ; je retiens
toutes les émotions, intonations, et gestes qui animent chaque message que
j’essaie, de cette façon, d’interpréter et d’imaginer. Mon tour arrive, je
cherche fièvreusement des poésies convenables. Je ne pourrais guère expliquer,
même aujourd’hui, pourquoi c’est justement un poème de Karl Ristikivi[2] que je choisis de
présenter – celui duquel, malheureusement, je n’arrive à dire que les quatre
premiers vers. Et non pas parce que je ne connais pas par cœur le poème que
j’ai récité maintes fois devant mes élèves, mais un sentiment étrange m’arrête.
D’un coup, ma voix change de timbre. Je reste debout sans rien comprendre.
Alors je m’assieds, à mon grand étonnement. Pendant et après cette première strophe
règne un silence profond, jusqu’à ce que Claude Herly le rompe. Il veut savoir
si c’est déjà fini, puis il ajoute qu’il a cherché à reconnaître des mots ou
des termes communs dans cette langue qui pour lui ne sonne pas comme les
autres, mais il n’en a trouvé aucun. Alors, je précise que je n’en dirai pas
plus. Je regrette ma réponse infiniment, car il reste encore trois strophes.
C’est la première fois que je me rends compte de la différence entre les
expressions "réciter de tête" que l’on utilise en estonien, lorsqu’un
texte est bien appris, et "réciter par cœur" que l’on utilise en
français, dans le même cas. Je sens que c’est mon cœur qui parle et cela cause
des images fantômes qui me troublent plus que l’envie d’interrompre le poème.
Jusqu’à ce jour je croyais que, pour un émigré, le fait d’être condamné à
vivre loin de sa patrie et de ses proches devait être pire que tout.
Soudainement, j’ai compris combien j’avais eu tort. Devenir émigré dans son
propre pays – la patrie de ses ancêtres –, est pire encore. On recule devant
notre ultime frontière : la mer. Et ce sentiment me semble pire que la mort.
C’est ainsi que je garde de ce voyage de découvertes et d’échanges une
sensation d’inachevèvement et de frustration. Afin de m’en débarrasser, je présenterai
ci-dessous ce poème que je ne pouvais pas partager avec vous, dans son
intégralité, il y a treize ans en Roumanie. Je suis très contente de pouvoir le
faire maintenant, et je suis également heureuse d’y ajouter une traduction de
l’estonien en français faite par Tarah Montbélialtz[3].
Ada
Ruttik
V
Sing me a song of a lad
that is gone,
say, could that lad be I?
Minagi olin Arkaadia teel,
kuigi ma sündisin saunas.
Mõnikord mõtlen: ma läheksin veel,
muretu nooruk Arkaadia teel,
marssalikepike paunas.
Aga ma tean, et kaotasin käest
tee juba enam kui ammu,
ja et ma üksinda enese väest
leiaksin tee, mille kaotasin käest,
selleks ei ole mul rammu.
Kuhu ka lähen, seal vesi on ees,
vesi ja kõledad kaljud.
Lahkunud viimne kui lootsikumees,
lahkunud lauldes, et vesi on ees,
nii nagu laulavad paljud.
Nõnda ma istun ja tõesti ei tea,
vanduda ennast või saatust.
Ärge vaid öelge, et nõnda on hea,
nõnda on elu… Sest teie ei tea,
ei tunne mu isamaatust.
Hårsfjärden
Fantaisie en sol mineur
Sing me a song of a lad
that is gone,
say, could that lad be I?
Et moi aussi j’ai pris le chemin d’Arcadie,
bien que je sois né dans l’annexe d’une ferme.
Je m’en irais encore, c’est ce que me dis,
dans l’insouciance d’un jeune homme sur le chemin
d’Arcadie,
avec le bȃton de
maréchal dans la giberne.
Mais je sais avoir perdu mon chemin
depuis des temps qui remontent si loin,
et que retrouver par mes propres soins
le chemin perdu sans lendemain
est une chose qui me dépasse, j’en suis certain.
Où que j’aille, c’est toujours l’eau qui m’attend au
tournant,
et l’eau et les falaises sinistres.
Le dernier des rameurs va s’éloignant,
tout en murmurant que l’eau est au devant
comme peuvent le fredonner tant d’êtres.
Ainsi suis-je assis et réellement je ne
sais
qui blȃmer –
moi-même ou le destin imprécis.
Ne dites surtout pas que c’est pour le mieux, c’est
ainsi que va la vie... Du moment que vous ne pouvez
ressentir ce qui me hante : l’absence de mon pays...
* "Sing me a song..." vers
tirés de A Shropshire Lad (Un gars du Shropshire, 1896) du poète
anglais Alfred Edward Housman (1859-1936). NDT
Ada
Ruttik
COLLOQUE DE BORDEAUX
Solitaire
et solidaire : création et engagement, à l’œuvre dans la littérature
contemporaine
Résumés
des communications du colloque de Bordeaux
La présentation des textes
suit l’ordre du programme.
1 Le Cahier Noir de François Mauriac
L’écrivain, solitaire en
ces temps si troublés de l’Occupation, de la guerre, des divisions et en même
temps solidaire d’un peuple qui souffre, est prêt à résister.
Quel est le rôle de
l’écrivain alors ?
Peut-il exercer une
influence ?
Quels
risques court-il ?
L’écriture
a-t-elle un réel pouvoir ?
Pourquoi écrire en temps
de guerre ?
Voici quelques pistes de
réflexion sur l’œuvre de Mauriac qui m’ont paru le plus nettement correspondre
à notre sujet.
Sabine Badré
France
2 François Mauriac – Éric
Emmanuel Schmitt. Entre Solitude et Solidarité
Que l’écrivain
soit solitaire ou solidaire est un faux débat digne d’une joute entre Sophistes
au Ve siècle avant Jésus-Christ. Il est aussi à l’image de celui qui
a hanté l’histoire de l’art lyrique où se posait la question de la
prédominance de la Parole ou de la
Musique dans un opéra.
C’est
ainsi qu’en 1942 le compositeur Richard Strauss et l’écrivain Stéphan Zweig ont
porté ce dilemme dans leur opéra
Capriccio.
Nous
poursuivons aujourd’hui cette « conversation musicale » avec deux
grands écrivains : François Mauriac et Éric Emmanuel Schmitt. Trois
générations les séparent, F. Mauriac est mort en 1970, EE. Schmitt a
aujourd’hui 58 ans, mais malgré des différences bien précises, ils font partie
de la même famille d’âmes car ils sont hantés par les mêmes obsessions :
la mort, l’au-delà, le péché, la grâce, la responsabilité de l’écrivain.
Sur un air de Mozart et sous l’œil de Dieu, l’un et l’autre partageant leur vie
entre la tour d’ivoire et les salons avec d’immenses succès éditoriaux.
Comme
dit l’Ecclésiaste, il y a un moment
pour tout et un temps pour toutes choses sous le ciel.
A.
Un temps pour se taire : Solitude de
l’écrivain.
1. Rien de grand ne se fait sans le silence
qui est le langage de l’âme.
Pour apprivoiser la solitude intérieure
il faut « un lieu à soi » (Virginia Woolf).
L’âme se forme dans les épreuves, la
lecture, la méditation, l’enfance bien connue de F. Mauriac qui se déroule à
Malagar sous l’œil de Dieu, de sa mère, des poètes, de la musique, période
monacale, trésor pour toute sa vie.
E.E. Schmitt nous conte sa jeunesse par
à-coups en différents livres, sans ordre chronologique comme si le passé
faisait irruption au détour d’une interrogation.
Mais lui aussi l’évoque comme la seule
vérité de son identité.
2. La
mort du père recouvre d’un voile la jeunesse de Mauriac et l’angoisse de
l’au-delà l’imprègne. Quant à Schmitt, il a perdu son jumeau et vivra sa
vie pour deux. De plus le choc de la mort de son grand-père le rendra
insomniaque pendant 20 ans.
3. Le secret de l’écrivain est la clé de son
œuvre. Celui de Mauriac est simple : sa vocation est d’écrire pour Dieu,
elle irrigue son inspiration : Les
Mains Jointes, La Robe Prétexte, Orage, Le Sang d’Atys. E.E.
Schmitt nous apprend beaucoup de son enfance dans son essai La Nuit de Feu édité en 2015.
Enfant aux démangeaisons créatives, précoce, raisonneur et questionneur, mais
avec l’adolescence, la dépression et l’acédie font irruption et il lui faudra atteindre sa quinzième année
pour en sortir grâce à la musique de Mozart.
4. Mozart le sauveur
Mozart ressuscite E.E. Schmitt, il lui
enseigne l’émerveillement, la douceur, la sérénité, la joie de vivre. Il
travaille dur, accumule les succès, devient normalien, agrégé de philosophie.
Quant à F. Mauriac, avant 1933, il
pressentait Mozart puis après l’épreuve de son cancer, il ne peut plus s’en
passer. Cette voix d’ange et d’enfant lui rend la certitude que le paradis
existe et que son anxiété à l’égard du jugement de Dieu sur ses proches est
peut-être injustifiée. Sa grande curiosité pour les passions humaines, même les
pires, a nourri son œuvre. Comme dans la parabole, il voulait prévenir les
siens, leur prêcher le repentir. L’opéra de Mozart, Don Juan, qu’il adorait symbolise cette obsession : peut-on
impunément toiser Dieu ? ( tous les romans de Mauriac sont nés de ce
questionnement .)
5. Dieu et Schmitt
François Mauriac, à plusieurs reprises, a
vécu des crises de la Foi mais n’a jamais quitté la main de Dieu dont il s’est
toujours senti l’enfant. E.E. Schmitt malgré tous ses beaux titres universitaires
est insatisfait ; il a 27 ans mais, écrit-il : « depuis un
an j’étouffais, qu’avais-je à faire sur cette terre ? »
Sa nuit mystique est simplement
magnifiquement racontée dans son récit la Nuit de Feu , écrit en 2015, trente ans après l’événement. A partir de ce
moment là « tout a un sens, tout est justifié ».
B.
Il y a un temps pour parler au monde.
1.E.E. Schmitt réconcilié avec lui-même
reconnaît ses talents et veut transmettre au monde des valeurs qui le portent
et le dépassent. Pièces de théâtre, romans, essais, nouvelles, le font
connaître, sont traduits en 43 langues, il devient un auteur à succès. En 1993 le Visiteur, 1996 les Variations Énigmatiques. Mais c’est surtout le cycle de
l’Invisible, récits sur les religions qui impressionne le monde littéraire et
religieux : Milarepa, monologue
sur le bouddhisme, Monsieur Ibrahim
et les fleurs de Coran, conte soufiste, Oscar et la Dame en Rose, merveille sur le
christianisme, l’Enfant Noé, récit
sur le judaïsme, le Sumo qui ne pouvait
pas grossir, récit sur le bouddhisme Zen, Les dix enfants que Madame Ming n’a jamais eus, conte sur le
Confucianisme. Tous ces romans à succès veulent enrichir le « vivre
ensemble » par le dialogue interreligieux. J’évoquerai seulement ses
essais sur les vies des musiciens qu’il chérit, ses nouvelles et son dernier
roman de 420 pages : L’homme
qui voyait à travers les visages, paru en 2016, roman à la fois policier et
philosophique qui questionne les problèmes de la violence, du terrorisme, du
sacré, du mal… et de l’existence de Dieu.
2. Nous revenons à son grand aîné qui,
malgré sa disparition il y a 47 ans, est toujours aussi apprécié.
1933 F. Mauriac
est enfin reconnu par ses pairs et est élu à l’Académie Française. Cet homme
que l’on dit replié sur le passé est aussi un homme d’avenir. Ses admirations
politiques sont Marc Sangnier, Mendès France et de Gaulle. C’est pour lui le
temps de prendre parti dans la confuse mêlée politique.
1936 Face aux
menaces de la dictature franquiste , il publie des articles contre Franco dans
le journal politique catholique Le
Temps Présent.
1938 Il dénonce
l’apathie de l’Europe face au fascisme hitlérien dans la même revue.
1939-1940-1941
Il rejoint les mouvements de la Résistance et écrit pour la presse clandestine.
1943 Les Éditions de Minuit publient le Cahier Noir sous le pseudonyme de
Forez, c’est un appel à la dignité humaine.
Le 25 août 1944 paraît son premier éditorial
au Figaro. Le 1er
septembre il rencontre le général de Gaulle pour la première fois et lui
témoignera jusqu’au bout sa fidélité. Il écrit des éditoriaux pour s’opposer à
l’épuration et appeler à la clémence.
1952 Il reçoit
le prix Nobel de littérature dont il exploite la notoriété pour soutenir la
décolonisation en Afrique du Nord.
25 octobre 1952
dans la Revue Littéraire la Table Ronde,
on peut lire le 1er article écrit par F. Mauriac sous le titre de Bloc-notes. Entre 1952 et 1970 (date de
sa mort), il a écrit près de 3000 pages réunies en 5 volumes de Bloc-notes. Cette nouvelle carrière de
journaliste va lui donner une nouvelle jeunesse. Son dernier Bloc-notes paraîtra le lendemain de sa
mort…
F. Mauriac
imaginait son œuvre comme le refuge pour beaucoup d’êtres « Ce grand
arbre où les oiseaux du ciel font leur nid » et il a eu raison. Aux Bloc-notes réédités en 1993 se sont
ajoutés d’autres articles réunis sous le titre la Paix des cimes en 2000 et D’un
Bloc-notes à l’autre en 2004. L’actualité de ces textes a surpris tous les
lecteurs.
E.E. Schmitt, dans la force de l’âge, va
encore nous surprendre mais il garde la même angoisse : qui me lira, qui
me comprendra, qui me répondra ?
Méfions nous du cloisonnement des genres
littéraires, l’écho d’une œuvre sur le public est un mystère. Déjà en 1942,
Zweig et Strauss se pensaient fous d’écrire une telle œuvre pendant la guerre.
Or cette futile conversation musicale était une provocation face à Hitler, une
dernière insolence de Strauss et le public le comprit ainsi : le 28
octobre 1942 à 19h, dans Munich plongé dans le noir, hommes et femmes se
frayaient un chemin avec l’aide de petites lampes dans leur soif d’entendre la
musique de Strauss, Lumière dans les
Ténèbres, beauté au-delà des dangers de la guerre, combat d’Éros
contre Thanatos.
Monique
Grandjean
France
3
Thérèse Desqueyroux, personnage solitaire
François Mauriac est solitaire lorsqu’il
s’applique à la création romanesque. Dans ses romans, il s’insurge contre
l’esprit conformiste, matérialiste et bien-pensant de la société bordelaise de
son enfance. Il est étranger vis-à-vis de ce milieu. Plusieurs personnages
mauriaciens incarnent cette étrangeté et cette solitude. Thérèse est le personnage
solitaire par excellence. Elle a voulu se marier pour être comprise et aimée,
mais tout la sépare de son mari Bernard ; « ils donnaient aux mots essentiels
un sens différent ». Le mariage devient
synonyme de prison et de cage pour Thérèse.
Notre intervention se consacrera à
l’analyse mauriacienne très fine du drame intérieur de ce personnage solitaire,
analyse rendue par une voix poétique qui se fait entendre à travers la création
d’un réseau d’images, de symboles et de correspondances.
Michael
O’Dwyer
Irlande
4
Du ‘Soliste’ au ‘Symphoniste’ à la Note Unique : François Mauriac,
l’Eternel Chercheur du Beau
Pour
répondre aux catégories du titre de notre colloque, je tracerai l’histoire – ou
mon interprétation – de la recherche intérieure du romancier, condition
indispensable pour lui à la création littéraire. Si mes
principales références sont musicales, comme le constate mon titre – la musique
étant conçue par lui comme le langage de ‘l’âme’ et ce qui touche nos ‘âmes’ –
je conçois aussi ma représentation comme un triptyque à trois faces dont la
dernière serait la plus illuminante puisque confirmation, allégorique, de
l’artiste en lui. Je prendrai une vue
d’ensemble de l’œuvre de Mauriac en m’appuyant sur la philosophie
bergsonienne ; mon approche sera donc humaniste plutôt que catholique,
traditionnaliste. Dans un contexte où
les notions de ‘solidarité’ et d’‘engagement’ feraient plutôt penser au
journalisme et à l’action politique de Mauriac, une question clé que
soulèverait ma communication serait d’interroger le rapport entre l’idéalité de
l’art et l’action sociale, le progrès humain.
Dans
une Association qui attache autant d’importance à la création personnelle qu’à
l’étude des auteurs – dimension, celle-là, qui va toujours croissant – ma
communication voudrait dire aussi de façon implicite, à ce moment de nos 30
ans, pourquoi Mauriac a été choisi comme notre esprit de source ou de
référence… qui nous poserait toujours le défi de l’avenir.
Margaret Parry
Grande-Bretagne
5 Engagement
intemporel chez Greene, Mauriac et Pilinszky
Depuis La Bruyère, premier
intellectuel chantre du social et du politique du Grand Siècle, l’œuvre morale
des « clercs » s'enracine dans la pensée solidaire des
contingences de leur époque. Au XXe siècle, nombre d'entre eux ne
« trahirent pas » selon la formule de Julien Benda comme en
témoignent les œuvres de Zola, de Martin Du Gard, de Jules Romains, de Malraux,
de Camus, de Koestler et également de Mauriac et de Graham Greene ou encore du Hongrois
Pilinszky, qui écrivait dans son journal
rédigé sous le totalitarisme, « le monde entier est un immense foulard de
Véronique ». Chez ces auteurs, les figures de personnages éprouvant une
empathie avec les nécessiteux, désespérés ou exclus, forment la trame
principale de nombreux romans ou de mémoires.
Chez Pilinszky, la solidarité semble une forme d'être, « par
essence », chez Mauriac, elle prend un enracinement dans la société, chez
Greene, celle-ci est mondiale. Appel, devoir impérieux ou nécessité intérieure
animent les personnages, dont la grandeur naît de la virtuosité des auteurs à
décrire l'esprit, l'engagement et dont la vertu d'exemple reste intemporelle.
Helga
Zsak
Hongrie
6 Le
journal de l’écrivain : solitaire à la vue de tout le monde
Le
journal intime étant un texte ambigu par excellence (destiné à la lecture,
comme tout texte, et à la fois caché de tous, parfois de son auteur même - au
moins pour quelque temps), le journal intime de l'écrivain l'est alors
infiniment plus. Comment trouver l'équilibre entre la solitude nécessaire pour
l'écriture et la vie mondaine d'un écrivain célèbre ? Comment trouver
l'équilibre en dedans du journal intime propre, en restant une personne comme
toute autre, avec le droit de garder cachés certaines choses, pensées, idées,
événements trop personnels - et les révéler à son journal, devinant que dans
quelque temps ces écrits deviendront,
peut-être, célèbres et lus par tout le monde?
Les
auteurs différents résolvent le problème de façon différente. Ainsi, André Gide
essaie de ne rien cacher au lecteur, avec l'idée de la publication de son
journal entier quand il est encore en vie, en 1939; mais il n'y arrive quand
même pas d'une manière absolue, se sentant obligé d'en retirer quelques
passages trop personnels - ou dangereux. Paul Claudel, par contre, semble ne
pas avoir eu de préoccupations pour ses lecteurs futurs, son journal demeurant
presque parfaitement personnel, au moyen de nombreux codes, signes
énigmatiques, abréviations et surtout par sa manière brusque et quasi violente
de donner ses opinions personnelles. Pour sa part, François Mauriac a livré
passionnément sa parole et au fil de sa vie, son journal a évolué, en quête de
soi pour s’ouvrir pleinement au monde, s’engager dans la réalité.
Bibliographie
1.
Cocula
Bernard, Mauriac écrivain et journaliste;
préface de J. Lacouture. Bordeaux, Ed. Sud Ouest, 2006, 222 p.
2.
Ecriture et identité. Textes réunis par Françoise Hanus et Nina Nazarova.
Association Européenne François Mauriac. Paris: L’Harmattan, 2015, 211 p.
Association Européenne François Mauriac. Paris: L’Harmattan, 2015, 211 p.
3.
Journal d’un homme de trente ans // Mauriac Œuvres autobiographiques (éd.
établie par F. Durand). Paris, Gallimard, 1990, p. 217-270 (Bibliothèque
de la Pléiade)
4.
Le Journal d'écrivain. Un énoncé de la
survivance (s. dir.
Matthieu Sergier & Myriam Watthee-Delmotte) dans Interférences
littéraires / Literaire Interferenties n°10, 2013 : http://interferenceslitteraires.be/nr10
5.
Mauriac François, Le
Cahier noir, Paris, Actes Sud, 2015
(1943), 240 p.
6.
Touzot
Jean, Mauriac sous l'occupation,
Paris, La Manufacture, 1990, 247 p.
7.
Художественный мир Франсуа Мориака. Вестник Нижегородского государственного
лингвистического университета им. Н.А. Добролюбова. № 9, 2010, 247 p.
8.
Дубнякова
О.А., Кашина Т.А., Писательский голос в
личных дневниках: А. Жид, П. Клодель, Ф. Мориак //
Филологические науки. Вопросы теории и практики. 2016. № 12-3 (66). С. 14-18.
Oxana
Dubnyakova
Tatiana
Kachina
Russie
7
L’engagement féministe en littérature indienne : un combat solitaire ou
solidaire ?
L’Inde connue comme « un pays qui
n’aime pas les femmes », selon un documentaire d’Arte, soulève une double
question sur la place de la femme dans la société indienne et l’engagement
féministe en Inde. Afin de répondre à cette interrogation, nous allons étudier
deux écrivaines indiennes qui accordent une place importante dans leur écriture
à la condition et aux problèmes des femmes en Inde au XXe et XXIe
siècle. Leurs romans peuvent être facilement qualifiés de romans féministes
parce que presque tous sont basés sur les problèmes présents dans la vie des
femmes et la façon dont elles répondent à des situations différentes. Leurs
protagonistes sont toujours des femmes et elles dépeignent les problèmes et les
dilemmes contemporains. Elles explorent le conflit intérieur existant dans une
femme et comment elle s’adapte à l'environnement qui n’est certainement pas
selon leurs souhaits. Ces écrivaines démontrent comment les femmes dans la
société indienne de la classe moyenne d'aujourd'hui essaient de fusionner la
tradition et la modernité afin de retrouver leur liberté, condamnée depuis si
longtemps. C’est dans ce cadre social qu’Anita Desai et Shashi Deshpande
décrivent la réalité de la vie des femmes indiennes. Elles montrent que les
normes et les valeurs patriarcales enserrent les femmes, les privant de leur
autonomie et leur liberté. Elles doivent façonner leur vie selon les exigences
fonctionnelles des constructions patriarcales pour trouver leur propre chemin
ou pour s’y perdre à jamais. Mais est-il facile de se révolter contre ce
système patriarcal et de trouver le sens de leur vie ? À quel prix ces femmes
obtiennent-elles leur liberté ? Nous envisageons de traiter ce sujet à l’aide
de quelques œuvres littéraires de ces deux romancières. L’objectif de cette
communication sera de comprendre comment ces deux auteurs s’engagent, par le
biais de leur création romanesque, dans le combat féministe en Inde
contemporaine et nous nous poserons la question de savoir si leur combat
s’avère solitaire ou solidaire.
Mots-clés – Combat, Créativité,
Engagement, Féminisme, Inde, Modernité.
Hemlata GIRI LOUSSIER
France, Inde
8
Repli narcissique et reconfiguration de l’engagement intellectuel dans le roman
africain francophone contemporain. Le cas de Verre cassé d’Alain Mabanckou et Passage des larmes d’Abdourahman Waberi
L’engagement intellectuel constitue en littérature africaine
d’expression française un thème majeur d’inspiration et de réflexion. Jusqu’aux
années 2000, l’intellectuel évoluant dans le paysage romanesque africain était
interpellé par un destin collectif, celui du peuple africain dans son ensemble,
et se disait prêt à améliorer ce destin. Il était porteur des valeurs
universelles de justice, de liberté et d’égalité. Il se revendiquait de la
lignée de Prométhée et son engagement se manifestait dans sa capacité à
concevoir l’historicité future. Mais de nos jours, suite à une série d’impasses
et d’échecs, ce personnage semble résolu à se retirer de l’espace public pour
mener une existence narcissique dans laquelle, désintéressé par le jeu social,
il ne veut surtout rendre des comptes à personne. Les romans africains des
années 2000 ouvrent donc une nouvelle phase du positionnement intellectuel en
Afrique, celle du repli narcissique. A quoi renvoie le repli narcissique ? Quels
types d’enjeux sociopolitiques formule-t-il ? Quel archétype de
l’intellectuel et quel projet de société défend cette notion ? Telles sont les
interrogations au cœur de cette proposition de communication. L’intérêt, ici, à
travers Verre cassé d’Alain Mabanckou et Passage des larmes d’Abdourahman Waberi, est de voir comment le repli
narcissique obéit au contexte actuel d’une littérature africaine contemporaine
fortement dominée par la désaffection politique et idéologique ; une
littérature coupée des attentes populaires et où l’enjeu pour l’écrivain n’est
plus de promettre à ses concitoyens une société meilleure, mais de questionner
la réalité du monde en se conformant à sa complexité. Le repli narcissique se
veut une sorte de déconstruction du code éthique de la figure de l’intellectuel
engagée dans des grands projets nationalistes et patriotiques qui a prévalu
dans le paysage littéraire africain francophone jusqu’aux années 2000.
Cependant, loin d’être la caricature d’un individu renfermé dans sa subjectivité,
notre propos s’attellera à démontrer, à partir du corpus, que le repli
narcissique fait surtout appel à une reconfiguration de l’engagement politique
qui, mettant en retrait l’élite intellectuelle, ferait du peuple sa propre
avant-garde.
Bibliographie :
I- Corpus de
base
•
Mabanckou Alain, Verre Cassé, Paris,
Seuil, Coll. « Points », 2006 (édition originale : Paris, Seuil,
2005).
•
Waberi, Abdourhaman, Passage des larmes,
Paris, Jean-Claude Lattès, 2009.
II- Corpus secondaire
•
Monénembo Thierno, Les crapauds-brousse, Paris, Seuil, Coll.
« Points », 2010 (édition originale : Paris, Seuil, 1979).
III- Ouvrages généraux
•
Albert Christiane, L’immigration dans le
roman francophone contemporain, Paris, Karthala, 2005.
•
Brezault Eloïse, Afrique: Paroles
d’écrivains, Montréal, Québec, Mémoire d’encrier, 2010.
• Bauman Zygmunt,
La décadence des intellectuels.
Des Législateurs aux interprètes, Paris, Jacqueline Chambon, Coll.
« EDITIONS JACQUE », 2007.
•
Bodin Louis, Les Intellectuels,
Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? », 1964.
•
Brunet Manon, et alii, L’inscription
sociale de l’intellectuel, Paris, L’Harmattan, 2000.
•
Kouvouama Abel (sous la direction), Figures
croisées d’intellectuels, Trajectoires, modes d’actions, productions, Paris,
Karthala, Coll. « Homme et Société », 2007.
•
Maçon Guy, Voyage au bout de la Négritude,
Paris, L’Harmattan, 2000.
•
Malonga Célestin, Nihilisme et Négritude,
Paris, PUF, 2009.
•
Mbaye Diop, Babacar et alï, Le destin de
la Négritude, Paris, De la lune, 2009.
Fabrice
EKO MBA
France
9 Solitudes
et solidarités de Pascal Quignard
Écrivain considéré souvent comme « solitaire[4] », Pascal Quignard explore continuellement, dans son œuvre fictionnel et
philosophique, la notion de solitude, mais aussi celle de solidarité. Nous
pensons que la conception d’un « être
seul entouré[5] »
se décline dans son œuvre sous la forme de trois
instances : être humain, lecture et écriture. Passionné par l’histoire et,
surtout, par la culture romaine et par la langue latine, il médite sur les
projections et les perceptions de cet
état de l’être humain dans les temps historiques éloignés. En effet, la
solitude et ses formes dérivées (la retraite, l’isolation, l’érémitisme, etc.)
se conjuguent ici avec leur contraire – le collectif, comme, par exemple, dans
son ouvrage, Sur l’idée d’une
communauté de solitaires, consacré aux
Solitaires de Port-Royal. La solitude et
la solidarité sont également pratiquées et explorées par Pascal Quignard dans le présent, quand il se retrouve en tête-à-tête
avec son lecteur d’aujourd’hui. Le fait que Le
Lecteur représente le titre d’une de ses œuvres confirme cette hypothèse.
La solitude et la solidarité apparaissent
également dans l’interrogation sur la pratique personnelle de la création
littéraire de Pascal Quignard. La
solitude, qui est pour l’écrivain le « singulier désir d’être singulier,
d’être seul », fait écho, en effet, au concept barthésien du
Vouloir-Écrire où le verbe « écrire » est un verbe intransitif.
En même temps, l’écrivain porte la responsabilité de son texte devant son
lecteur auquel il se trouve lié (solidaire) par ce que l’écrire produit. Aussi dans notre communication, allons-nous
considérer la solitude de l’écrivain comme le « rapport pratique aux
autres en tant qu’ils vous laissent ou ne vous laissent pas "vivre
seul"[6] ».
De ce fait, l’engagement littéraire de Pascal Quignard sera interrogé comme un engagement humain et
humaniste, la solidarité étant donc une responsabilité, responsabilité de re et de dicto.
Galyna
Dranenko
Ukraine
10
La tentation taoïste du penseur français, de Jean Grenier (1898-1971 à Marcel
Conche ( né en1922 )
Une lignée d’essayistes français n’ont eu
de cesse, de la fin des années 1940 à aujourd’hui d’opposer à l’engagement de
leurs contemporains, une sagesse du retrait solitaire et du non-engagement.
Dialoguant avec leurs élèves, qu’ils
peuvent paradoxalement inciter à s’engager ( Camus, Roblès, Etiemble, Jean
Daniel ou Comte-Sponville…), se confrontant à leurs contemporains intellectuels
(Grenier disant de « Sartre :
l’engagement = trois personnes. Moi présent jure fidélité à un moi futur
par-devant un autre moi qui fait la liaison entre les deux (moi fictif) :
opération magique), ils s’opposent à toute philosophie de l’histoire comme
à toute philosophie politique, afin de promouvoir une pensée du non-agir
(wu-wei) inspiré du taoïsme dont ils sont les introducteurs ou les traducteurs.
Il ne s’agit pas de tourner le dos à l’action et de se désintéresser des
autres. Cela consiste à agir sans agir.
La séquence historique ici retenue montre
l’évolution d’une pensée qui voit simultanément la montée en puissance puis la
recrudescence des diverses postures idéologiques pour faire signe vers une
quête métaphysique de vérité et de liberté. La pacification des démocraties
peut s’y lire en filigrane.
Cela induit chez eux une finalité
originale de l’écriture, comportant un autre tempo, un éloge du silence, du
secret et de la solitude. L’essai et le journal s’avèrent pourtant leur forme
privilégiée. S’ils donnent à voir une personnalité, ils impliquent un
engagement, un risque qui offre au public une perspective sur le monde.
Nous voudrions constater leur
oscillation, leur désorientation (où s’engager ?) ou leur écartèlement
entre le relatif et l’absolu, entre un attachement aux choses sensibles et un
désir de détachement à leur égard. Ils n’ont cessé d’intervenir dans la sphère
intellectuelle et médiatique (presse et travail de la critique), tout en
proposant un scepticisme diffus à propos de tout engagement politique.
Philosophes, ils ont théorisé et justifié abondamment leur geste solitaire,
n’évitant pas certaines contradictions solidaires qui restent à élucider.
Tanguy Wuillème
France
11
Écrire en marge
Face
aux grandes questions métaphysiques, politiques et sociales, comment l’écriture
en marge d’un texte préexistant (glose, commentaire, réponse, hommage…)
permet-elle au créateur de se situer et éventuellement de prendre
position ? La nécessaire solitude de l’écrivain est-elle alors
dédoublée ? Le roman de Kamel Daoud, Meursault,
contre-enquête, nous servira de tremplin pour explorer les enjeux de cette
sorte de création en diagonale.
Toby Garfitt
Grande Bretagne
12 De la parole à l’Action Albert
Schweitzer, théologien, philosophe, médecin, musicien. Prix Nobel de la Paix
1952
Pour Descartes, toute philosophie part de
cet axiome, étroit et arbitraire : « Je pense donc je suis ». La
philosophie tombe dans l’abstrait. Elle ne trouve pas d’ouverture vers le
monde, la vie.
Pour Albert Schweitzer la seule vérité
qui s’impose : « Je suis vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut
vivre ».
Son axiome : le respect de la vie à
travers toute son œuvre.
Il s’est fixé pour but de reprendre la
réflexion là où le rationalisme l’avait laissé, afin d’aboutir par la raison ou
par la pensée élémentaire, « à la vérité vivante qui naît de la
pensée ».
Solitaire, d’une certaine manière dans une société
entre la fin du 19e et le 20e siècle en pleine mutation,
à la veille de deux guerres mondiales. Il fut l’homme de la
transdisciplinarité, de l’engagement spirituel et personnel. Choyé dans un
cercle protestant strasbourgeois, il fut dans ses sermons une
« voix » nouvelle qui lui valut admiration et critiques. Il aurait pu
n’être, de la plus magnifique manière, il est vrai, que le prédicateur et l’organiste
dont la réputation avait traversé les frontières bien avant sa 30e
année.
Seul
contre l’establishment, d’une renommée exceptionnelle par ses écrits, ses
prises de position courageuses, Schweitzer prit la décision d’entreprendre des
études de médecine pour transformer la parole en action. Pas n’importe
où : en Afrique, au Gabon où le paludisme, la lèpre, la tuberculose, la
pauvreté faisaient des ravages.
Il devint le Grand docteur blanc de
Lambaréné, une œuvre qui lui a survécu.
Jamais
il n’a abandonné son principe de vie. Il a écrit, publié, réveillé les
consciences, supporté l’emprisonnement, peaufiné sa pensée, interprété Bach
pour récolter des fonds pour son œuvre africaine. Il est devenu au cours de sa
longue vie une référence, une voix
solidaire, extraordinairement présente sur tous les continents sur les
grands sujets : éthique, politique, philosophique, spirituel.
Le
respect de la vie, Erfurcht vor dem Leben, Reverence for Life : sa pensée
demeure. En remontant le fleuve Ogooué, il a trouvé une réponse à ses
interrogations : « Enfin je m’étais ouvert une voie vers le centre où
l’affirmation du monde et l’affirmation de la vie se rejoignent dans
l’éthique ».
Christiane
Roederer
France
13 Exil et Générosité chez Friedrich Schiller
et Dea Loher
La
solitude se manifeste très tôt chez les auteurs romantiques et dans des figures
inattendues. Friedrich Schiller, le plus romantique des classiques, a conçu de
nombreux héros vivant en marge de la société et qui, néanmoins, ne boudaient
pas pour autant le don envers les autres. A notre époque, la dramaturge Dea
Loher a revu le mythe de Barbe Bleue pour mettre en évidence que dans le monde
moderne, l’homme est toujours seul et qu’il n’existe que très rarement des
actes de générosité gratuite. Pourtant, de nombreux personnages dans les pièces
de Schiller, tels Jeanne D’Arc, le marquis de Posa ou encore Guillaume Tell,
n’hésitent pas, malgré leur isolement, à embrasser la cause nationale. Ils vont
même jusqu’à donner leur vie pour sauver celles des autres. Quel acte serait
plus solidaire que celui-là ? Ainsi nous allons nous attacher à étudier
toutes ces figures issues de la littérature allemande, autant classique que
contemporaine et qui portent en elles la marque de l’exil ou d’une extrême
solitude. Ces marginaux tentent de concilier en eux les blessures liées à la
solitude et au don de soi, très sincère même s’il est paradoxal.
Agnès
Felten
France
14 Solitude, une force de résistance face à la déshumanisation,
et aussi un combat pour protéger la Nature dans la société modernisée sinophone
Schopenhauer fait
l'éloge de la solitude ; selon lui, la solitude offre à l'homme
intellectuellement haut placé un double avantage : le premier, d'être avec
soi-même et le second de n'être pas avec
les autres. On appréciera hautement ce dernier si l'on réfléchit à tout
ce que le commerce du monde apporte avec lui de contrainte, de peine et même de
danger.
La vérité est
souvent universelle. L'analyse de Schopenhauer correspond à l'actualité d'un
certain écrivain tibétain d'expression sinophone d’aujourd’hui. Long Renqing appartient
à ce mouvement. Ayant choisi de ne pas suivre la grande vague vers la ville
modernisée, il vit la solitude sur sa terre natale. Cette solitude lui permet
de créer une relation intime avec la Nature, entre la tradition et la
modernité. Sa création littéraire se base sur cette relation comme celle de certains
de ses compatriotes littéraires.
Par le biais d'une analyse
des œuvres de ce groupe d'auteurs, notre travail traitera les particularités de
ce choix, ainsi que la recherche d’une nouvelle frontière d'identité culturelle
et sociale de ce groupe, afin de répondre à la question de savoir si le choix
de la solitude est un combat contre la déshumanisation et permet de protéger
l'environnement ?
Yue Yue
France, Chine
15 Ethique et esthétique dans quelques
romans de Laurent Gaudé
La
production romanesque de Laurent Gaudé présente, à son intérieur, une série de
romans qui puisent leurs sources inspiratrices dans des événements
contemporains qui portent en eux du tragique : Eldorado (2006) parle des problèmes des migrants, Ouragan (2010) de la tempête qui a
ravagé La Nouvelle Orléans, Danser les
Ombres (2016) du tremblement de terre en Haïti. Modulés sur des stratégies
narratives particulières, ces romans proposent des histoires qui s’insèrent
dans la question, très débattue aujourd’hui, du rapport entre littérature et
réalité, et notamment entre littérature et événement : la transposition
fictionnelle d’un événement (ou d’un fait divers) concernant non seulement
l’individu mais une collectivité peut-elle signifier un engagement de la part
de l’auteur ? La décision de s’adonner à cette pratique scripturale
comporte-t-elle une prise de position et donc une volonté d’intervenir sur les
problèmes que ces événements suscitent et/ou de proposer des solutions ?
D’ailleurs, parler de ces drames qui ont une dimension sociale demande une
sensibilité littéraire nouvelle, capable d’éloigner la narration romanesque de
la simple chronique et de reconstruire à travers les personnages un monde qui
n’est plus décrit mais analysé : de là naît la nécessité d’une nouvelle
esthétique qui assume avant tout le principe de la polyphonie du réel. Mais si
le monde, comme disait G. Perec, « est une réalité vivante et difficile
que le pouvoir des mots peu à peu conquiert » (Robert Antelme ou le pouvoir de la littérature, Seuil,1992, p.53),
quelle valeur peut-on attribuer à la transposition fictionnelle de ces drames
collectifs ?
A
travers l’analyse de ce corpus romanesque, je voudrais répondre à ces questions
et montrer le sens de cet engagement littéraire contemporain qui, contrairement
au passé, lie étroitement forme romanesque et responsabilité de l’écrivain, car
ces romans ne sont qu’une forme façonnée par la subjectivité d’un écrivain qui
essaie d’exprimer la tension de son rapport au monde.
Daniela
Fabiani
Italie
16 Il ne voit rien et il voit
tout
Aux
moments de dures épreuves pour la France, plus que jamais la littérature était
nécessaire pour dire le monde, pour cerner la douleur du monde. Parmi les
écrivains français qui ne pouvaient pas “se tenir au-dessus de la mêlée” il
convient de mentionner, en premier lieu, François Mauriac (son Cahier noir, après trois longues années
d’occupation est devenu un véritable manifeste de combat), Albert Camus (dans L’Homme révolté qui disait : “Je me
révolte donc nous sommes”), Jean-Paul Sartre (qui prend parti et se lance dans
l’action clandestine) pour ne citer que les plus célèbres. Pourtant, il y en
avait beaucoup d’autres, malheureusement méprisés par la postérité. L’écrivain
français contemporain Jérôme Garcin, vingt ans après Pour Jean Prévost, dans
son livre Le Voyant fait le portrait
d’un autre écrivain-résistant : Jacques Lusseyran, que la France a négligé
et que l’Histoire a oublié. Ce personnage inouï qui va au-delà de ce que l’imagination
d’un romancier pourrait inventer, frappé à huit ans par un handicap majeur – la
cécité, poursuit ses études, pendant la guerre se lance dans la résistance et
crée les Volontaires de la liberté,
future composante du grand mouvement Défense
de la France. À vingt ans, il est déporté à Buchenwald, d’où il reviendra
vivant, plus vivant que les voyants et laissera après lui une œuvre abondante.
Cette revendication de dignité, née dans le cœur de Jacques Lusseyran, le tire
de sa solitude précisément en ce qu’elle vaut pour tout homme. Elle est à même
de résoudre la question que pose à l’homme l’injustice.
Ayant
traversé les moments les plus noirs du XXe siècle dans les couleurs
insolentes de sa cécité, soutenu par une lumière intérieure, Jacques Lusseyran
a fait preuve d’une “sidérante faculté de l’homme à combattre la mort, à
résister à ce qui le détruit”1. Quel paradoxe ! Un jeune homme
aveugle servait d’exemple aux détenus du camp de Buchenwald en leur citant sa
devise : “Il faut tout mettre à l’envers. Apprendre à mourir n’a pas de sens.
Ce qu’il faut, c’est apprendre à vivre”.2
1. J.
Garcin. Le Voyant. Gallimard, 2015,
p. 105.Ibid, p. 86
Taras Ivassioutine
Ukraine
17 Le
roman d’une solitude
L’écriture est un miracle
qui permet aux hommes de communiquer.
Gao Xingjian
Être
sur la terre, vivre parmi les hommes, apprendre à souffrir, donner expression à
ce qui te surprend, c’est prendre conscience de l’existence, devenir
personnage, sur la page blanche de l’innocence, s’interroger sur le sens de la
destinée humaine, de l’implacable du temps, de l’être irremplaçable ; c’est
mener une vie vouée à confirmer que tout devient trace d’un souvenir
inoubliable, signe irrécupérable, le passage éternel vers l’espace vide de la
mort, comme limite extrême de la vie.
Matrice
et empreinte, héros ou martyr, isolé ou exilé, l’homme se trouve au carrefour
d’un choix terrible, mise à l’épreuve de se décider, au comble de la vie, au
pire de l’histoire quand, au nom de la vérité, ce sont les autres qui en
décident. On supprime ainsi la liberté de l’homme, on opprime sa liberté
intérieure, comme un attentat à la vie. Mais, la liberté n’est pas un don du
ciel, elle doit être conquise : La
liberté n’est pas un droit de l’homme concédé par le ciel, et la liberté de
rêver n’est pas non plus acquise dès la naissance: c’est une capacité qu’il
faut préserver, une conscience, d’autant plus que les cauchemars ne manquent
pas de la perturber. (Le livre d’un homme seul, p. 40)
Gao
Xingjian nous propose une lecture d’un livre qui devient le texte de notre vie,
l’expression de notre conscience, mise à une profondeur qui nous dépasse, sans
dissoudre l’ordre de la nature humaine. Même la mort est un phénomène naturel,
l’éphémère éternel, qui nous surprend au moment où on est arrivé au rivage de
l’amour, en oubliant ta famille, ta patrie-mère, tous les souvenirs qui
pourraient survenir.
Moi, le lecteur
C’est
un roman total, un récit grave, une histoire terrible, valable pour tous ceux
qui ont vécu aux temps de la terreur et de la dictature. C’est le roman de la
solitude de l’homme sur la terre, l’histoire d’un Grand Solitaire. Une confession
de quelqu’un qui se dévoile, par le fil ininterrompu des mots, susceptible, en
chaque moment, d’être trahi. Chaque fois, quand il ouvre une porte pour rendre
une visite, chaque rencontre est soupçonnée, et il risque d’être chassé par la
vue de quelqu’un invisible, inconnu.
L’autre
vie du personnage est sauvée par l’habileté du romancier. Pour rendre
vraisemblable ce terrible jeu, entre l’enquêteur et l’enquêté, entre le
chasseur et le chassé, il laisse dans l’ombre la figure atroce de celui qui
dénonce. La chance du personnage est de se sauver par l’écriture. L’écrivain ne
pourrait jamais mentir. Son œuvre, c’est une confession qu’il partage avec ses
personnages et avec ses lecteurs. Le narrateur nous met à l’épreuve, par son
œuvre : Les personnages n’appartiennent à
personne. Ils attendent juste la chance d’être lus, pour exister davantage, et
toujours autrement. (Sylvie Germain, Les personnages, p.31) Sur la scène
diabolique où l’ennemi va être démasqué, les cris, les vociférations, les
intrigues, n’ont aucune valeur si elles ne sont pas consignées dans un dossier.
Le triomphe de ce jugement dernier, la valeur de cette mystification, est plus
grand et plausible, au moment où on constate que tout est au contraire de la
vérité et de l’évidence. C’est ici qu’on trouve l’invention de l’arbitraire et
de la fiction romanesque.
Tout,
à part la morphologie, la syntaxe et le paradigme, le simple jeu entre deux
mots, solitaire et/ou solidaire, nous donne la clef du suprême enjeu auquel est
soumis l’être humain. La conjonction ou c’est la versatilité, l’espace de
l’évasion, c’est la Chine, où tout est
possible. Celui qui s’implique, qui cède
à la vie, va se sauver. Celui qui se rebelle, va mourir. Être à la fois,
solitaire et solidaire, entrer en dialogue avec l’autre, c’est libérer
l’esprit de la peur, trouver l’amour, faire disparaître les souvenirs.
Le
moi ou le
toi rend réversible la personne humaine et possible la substitution, la
fuite, le masque, la configuration d’un autre et permet d’effacer l’empreinte
unique de l’être. C’est plus facile de se cacher, de prendre une attitude, de
juger, de culpabiliser, sans descendre dans les abîmes de l’âme de l’autre.
Cette minuscule conjonction, ou, permet l’évasion, l’émergence de
la peur, l’attente invisible d’un chasseur, le soupçon, comme un instant qui
vole dans le vide. Au lieu d’œuvrer sur soi-même, de se découvrir et de se
connaître, la quête incessante devient enquête, mise en scène d’un personnage
étrange, jugement dernier d’un ennemi qui se cache.
On
oublie que le temps est irréversible, que la succession c’est la mort du temps,
le néant du présent, le choix entre la liberté et la soumission, c’est renoncer
à soi-même, en faveur d’un personnage qui est aussi étrange et qui n’accepte
pas la substitution : L’homme est la
seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est. La question est de savoir si
ce refus ne peut l’amener qu’à la destruction des autres et de lui-même.
(A. Camus, L’homme révolté) La substitution est permise et devient
permissive seulement au romancier, pour éviter lui-même d’être annulé, par le
double je/jeu des personnages. Pour se sauver, le créateur n’a qu’une seule
solution, s’évader de son for intérieur, transférer le message, par la mise en
page, d’être en même temps le narrateur et le personnage, en train de se
dévoiler. La seule solution c’est le transfert, par le dialogue, de
s’interroger sur lui-même, sans attendre la réponse, la confirmation. La
substitution c’est perdre son identité. Se cacher dans la masse, changer de
nom, ce ne sont que de simples artifices, une fuite nocturne, une évasion de la
matrice créatrice.
Toi, le narrateur
Le
risque de ce petit mot, ou, rend impeccable le visage
d’autrui. Le doute s’installe immédiatement, même dans une conversation banale,
quand l’accent d’un locuteur pourrait trahir son origine, sa vie, son secret,
mieux simulés, par le détour, le retour du personnage.
Au
contraire, l’autre particule, et, sauve l’identité et confère
légitimité à chaque être de devenir ce qu’il est. Le moi et le toi se lient aux confins du temps, sans se mêler ou se
troubler, sur la même page, narrateur et personnage, en parfaite simultanéité,
ce qui fait, au fond, s’accomplir l’œuvre : L’expérience
du lecteur est irréfutable. [...]. Il est le centre. Et le livre est, sous les
yeux du lecteur, le lieu du dialogue caché de deux figures, le narrateur et le
personnage. [...] Mais sa vie fictive continue de se prolonger dans le moment
de méditation et d’appropriation du texte, de refiguration (Paul Ricoeur), où les mots écrits deviennent une
œuvre par le travail, le soutien du lecteur, son appui, actifs, effectifs. (François Mauriac, Le
romancier et ses personnages, p. 8). Ils représentent le comble d’un
accomplissement, d’une mise à l’œuvre, au même instant, sans succession, sans
hésitation, afin de ne pas rester bloqué dans l’intervalle, entre deux rivages,
incompatibles.
C’est
la troisième voie, trouvée et proposée, par un autre écrivain chinois, François
Cheng, qui nous offre la solution, d’être sauvés par le vide-médian : Au cœur de la cosmologie chinoise, [...], il
y a donc cette triade taoïste Yang-Yin-Vide-médian. À celle-ci, les confucéens
vont en proposer une autre plus centrée sur la place de l’homme et qui est
Ciel-Terre-Homme. [...]. Il doit, pratiquant la Voie du Milieu, juste
participer comme Troisième à l’œuvre du Ciel et de la Terre. (François
Cheng, Le Dialogue)
On ne
pourrait pas jouer avec les personnages. Ils ont leur vie, qui leur appartient,
en totalité et intégralité, et personne n’a le droit de changer leur destinée,
ni leur créateur, le romancier. Tant mieux, dans la vie des personnages du
roman, Le livre d’un homme seul, où le narrateur prend la place d’un
metteur en scène. Et le spectacle se passe, dans l’intériorité d’un personnage,
qui joue et rend sa vie sur la scène, sans spectateurs et, en même temps, se
situe sur la grande scène de l’histoire, où le metteur en scène en tant
qu’absent, est aussi omniprésent. Il est seulement représenté par son nom, par
sa figure, par son image qui flotte dans l’air du temps comme un drapeau
au-dessus des têtes rebelles.
Lui, le Créateur
Derrière
le narrateur, il est le metteur en scène. Avec une habileté innée, grâce à ses exercices
visuels sur la nature humaine, très attentif au scénario, sans intervenir ni changer
les répliques des personnages, le metteur en scène exerce la fonction d’une
omniprésence, soit dans la salle, comme spectateur, soit comme acteur sur la
scène, afin de suivre une fiction qui est plus vive que la vie même.
Dès la
première page, j’ai eu l’impression que je me trouvais dans la salle d’un théâtre
et que j’assistais à une répétition, sur la scène, dans la pénombre, comme dans
un bureau situé Place Tienmen, autrefois, pendant la Révolution culturelle.
C’était le temps de la chasse, du crime justifié par la seule raison de perdre
la vie et d’essayer de s’échapper par la porte fermée de la censure. C’était le
temps du mépris et du soupçon, quand il suffisait d’un geste minime ou d’une
grimace pour que l’autre, à côté, puisse interpréter tes pensées cachées.
En
lisant, j’assiste à un spectacle, à une répétition, la dernière, avant la
première, où personne ne pourrait prévoir l’enjeu et la fascination d’une vie,
mise au jour, à la lumière qui va jaillir, confirmation de la réussite. Aucun
mot de trop, aucun geste subversif, aucune allusion perfide, pour suggérer le
grand spectacle qui se passe dans la rue, dans les coulisses d’un pouvoir,
menacé de se dissoudre, au premier refuge, dans les souvenirs, dans l’amertume,
dans la souffrance, d’un passé irrésolu.
C’est
aussi une terrible coïncidence, pour moi, en tant que victime d’une dictature,
d’avoir l’impression que le roman a été, particulièrement, écrit pour moi. Je
me suis identifié avec le personnage principal jusqu’aux derniers détails.
C’est le mérite du grand talent du romancier Gao Xingjian.
Elle, la vie
Être
libre, c’est assumer les limites de la liberté, ouvrir la porte étroite de ton
être, garder les souvenirs de l’enfance, écrire ce qui se passe dans ton âme.
Mettre à l’épreuve ta vie, coucher sur une page tes pensées, trouver la voie
vers toi-même, faire retentir ta voix, singulière, unique.
Dans
ce roman de la solitude, il s’agit d’un personnage qui, refusant la lassitude,
assume son destin, une autre vie. Il a le courage de mettre en question même le
sens de la vie, de s’interroger sur la fragilité de l’être, en tant qu’être.
Au-delà de son enfance, il n’y a personne. Un vieux moine frappe son front,
pendant la visite au temple. Tout d’un coup, il se trouve devant les précipices
d’un abîme. Ce geste violent c’est comme un réveil. Devant lui s’ouvre l’abîme
d’où il se sauve, par ses souvenirs, par les traces qu’on laisse, comme une
promesse qui s’accomplit, à la seule condition de suivre la voie d’une autre
vie. En même temps, il se rappelle la prophétie faite. La solitude c’est la vie
d’un homme qui assume son destin, qui s’implique et qui risque sa vie, pour
accomplir sa mission, son œuvre sur la terre.
Georges SIMON
Roumanie
18
Le silence de Dieu d’un camp de concentration nazi : l’Empereur d’Atlantis ou La
Mort abdique de Viktor Ullmann
Quand
on parle de la solitude comme d’une condition essentielle pour la création
artistique, on pense à une condition idéale qui nécessite d’être défendue.
Cependant, il y a des solitudes qui n’ont rien à voir avec la grande aventure
solitaire dont l’artiste a besoin pour créer son œuvre et qui n’ont rien à voir
avec la douceur du silence intérieur que l’Homme recherche lorsque les bruits
et la frénésie de la vie deviennent insupportables. L’une d’entre elles est
celle d’un camp de concentration nazi où les conditions extrêmes font naître la
vie dans la plus terrible des solitudes, laquelle provient du silence de Dieu.
Contraint à ce silence, l’artiste a deux issues : la mort ou la volonté
extrême de survivre aux forces du mal et retrouver la liberté au cœur de la
création.
Né
dans l’Empire austro-hongrois en 1898 et déporté au camp de concentration de
Terezin près de Prague à l’âge de 44 ans, le compositeur Viktor Ullmann a
choisi la deuxième issue, en retrouvant la liberté au cœur de la création de
ses œuvres qui aujourd’hui constituent un engagement socio-politique à l’égard
de toute l’Humanité.
En
respirant l’air stagnant et putride du camp et forcé d’obéir aux tyrans
sadiques et pervers qui veulent lui ravir la liberté, Ullmann échappe au
silence de Dieu grâce à la musique. Entre 1942, année de sa déportation, et
1944, année de sa mort à Auschwitz, le compositeur d’origine juive écrit plus
de vingt œuvres, parmi lesquelles son chef-d’œuvre, L’Empereur d’Atlantis ou La
mort abdique, un Opéra lyrique en un acte et quatre tableaux qu’il élabore
avec son camarade de camp Peter Kien, poète et peintre de 24 ans, également
détenu à Terezin. Musique et livret fusionnent pour donner le jour à un travail
allégorique qui est un cri puissant à toute l’Humanité. Viktor Ullmann n’a
jamais écouté son opéra, parce que des tyrans ont aussi utilisé sa mort pour
poursuivre leur délire d’anéantir l’Humanité entière et dominer le monde.
Cependant, même si les tyrans lui ont pris sa vie, ils ne lui ont pas ravi sa
voix qui ne cessera jamais de crier pour nous mettre en garde contre le danger
du retour d’une idéologie totalitaire.
Patrizia
Prati
Italie
19 Anna Akhmatova adoubée par François
Mauriac
Pourquoi
et pour qui écrit-on ? Certains écrivains le font pour eux-mêmes. Parfois
des solitaires offrent au lecteur leur personne en victime expiatoire.
D’autres, enfin, se tournent vers leurs semblables, selon l’âge ou les circonstances
extérieures. Un virage qui rend l’auteur solidaire de ceux qui ne s’expriment
pas. C’est le cas de François Mauriac lorsqu’il met son talent d’analyse intime
et de critique littéraire au service de ses lecteurs en entrant dans le
commentaire de l’actualité. Il reconnaît et salue ce tournant chez un grand
poète russe de sa génération, intimiste au départ devenu le chantre de ses
contemporains plongés dans le malheur absolu. Dans son Bloc-notes du dimanche 15 mai 1966, il
écrit : « Anna Akhmatova, je pense à vous […] un des plus grands
poètes de la Russie soviétique ».
Anna
Akhmatova, 23 juin 1889, près d’Odessa – 5 mars 1966, Moscou.
Poète
au vers clair, souple et chantant qui, dès ses premiers recueils, atteint une
perfection reconnue dans un style lyrique et personnel, très pétersbourgeois.
Elle a l’essence d’une grande amoureuse, avec un cœur qui diffracte les
sentiments pour les exprimer de façon très pure. Sa vie privée la pousse dans
ce registre, en particulier son mariage en 1910 avec le poète Goumilev, un
mariage peu heureux, suivi d’une séparation acceptée. Elle savait ne pas être
faite pour le bonheur, mais le malheur s’acharnera sur cette femme adoubée et
adulée.
La
guerre et la révolution ouvrent sa vie au tragique, qu’elle accueille avec
résignation et courage : elle n’est pas une pleureuse. Goumilev est
fusillé en 1921. Son second mari et son fils seront arrêtés, beaucoup d’amis
partis ou disparus. Dans les années Staline, elle garde une immense réputation
de poète, bien qu’elle soit interdite de publication. Ses textes disent alors
les tragédies vécues par son pays dans une dimension universelle. Elle attend
dans une file à la porte d’une prison parmi les femmes qui veulent avoir des
nouvelles de leurs proches arrêtés. L’une d’entre elles la reconnaît et
demande : « Et ça, vous sauriez le décrire ? ». Oui. Sa
voix dira l’indicible pour les cent millions d’âmes qui crient leur détresse
par sa bouche. Le recueil Requiem
dont les poèmes, faute d’être publiés, sont mémorisés par ses amis, atteint un
sommet de la littérature mondiale. Ce qu’a reconnu François Mauriac.
Anne Hogenhuis
France
20 René
Char, le fer et l’ivoire : « Je ne suis pas séparé. Je suis parmi. D'où mon
tourment sans attente. »
La
production poétique d’avant-guerre de René Char aura dérouté bien des critiques
; profondément autonome à l’égard de tout référentiel, souvent auto-réflexive,
elle semblait n’offrir aucune prise, au point que la critique ait vécu comme un
soulagement l’irruption de l’Histoire au sein d’une écriture jugée oraculaire
et sibylline. Après une première période de silence, qui correspond à la prise
des armes, la poésie étant jugée incompatible avec l’action, Char va accueillir
l’événement, aussi monstrueux soit-il, au cœur de son écriture : non seulement
sa poésie n’en sera pas trahie, mais elle découvrira dans cette épreuve toute
son ampleur et sa légitimité d’après-guerre.
Si Char ne devient pas poète de
guerre confiant à sa plume la mission de plaider une cause, il ne choisit pas
non plus, au sommet d’une tour d’ivoire, de calfeutrer son univers poétique de
toute influence historique ; réflexive quant à ses propres pouvoirs et limites,
adonnée au libre jeu du geste esthétique, mais également engagée dans l’actualité
et dans l’histoire collectives, l’écriture reflète une solidarité de la
pratique poétique et de l’action inédite.
L’homme, en René Char, connaît
les mêmes difficultés que l’écrivain ; malgré un devoir d’action et
d’engagement collectif, l’esprit libre et profondément indépendant qui l’habite
conserve une certaine défiance vis-à-vis du nombre et une réticence
quant aux actions de groupe, soupçonneux des valeurs et codes supposément
universels. Cette tension donne toute sa force et sa résonance à la voix du
poète comme à son écriture, oscillant entre le désir de liberté créatrice de
l’esthète et l'« humanisme conscient de ses devoirs » de l’homme d’action. Loin
de les faire fonctionner toutefois comme des pôles exclusifs, le poète parvient
très souvent à concilier l’esthétique et l’éthique dans des propositions
communes qui peuvent alors se lire à double sens, toute l’entreprise de
légitimation de la poésie sous la plume de René Char semblant vouée à atteindre
un art poétique qui n’ait rien à céder à un art de vivre.
L’expérience
de la guerre permettra à Char de trouver sa voix/voie poétique en tant
qu’écrivain de l’après-guerre, parvenant à un point d’équilibre entre un chant
solitaire et une symphonie avec le chant collectif de l’histoire, dans une
position caractéristique de la modernité, tiraillant l’individualité entre une
volonté d’affirmation jointe au refus de s’agréger à une communauté, fondée sur
des valeurs auxquelles elle ne croit plus, et la nostalgie, sinon l’espoir,
d’une re-fondation de la communauté.
Valentine
Meydit-Giannoni
France
21
Pablo Neruda, la solitude de la création et la solidarité du chant messianique
Le
poète solitaire. Le poète est seul avec son inspiration, seul avec ces vers qui
ne demandent qu’à prendre vie, avec ces ferments qui agitent son esprit. À ses
côtés, aucune présence concrète qui puisse intervenir au moment de la création.
Si
abondante est la matière qui s’agite pour prendre forme et devenir le
patrimoine de tous ! Non seulement reflète-t-elle la pensée, les
réflexions, les méditations, les douleurs et les joies du poète plongé dans la
situation historique et sociale qui se trouve être la sienne, mais elle peut
refléter aussi un autre aspect de la richesse spirituelle de l’auteur :
son regard sur l’autre, sur la souffrance humaine dont il s’investit et qu’il
considère de son devoir messianique, comme poète et comme homme, de chanter,
mais qui a besoin du lecteur pour s’accomplir.
Voici
alors que se fait jour le poète solidaire. C’est le cas de Pablo Neruda qui, à
côté de Veinte poemas de amor y una
canción desesperada, où il chante les nuances d’un amour prégnant et
charnel, compose aussi pour son peuple le Canto
General, poème épique et moral dans lequel il devient poète testimonial et
dont la poétique relève indubitablement de l’engagement envers l’homme, son
présent et son avenir. Des vers qui dénoncent les abus et les lacérations
infligés au monde des humbles et des opprimés oubliés de l’histoire, des vers
solidaires qui veulent ouvrir des spirales de chaleur humaine dans des vies
privées d'espoir et de dignité.
Thais
A. Fernández
Italie
22 Je
t'aime, mon chouchou!
“Ma solitude est brûlante”. Le chuchotement créateur d’Alda Merini.
“Ma solitude est brûlante”. Le chuchotement créateur d’Alda Merini.
Visionnaire,
hôte de maisons de fous, mère sans filles, célèbre locataire de deux chambres
sordides dans le centre de Milan, Alda Merini connut la solitude la plus
atroce, celle des oubliés, celle des coupables, et elle sut faire de cette
solitude absolue sa plus fidèle amie. Alda Merini, qui « ne dormait jamais
seule » parce que chaque soir elle recevait la visite silencieuse d’une entité
inconnue à laquelle elle donna le nom de Dieu, fut une poétesse sublime qui voulut
chuchoter au monde pour le débarrasser du mensonge, pour lui faire don, avec
ses mots, d’horizons ouverts à tous les domaines possibles.
Angelo Valastre Canale
Espagne
23 Ce qui fait l’homme, c’est l’horizon. De L’Arrière pays à L’Heure
présente : itinéraire d’un homme pour d’autres hommes. Yves Bonnefoy.
En
m’inspirant d’un certain nombre d’ouvrages théoriques, (L’inachèvement d’Yves
Bonnefoy et Le point aveugle de Javier Cercas), je vais essayer de
montrer que la poésie d’Yves Bonnefoy explore le manque en nous, manque qui
donne lieu à une quête, toujours inassouvie, d’un arrière-pays, à la
fois vrai et imaginaire, qui dynamise notre chemin d’homme, qui le mène selon
un itinéraire existentiel vers une sorte de sagesse, un acquiescement à la vie,
à L’heure présente.
L’itinéraire
singulier d’Yves Bonnefoy à travers la poésie, est une exploration d’un chemin
d’homme qui peut éclairer le chemin de tout homme. En cela, sa poésie est
« un outil » de recherche existentielle, un outil de la connaissance
de la nature humaine et pour cela une littérature engagée.
Marie-Louise
Scheidhauer
France
24 Solitude et engagement. Le cas
de Pereira prétend (Antonio Tabucchi, 1994)
Antonio
Tabucchi, dans son roman Pereira prétend, offre au lecteur le portrait
littéraire d’un homme écarté de la vie politique qui mène une vie solitaire à
Lisbonne pendant les années 30. Grâce cependant à son expérience
professionnelle à la rédaction du journal Lisboa, il est témoin des
bouleversements qui secouent l’Europe de son temps. Le totalitarisme qui
s’empare déjà de l’Allemagne et de l’Italie avance inexorablement vers
l’Espagne, frappée par une guerre civile sanglante. Le Portugal, à une époque
où l’alignement idéologique s’impose, a pris parti pour l’une des deux bandes
du conflit.
Pereira
est un homme saisi par le souvenir de sa femme et qui vit « comme s’il était
déjà mort» (Tabucchi, 1996 : 15). La réflexion et la solitude sont des
conditions nécessaires à son métier de traducteur et de journaliste, mais sa
paisible existence sera progressivement ébranlée par la pression de la censure
et par la poursuite acharnée d’un de ses collaborateurs dissidents, Monteiro
Rossi.
Le roman
se pose alors comme une prise de conscience progressive. Pereira commence donc
à partager avec ses copains le sentiment d’étrangeté que provoque en lui
l’intrusion du pouvoir établi dans le domaine des libertés individuelles. On
pourrait suivre le parcours idéologique de Pereira à travers ses préférences
littéraires. Au fur et à mesure que le roman avance, l’objet de ses comptes-rendus
et de ses traductions évolue : il passe de Balzac et de Daudet à Bernanos ou
Mauriac, qui condamnent la guerre civile espagnole et l’alignement idéologique
de l’église officielle, qui prenait le parti de Franco. Pereira quitte
définitivement son isolement créatif pour dire « non » à l’agression subie par
Monteiro Rossi, qui lui coûte la vie, en utilisant la seule arme à portée de
main : la plume. Pereira a laissé parler son cœur et ne cède pas « à la
tentation du mépris » (Mauriac, 2016 : 48). En dénonçant ces événements sur sa
page de journal, il choisit la voie de l’engagement politique et de l’exil en
France, en comprenant que « le sentiment se construit par nos actes » (Sartre,
1996 : 45).
Bibliographie
:
Tabucchi,
A. (1996), Sostiene Pereira. Milano, Feltrinelli.
Camus A.
(2015) [1951], L’Homme révolté, Paris, Gallimard.
Mauriac
F. (2016] [1943], Le Cahier noir, Paris, Bartillat.
Sartre J.
P. (1996) [1946], L’existentialisme est un humanisme, Paris, Gallimard.
José Luis Aja Sánchez
Espagne
25 L'inter-dit de l'auteur aux
lecteurs : Un espace littéraire engageant
L’artiste,
l’écrivain, dirait Camus, « chemine
entre deux abîmes » : « On
veut, d'une part, que le génie soit splendide et solitaire » dit-il,
et d'autre part, l'art n'est rien sans la
réalité[7].
Face à l’ère contemporaine, « l'artiste,
qu'il le veuille ou non, est embarqué »[8]
dans le flux du présent, dira Camus. Toutefois, l’œuvre en se métamorphosant en
action morale, politique, humaine ou autre, ne met-elle pas en péril la
personne de l’écrivain ?[9] L’œuvre écrite en vue
d’une cause, d’une vérité extérieure ne cesse-t-elle pas d’être
littéraire ? Faut-il donc renoncer à avoir d’intérêt à quoi que ce soit et
se tourner vers le mur, s’est demandé Blanchot ?[10] Ne pouvons-nous pas
penser comme Blanchot et dire que « l’œuvre
créée par le solitaire et enfermée dans la solitude porte en elle une vue qui
intéresse tout le monde, porte un jugement implicite sur les autres œuvres, sur
les problèmes du temps […] »[11] ? Notre
communication va ainsi s’articuler autour de la problématique suivante :
comment, en ayant à l'esprit la dichotomie "engagement/solitude",
pouvons-nous envisager une troisième voie concernant la place de l'œuvre
littéraire dans son double rapport à l'auteur et aux lecteurs ? N'y aurait-il
pas finalement une solution intermédiaire à travers une réflexion sur le
langage qui trouverait dans la solitude de soi,
du moi, une ouverture sur le multiple
et la complexité du monde, créant ainsi une nouvelle forme d'espace intime et
de fraternité via l'inter-dit ?
Notre
communication va s’articuler, en un premier temps, autour de la notion d’ « extimité » comme elle fut
définie par Lacan. L’écrivaine Annie Ernaux, dans son œuvre Journal du dehors, met en relief la
dialectique de l’intime et de l’extime. Sa conception de l’identité est
réalisée non selon un égotisme cartésien, mais suivant la pensée du divers
d’Edouard Glissant[12]. C’est à partir d’une
pensée rhizomatique, selon la définition du « Rhizome » de Deleuze[13], qu’Annie Ernaux conçoit
son œuvre. L’hétérogénéité et la multiplicité sont au cœur de son écriture dite
« nomade » et montrent effectivement l’idée d’un livre faisant
rhizome avec d’autres machines[14], qu’elles soient
politiques, sociologiques, historiques ou autres. Ses œuvres sont, en ce sens,
un acte d’engagement vis-à-vis de la société où le « Je » est « traversé par les gens, leur
existence »[15]. Or l’engagement de
l’écrivain pour une « cause » extérieure ne serait-il pas un simple
leurre comme le dit Gao Xingjian[16]?
À la
suite de cela, notre communication se focalisera sur la problématique du
langage et de l’engagement. S’engager pour le monde, c’est aussi s’engager pour
un langage capable de dire le monde. Pour éclairer cela, nous serons amené à
évoquer l’œuvre d’Yves Bonnefoy laquelle est une conscience du langage, de
l’acte de parole qui s’avère être l’unique chaînon entre l’auteur et le
lecteur, entre l’œuvre et l’époque, entre le livre et le monde. Ne pouvons-nous
pas dire alors que c’est le rapport de l’auteur avec le langage qui l’engage ou
non dans le monde réel ? Le langage ne serait-il pas dans ce sens soit la
cause de la solitude de l’écrivain, voire son isolement, soit son salut pour un
monde ouvert à l’autre ? La solitude de l’écrivain n’est-elle pas purement
linguistique au lieu d’être un état physique ? Ne pouvons-nous pas dire
que l’engagement poétique d’Yves Bonnefoy pour une parole simple montre sa
volonté de créer une poéthique[17] ? N’est-il pas vrai
que le poète à l’ère contemporaine n’est plus « hors langage » comme il fut critiqué par Sartre ?
L’œuvre
littéraire contemporaine est, suivant la pensée d’Yves Bonnefoy, une forme
d’éthique où le « je » écrivant n’est plus seul dans sa solitude,
mais il est avec ses lecteurs. Ainsi, de l’espace solitaire de l’écrivain au
vacarme du monde extérieur, un troisième espace est créé par la communion de
l’écrivain et des lecteurs formant une « cité
invisible » selon le mot de François Mauriac. Ne pouvons-nous pas dire
par conséquent que la solitude de l’écrivain génère une matrice, celle de l’extimité, qui crée une nouvelle forme
d’intimité au creux du monde ? La doctrine romantique de « l’art pour l’art », selon
laquelle l’art ne doit avoir aucune visée, n’expose-t-elle pas à présent
«
l’écrivain à une sorte de honte préalable »[18]?
Notre communication s’achèvera par la position de l’écrivain vis-à-vis
de l’art et de l’œuvre littéraire et son rôle envers son prochain. Son engagement fera preuve de responsabilité envers
autrui et d’un « pacte de
générosité », comme dirait Sartre, entre l’auteur et le lecteur[19]. Le « je » qui
écrit ne sera désormais plus séparé de l’autre de telle manière que nous
reprendrons l’expression « Soi-même
comme un autre » de Ricœur[20]. Ainsi nous remettrons en question la
littérature engagée, sachant que l’inter-dit
entre l’auteur et ses lecteurs devient une interdiction
pour ceux qui sont étrangers à la relation linguistique et imaginaire existante
entre celui qui écrit et celui qui lit. Ne serait-il pas alors judicieux de
parler d’une littérature engageante à la place d’une littérature engagée ?
Islam
Belgaid
Maroc
26
De la solitude du personnage écrivain à la solidarité ou l'engagement
esthétique et politique dans les romans de Boubacar Boris Diop
Dans
la littérature africaine, Boubacar Boris Diop occupe une place très
particulière due surtout à l'importance qu'il accorde aussi bien à l'expérience
esthétique qu'à l'engagement politique. Cet auteur que Jean Sob considère comme
l'initiateur de la phase autoréflexive du roman africain[21] n'en est pas moins un
écrivain qui fait de ses romans des lieux de contestation sociale et politique.
Son œuvre semble ainsi tiraillée entre la solitude de ses personnages-écrivains
qui trouvent dans l'isolement volontaire une condition sine qua non de l'activité littéraire et leur engagement dans des
combats d'ordre sociopolitique. Les personnages des romans de Diop que sont
N'Dongo Thiam, Mansour Tall, Khadidja et Kaïré trouvent leur salut en tant
qu'écrivain dans la fuite loin des foules. Ils se complaisent ainsi dans une
solitude physique et intellectuelle très féconde qui leur permet de produire de
belles œuvres littéraires et de réfléchir sur l'activité d'écriture à travers
un métadiscours qui envahit tout le texte romanesque. Ce semblant de parti pris
pour les méditations esthétiques n'empêche pas les héros de Diop de se
présenter en véritables rebelles qui contestent l'ordre en place.
Ainsi,
la solitude chez Diop débouche inéluctablement sur une solidarité effective qui
se manifeste par une volonté des personnages d'entrer en contact avec l'Autre
pour lui faire part de leurs expériences esthétiques. Ils parviennent ainsi à
réconcilier deux attitudes qui semblaient contradictoires mais qui se révèlent
indispensables au romancier africain moderne qui voudrait apporter sa
contribution à l'émergence d'une véritable réflexion sur l'esthétique et à la
construction nationale.
Cette
communication se fondera sur les recherches narratologiques, sur la
métatextualité et le métadiscours ainsi que sur la sociocritique pour démontrer
tout l'intérêt que les personnages de Boubacar Boris Diop portent à la création
esthétique et à l'engagement.
Serigne Seye
Sénégal
27
Décrire le monde, écrire sa solitude : Bardamu, l’homme errant ;
Raymond Courrèges, l’enfant perdu. Etude de Voyage
au bout de la nuit de Céline et Le
désert de l’amour de Mauriac
La période de l’Entre-Deux-Guerres, se manifeste comme étant l’âge du roman contemporain au
XXe siècle. Grâce à l’élan populaire que le Naturalisme ne cessait
d’évoquer depuis la fin du XIXe siècle, la littérature s’attache à
dépeindre et à faire revivre l’histoire de la France contemporaine. Or, la
première partie du XXe siècle témoignait de plus de pessimisme que
d’optimisme. Tels des reporters ou des témoins oculaires des désastres de la
vie absurde de la première partie tumultueuse du siècle, les écrivains
s’engagent à analyser les affres de l’ existence pour un homme qui vit dans le
déclin des valeurs sociales, humaines et mêmes divines donc existentielles.
Se sentant seul, délaissé et incapable d’affronter les
contrariétés, les contradictions et la cruauté de sa propre condition, l’homme
assiste désormais à son effondrement, vit dans le dégoût absolu d’Etre et
découvre de près la violence du sentiment du mal d’exister dans une solitude
destructrice. Celle-ci n’est que la preuve irréfragable de la déception de
l’« Autre », qui est censé épauler le solitaire, l’apaiser, le
réconforter afin de résister ensemble aux sentiments macabres d’abandon, de
méfiance, d’errance, de perdition que la vie inflige, obligatoirement.
Mais, l’Autre (la famille, l’Etat, la société) qui est
supposé encadrer l’homme, veiller à sa liberté et protéger ses droits naturels,
ne fait que le frustrer et le condamner à vivre cloîtré dans sa solitude la
plus sombre. L’homme de cette époque se voit, dès lors, comme un étranger
devant ce monde dévalorisé, et se trouve être obligé de mener une existence
absurde.
C’est alors dans ce contexte de déstabilisation
politique, de polémique sociale, de choc des valeurs morales qu’une panoplie
d’écrivains engagés voit le jour dans une France bouleversée dont l’existence est
dominée par les conflits et par les injustices. De la lâcheté des politiciens
timorés à partir de laquelle Jean Giraudoux explique leurs esprits défaitistes
et poltrons, de l’inhumanité des industriels qui font subir aux plus démunis
une souffrance impitoyable que Simone Weil critique farouchement, aux
consciences déchirées entre le péché et la grâce que Mauriac illustre
prodigieusement, à la condamnation de l’errance existentielle futile que
l’homme se trouve obligé de parcourir et que Céline décrit avec originalité, à
l’indifférence face aux effrois de la vie que Camus démontre efficacement, tels
sont les reflets d’une écriture romanesque contemporaine, engagée et diverse
qui sert à expliquer les angoisses du danger d’un ordre moral aboli, d’une
solitude dissolvante et donc d’une existence écartelée.
Notre travail va, dans
cette perspective, se concentrer sur l’étude de deux styles de littérature
contemporaine, engagés certes, mais différents dans la représentation du combat
de l’homme contre les forces du mal qui existent autour de lui ou aussi en lui.
Autrement dit, nous allons analyser à travers l’étude du personnage Bardamu du
roman Voyage au bout de la nuit
(1932) de Céline, l’itinéraire d’un voyageur qui erre seul dans le labyrinthe
de la vie, qui lutte contre son destin et qui s’angoisse de mourir en
souffrant. Dans la deuxième partie, nous assisterons à un autre combat
existentiel et psychologique contre la solitude et l’ennui que vit le
personnage Raymond Courrèges du roman Le
désert de l’amour (1925) de Mauriac. Une solitude vécue essentiellement
aussi bien au sein de sa famille qu’au fond de son être.
Les questions que l’on se pose sont les
suivantes :
En quoi l’expérience de l’écriture
apparaît-elle, chez l’un comme chez l’autre, comme une traduction d’un mal
inéluctable de l’homme solitaire face aux illusions de la vie ? Comment Céline et Mauriac décrivent-ils la
perdition de l’être et écrivent-ils les tourbillons de son existence malgré les indéniables différences
idéologiques et stylistique de chacun d’eux ?
Dorra
Barhoumi
Tunisie
28 Nina
Bouraoui dans Sauvage, une écriture
sur le MOI par un JE ambigu
En littérature, et depuis toujours, la
fiction a épousé l’Histoire et la poésie a emprunté les voies du récit.
L’écriture est vue comme une thérapie servant à renouer les liens brisés de
l’existence humaine. La manifestation du sens de l’œuvre littéraire est
désormais considérée comme une évidence, c'est-à-dire un processus de création
pouvant aller de soi, et provenir naturellement de l’esprit qui traduit
ainsi une grande aventure solitaire.
Nous proposons d’examiner le roman Sauvage,
écrit par Nina Bouraoui, en 2011. Ce texte constitue dès lors une forme
saccadée de l’existence déchirée d’une écrivaine talentueuse dont les romans
ont déjà reçu des récompenses : La voyeuse interdite -son premier roman-
(1991), prix du Livre inter et Mes mauvaises pensées, Prix Renaudot en
2005.
La romancière est née à Rennes d’un père
algérien et d’une mère française, elle a vécu en Algérie jusqu’à l’âge de
quatorze ans. Au début des années 80, Nina Bouraoui a vu sa vie basculer, quand
elle apprend, après avoir passé des vacances dans l’Hexagone, qu’elle n’aura
pas le droit de retourner en Algérie. Arrachée de son pays de cœur, elle vivra
cette séparation brutale tel un drame qui marquera toute son existence
puisqu’elle refuse de dire adieu à une existence antérieure. Une existence
marquée par les souvenirs de l’enfance et les désirs de l’inconscience. Ainsi,
se sentant complètement déracinée, l’écrivaine trouve refuge dans l’écriture. A la recherche d’une identité perdue dans un
déracinement malmené, elle
traduit la souffrance de cette séparation par un style d’écriture aussi
singulier que déroutant.
Dans Sauvage,
Nina Bouraoui met en action Alya, une jeune adolescente, sans identité
confirmée, à la recherche d’une place entre l’enfance et l’âge adulte, entre le
monde des vivants et le monde des morts. Ainsi, Alya cherche tout au long du
roman à rétablir le contact avec Sami, son ami d’enfance. Ce dernier, disparu
au centre de la campagne algéroise pour ne jamais revenir. Ne trouvant pas la
force de pleurer, Alya écrit dans ses carnets son chagrin, sa douleur et sa
peur de ne plus revoir Sami. Nina procède avec une organisation textuelle non
aérée en plus d’une absence totale de chapitres pour permettre à Alya de nous
délivrer un long monologue où les sentiments, les attentes et les désirs se relatent
dans un désordre déconcertant.
En examinant les repères qui façonnent
les identités de l’écrivaine et du personnage principal, nous pouvons
facilement distinguer plusieurs indices de rapprochement entre Nina et
Alya ; nous laissant, ainsi, penser à une réelle reproduction de l’auteur
dans son texte littéraire. De père algérien et de mère française, Nina et Alya
demeurent deux femmes oscillant entre deux identités distinctes. Habitant
toutes les deux à Alger, Alya et Nina semblent partager, ainsi, le même espace.
Elles partagent également un fort attachement à l’écriture pour s’affirmer et
échapper à leurs douleurs. Les même penchants semblent, aussi, parfaitement les
unir : sport (tennis), musique (les chansons de Sheila, celles de Fairouz ou même d’Idir)... Mais, demeurant un
être coupé en deux, entre l’Algérie des années 70 et la France, nous nous
demandons si Nina Bouraoui ne cherche pas à
reconstruire une identité fracturée à travers le regard d’un JE narrateur
approprié ?
À travers cette réflexion, nous tenterons d’analyser,
d’abord, l’usage du JE identitaire par Nina
Bouraoui à la lumière des théories de l’énonciation de Dominique Mainguenau et
de Patrick Charaudeau. En parallèle, nous essayerons d’expliquer le penchant
stylistique de la romancière pour la phrase coupée. Un choix, restant
privilégié, qu’elle n’hésite pas à déployer dans toute son œuvre. Ainsi, suite
à un aperçu de ces définitions théoriques, seront révélées les ambiguïtés qui
marquent la quête identitaire d’une écrivaine solitaire.
Bibliographie
Bouraoui
N., La voyeuse interdite, Paris,
Editions Stock, 1991.
Bouraoui N., Garçon manqué, Paris,
Editions Stock, 2000.
Bouraoui N., Sauvage, Paris, Editions Stock, 2011.
Charaudeau
P., Langage et discours, éléments de sémiolinguistique,
Paris, Hachette, 1983.
Kerbarat-Orecchioni
C., L’énonciation de la subjectivité dans le langage, Paris, A. Colin, 1986.
Benveniste, E. 1966. Problèmes de linguistique
générale, t1, Paris, Gallimard.
Maalouf A., Les
identités meurtrières, Paris, Grasset,1999.
Mainguenau
D., L’énonciation en linguistique française, Paris, Hachette,1994.
Maingueneau
D., L’analyse du discours, Paris,
Hachette, 1991.
Meriem
Belamri
Algérie
29 Les
libérés : entre folie et création
Un livre visionnaire, Les Libérés. Mémoires d’un aliéniste,
par Ricciotto Canudo, réédité en livre de poche en 2014.
A la veille de la première
guerre mondiale, la théorie de la dégénérescence est considérée comme cause principale de la folie, dans un
lien étroit entre les fous, les criminels et le génie artistique. Dans une
réinterprétation de ce lien, l’auteur, écrivain d’origine italienne, ami intime
d’Apollinaire et de Picasso, propose une autre conception de la folie : les fous sont des « libérés »,
qui, comme les criminels et les artistes, chacun à leur façon, luttent contre
la société et contre l’asservissement qu’imposent ses contraintes, dans une
grande force de résistance individuelle. Il
invente une utopie : La Villa, établissement psychiatrique qui soigne la folie,
entre autres, par la musique.
Quoique cité pour le prix
Goncourt, ce livre foisonnant,
qui pose des questions tout à fait actuelles, comme les enjeux du pouvoir
médical sur la folie, la place de la sexualité dans les lieux
d’« enfermement », la force d’attraction d’un individu qui pousse une
foule à l’obéissance au mépris de sa propre liberté…, fut très mal interprété par la critique et son auteur sombra dans
l’oubli, avant sa redécouverte récente.
Ricciotto Canudo, (1911) Les libérés. Mémoires d’un aliéniste. Histoire
de fous, Terre humaine, poche, 2014
Marie-Lorraine
Pradelles-Monod
France
30 Quête de l’absolu ou
liturgie de l’amour
Si
Eric-Emmanuel Schmitt est aujourd'hui l'auteur français contemporain le plus lu
et le plus joué dans le monde, c'est que son œuvre est traversée par le souci
de donner un sens au côté spirituel de l'existence : la vieillesse et la
mort, la tyrannie de l'argent et le retour du religieux, la solitude et
l’amour. La solitude est
souvent décrite comme une souffrance sociale, un mécanisme psychologique lié à
un isolement non désiré. L’espèce humaine est
éminemment sociale. Une grande partie des fonctions cérébrales dites
“cognitives“ sont dévolues aux interactions que chacun d’entre nous entretient
en permanence avec sa famille, ses proches, ses collègues de travail et tout
ceux que nous rencontrons, même brièvement. Des capacités aussi importantes que
le langage, l’élaboration du soi, de sa personnalité, la reconnaissance des
émotions chez les autres, certaines formes de mémoire, la motivation, dépendent
largement de la façon dont les relations avec cet environnement social
s’établissent et se déroulent.
Écrivain philosophe, dramaturge, Éric-Emmanuel Schmitt aime
jouer avec les paradoxes des émotions et avec les nuances du désir. Dans son
roman Les Perroquets de la place d’Arezzo, il présente un large
kaléidoscope des relations amoureuses, des espoirs et des peurs qui agitent les
êtres humains. Ce livre de chair et d’âme est écrit sous la forme d’un conte
philosophique qui dérange parfois, quand il met en avant les travers de nos sociétés,
les ressorts de notre intimité et notre solitude face à l’abîme de nos
passions. Les personnages du roman expriment, chacun à leur façon, une quête
d’absolu car l’amour leur fait prendre conscience que l’on est mortel.
Dans son écriture, Eric-Emmanuel
Schmitt s’inspire
de ses rencontres, de confidences, de ses observations, de sa curiosité envers la
vie et les êtres. Son roman incite à éprouver une grande tendresse pour notre
nature d’être humain, à la fois faillible et merveilleuse, pour ce que nous
avons de grand et de petit en nous. La comprendre conduit à accepter, plus
facilement, à la fois notre complexité et celle des autres hommes. L’écrivain
traite ses personnages avec une indulgence et une empathie qui viennent avec la
maturité et le recul qu’elle donne sur les choses. Son roman est un hymne à
l’amour. L’amour, auquel nous sommes appelés et qui est, pourtant, si difficile
à réaliser.
Nina Nazarova
Irlande
LE COIN
DES POÈTES
Les Éclopés de la vie
Accidentés
Fracturés
Mutilés
Amputés
Esprit
perturbé
Visage
endommagé
Bras
attelé
Jambe
plâtrée
Blessés,
ils sont accueillis dans ce centre de soins et de réadaptation
où ils
séjourneront, plus ou moins longtemps, dans de bonnes conditions.
Traitements,
exercices physiques, alimentation, repos et relations
concourent
efficacement à leur reconstruction.
Le
fauteuil roulant s'impose, parfois, indispensable compagnon.
Le
déambulateur permettra les premiers pas. Avec précautions.
Le
rollator facilitera une, encore incertaine, circulation.
Les cannes
confirmeront une réelle progression.
Dépouillés
de leurs statuts, leur autorité, leurs pouvoirs,
privés
d'un masque dissimulant leur véritable histoire,
ébranlés
dans leurs certitudes ou les pertes de mémoire,
ils
souffrent dans leur chair, cœur, âme… Solitude. Désespoir
Peu
à peu, accompagnés d'une équipe de bons soignants
à l'écoute
des douleurs, détresse, dits et non-dits des patients,
ceux-ci
deviennent de plus en plus motivés et confiants,
essayant
de se dépasser avec courage à bon escient.
Après les
épreuves, les traumatismes subis,
de
nouvelles attitudes et comportements acquis,
avec
l'aide et le soutien de thérapeutes aguerris,
les
éclopés, transformés, sourient à nouveau à la Vie.
Monique
Mangold
Exode
Regard noir fixant
l’horizon
Tristement, résolument
Lèvres fermées, sourire absent,
Où t’en vas-tu sans homme
Pour te porter ?
La main dans la main de ton petit garçon
Qui sous son bonnet
Pleure peut-être celui qui est parti,
S’éloignant sans retour,
Tu te tiens droite et ferme
Et porte ton bébé qu’emmitoufle
Chaudement le châle protecteur.
Il fait froid
Dans la pâle lueur
Du soleil hivernal.
Vous êtes tous couverts
Mais le cœur est si lourd !
Départ pour vous
Sur ce quai que raidit la tristesse,
Tu n’a qu’un panier
Un peu de nourriture sans doute ?
Où vont te conduire tes pas ?
Vers quelle terre d’accueil ?
Tu attends, tu attends…
Toujours tu auras attendu,
Attendu
un mari, des enfants, le pain de chaque jour.
Une vie dure ! Un envol pour l’ailleurs,
Une existence meilleure, tu rêves.
Peut-être es-tu au
contraire
En train d’arriver
Après un long périple ?
Peut-être touches-tu à la liberté
Après une indicible errance
Une autre terre, un autre peuple,
Qui sait ?
Est-ce la fin du voyage ?
Un toit, un lit, du travail, une vie
Tout à recommencer,
Le sourire retrouvé
Tes petits grandiront
Puisqu’ils seront aimés,
Tu leur aura donné
La force d’avancer
Sans
pourtant oublier le pays de leurs pères. Châles enveloppants de l’amour
maternel
Que
ne sauraient user les déchirures du temps,
Boucliers magnifiques
Protégeant à jamais le cœur de tes enfants.
Migrants de tous les temps
Sabine Badré
Shoah
Souvent je me réveille
Dans un wagon plombé
Direction les camps
Dont on croyait encore
Qu’ils n’étaient pas la mort
Quand on s’embarquait misérablement
Avec son baluchon et son ticket de train !
Demeure à tout jamais
La faute originelle,
Adolf, sa race aryenne,
Sa haine viscérale
De toute différence.
Tant de complices alors,
Tant de haine déversée,
Tout cela prémédité,
Organisé, pensé, réfléchi.
Tu partais dans le doute atroce
Payant même ton voyage,
Telle l’obole à Cerbère,
Qui, là, n’était qu’un monstre
Horrible et sanguinaire.
Je suis hantée souvent
Par la banalité du mal
Que dénonça Hannah Arendt,
La facilité avec laquelle
On livre son semblable
A la vindicte populaire.
Le bouc émissaire
De toutes les époques
S’en va à l’abattoir
Il ne sait pas pourquoi
Il est juif, homo, rom.
Et après ?
L’étoile de David
Est cousue sur celui
Qu’elle condamne
Souvent à une mort certaine.
Le peuple élu
S’en va à l’abattoir
Sous l’œil satisfait
Et la bonne conscience des bourreaux.
Chaque époque a son crime,
Impardonnable.
Dans les wagons plombés,
Les camps abominables
S’est développé le pire.
Tuer l’autre
Délibérément,
Haine joyeuse au cœur,
Sentiment du devoir accompli.
Jamais je ne pourrai quitter
Ce train qui roule
Inexorablement
Vers la mort effroyable,
Couverte d’oripeaux mensongers.
Des femmes et des enfants,
Des victimes innocentes…
Aller jusqu’au pardon,
Se dire qu’il y eut tant d’amour,
De grandeur, de foi, de bonté
D’espérance, de solidarité
Dans ce pic de haine
Inventé par des hommes.
Jusqu’à la mort
Je roulerai, je roulerai,
Dans ces wagons plombés
Avec la détresse
Et le chagrin du monde,
L’horreur à l’état pur
Et l’Amour !
Amsterdam
Anne Frank, in memoria
Sabine Badré
Explosion
Le printemps éclata comme une explosion
Depuis
le temps qu’il se préparait
Ourdissant
contours lissant feuilles
Polissant
formes futures
A travers orages froidures et gels
Contre
vents et marées
Régénéré
un matin de soleil
Toutes
voiles dehors ce fut le déploiement
Tiges flexibles longuement retenues
Se
dressèrent corolles s’ouvrirent
Bouquets
fusèrent couleurs jaillirent
Feu
d’artifice splendide
C’était l’éclosion du printemps
Le grand écart
Entre ce que les yeux voient
Et
ce que la langue dit
Espace
Entre ce que le cœur sent
Et
les paroles prononcées
Abîme
Entre ce que l’esprit pense
Et
le sens proféré
Précipice
Vérité indicible
Inaccessible
Sans
compter le mensonge
Tout
un monde nous sépare
Françoise Hanus
Aurore
L'Éternité dormait.
Elle dormait dans les draps du ciel qu'aucune aurore
encore n'avait jamais visité.
Elle dormait, sans ride ni sourire.
Impassible. Inaccessible.
C'est un songe qui la
réveilla.
Et voici, il y avait devant elle un chiffonnier en
bois de cèdre sculpté de fleurs épanouies dont les poignées étaient d'or fin.
Elle bâilla. Un sourire ourla ses lèvres. Dans ses
prunelles une étincelle brilla.
Galvanisée par sa vision, elle sauta du lit, ouvrit le
premier tiroir d'où s'échappa le soleil roulé dans ses rayons comme un
nouveau-né dans ses langes.
" Enfin le jour! " s'exclama l'Éternité tandis que le soleil tissait ses
fils et s'élançait dans l'espace, dispersant la nuit.
Mais, quand parut la lune:
" Tu en fais une drôle de tête! Qui donc a rasé
tes rayons? "
Et elle se rendormit.
Le lendemain, l'Éternité ouvrit l'œil, le souvenir de la veille inscrit sur
son visage.
" Au deuxième! " dit-elle en tirant sur les
poignées d'or du second tiroir d'où jaillit un vent qui faillit l'emporter et
chassa devant lui un petit nuage en coton d'une blancheur éclatante qui tourna
dans le ciel, grossit, noircit, et éclata en pluie fine sur la terre.
Le jour suivant l'Éternité se réveilla dans la doucette et les fleurs de
coucou, l'anémone, l'épervière et les trolles qu'elle cueillit pour en faire un
bouquet.
"Parfait!" dit-elle en le posant sur son
bonheur-du-jour.
Une fois ouverts les
tiroirs demeuraient ouverts.
Ainsi se leva un jour
nouveau et l'Éternité avec lui.
" Pour une fois ... j'aurais bien paressé! "
soupira-t-elle en tirant de toutes ses forces sur les poignées d'or du dernier
tiroir qui résistait.
Mais quand elle vit sortir l'homme, fort, musclé et
magnifique, elle sut que dorénavant c'en était fait de son sommeil.
Marie-José Piguet
Texte inédit : rappelons que M.-J. Piguet
a publié en 1990 Petits contes d’Outre-Manche, L’Aire, Lausanne. Actuellement, elle
réside à Bristol, écrit en anglais et cherche un nouvel éditeur.
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[2] Karl
Ristikivi est un écrivain et poète estonien du 20e siècle (né à
Saulepi, à l’ouest de l’Estonie, le 16 octobre 1912 – mort à Solna, Stockholm,
le 19 juillet 1977).
[3] T. Montbélialtz, 2002. Chemin terrestre (poèmes,
éd. bilingue). Éd. Montreuil-sous-Bois : la Guillotine, 135 p. (trad. de K.
Ristikivi, Inimese teekond, Eesti Kirjanike Kooperatiiv, 1972).
[4] Cf. Pascal
Quignard, le solitaire - Rencontre avec Chantal Lapeyre-Desmaison, Paris, Galilée, 2006.
[5] Barthes R., La
Préparation du roman. Cours au Collège de France. 1978-1979. 1979-1980,
Paris, Seuil, 2016, p. 444.
[6] Ibid., p. 443.
[7] - Albert CAMUS, Discours de
Suède, 1957. Adresse URL : http://classiques.uqac.ca/classiques/camus_albert/discours_de_suede/discours_de_suede_texte.html#discours_10_dec_1957
Consulté le 29/01/2017.
[8] - Ibid. Consulté le
29/01/2017.
[9] - Maurice BLANCHOT, De Kafka
à Kafka. Paris : Gallimard, Coll. Folio/Essais, 1981, p. 18.
[10] - Ibid. p. 22.
[11] - Ibid. p. 22.
[12] - Edouard GLISSANT, Introduction
à une poétique du divers. Paris : Gallimard, 1996.
[13] - Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Mille Plateaux. Paris: Les Editions de Minuit, 1980, pp. 9 - 37.
[14] - Ibid. p. 10.
[15] - Annie ERNAUX, Journal du
dehors. Paris: Gallimard, Coll. Folio, 1995, p. 69.
[16] - Gao XINGJIAN et Denis BOURGEOIS, Au plus près du réel. La Tour-d'Aigues: Les Editions de L’Aube,
1997, p. 15.
[17] - Poéthique est un
néologisme créé par Jean-Claude Pinson qui veut dire : « la capacité de la poésie à informer
la vie, à lui donner forme » in : Michel LAURE, « Crise de la poésie ? Le poétariat selon
Jean-Claude Pinson » Op.cit. p. 250.
[18] - Maurice BLANCHOT, Le livre
à venir. Paris : Gallimard, Coll. Folio/Essais, 1959, p. 47.
[19] - Jean-Paul SARTRE, Qu’est-ce
que la littérature ? Paris : Gallimard, Coll. Folio/Essais, 1985,
p. 62.
[20] - RICOEUR Paul, Soi-même
comme un autre. Paris : Ed. Seuil, 1990, p.14.
[21]
Jean Sob, L'impératif romanesque de Boubacar Boris Diop, Paris, Editions A3,
2007.
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