Le malentendu Semenko : « J’ai cousu avec mes
poèmes un costume que je n’ai jamais vêtu »
En effet, le projet de vie du jeune Mykhaïl Semenko
répond au désir de « pénétrer les profondeurs de l’âme humaine ».
Pour cela, il décide de faire ses études à l’Institut psychonévrotique de
Petersburg, fondé par le célèbre neurophysiologiste et psychologue russe,
Vladimir Bechterev. Malheureusement, la guerre empêche le jeune homme d’obtenir
son diplôme de médecin. En novembre 1914, mobilisé comme télégraphiste, il part
pour l’Extrême-Orient. Passionné de musique, il rêve, au début, de devenir
violoniste professionnel. Ce rêve ne s’accomplira pas, mais il continue
néanmoins de prendre des leçons de violon au Conservatoire de la capitale russe ; il joue même dans un orchestre symphonique
municipal, lors de son service militaire à Vladivostok. Après trois ans passés
dans cette ville baignée par la mer du Japon, il séjourne, pour une brève
période, en Chine. Pendant son
séjour en Extrême-Orient, il se découvre une réelle passion
pour la poésie japonaise ; il n’est donc pas étonnant que les poèmes
écrits à cette époque empruntent souvent la forme du haïku. De retour dans la
ville de Kyïv, bolchévique alors, il embrasse une carrière de fonctionnaire
soviétique ; il exerce, à tour de rôle, les fonctions de diplomate, de directeur du Studio de cinéma d’Odessa, de
vice-président de l’Association Panukrainienne
du Cinéma Révolutionnaire, de rédacteur en chef de diverses revues, d’éditeur,
de membre de l’Association des Écrivains Ukrainiens, etc. Même s’il a été un
agent du système soviétique, il en sera aussi la victime ; en effet, en
1937, il est fusillé dans une cave kyïvienne du NKVD …
En 1913, à l’âge de 21 ans, il
fait paraître son premier recueil de poèmes Prélude.
Au début de l’année suivante, encore à Kyïv, Mykhaïl Semenko, en compagnie de
deux peintres, son frère, Basil Semenko, et Paul Kovjoune (tous les trois
occidentalisent leurs prénoms ukrainiens, respectivement, Mykhaïlo, Vassyl et
Pavlo, pour les rendre plus « exotiques »), initie le mouvement
futuriste ukrainien. Par la suite, il fonde plusieurs groupes
artistiques : « Aspanfut » (Association des panfuturistes), «
La Culture communiste » (Kominkult) et « La Nouvelle génération », ainsi
que la revue éponyme. La revue La Nouvelle génération, dont la
couverture est rédigée en ukrainien et en français, publie notamment une
dizaine d’articles sur l’art et l’architecture de Kazimir Malevitch. En tentant
de réunir dans son œuvre la poésie et la peinture
(« poésie-peinture »), Mykhaïl Semenko invente des « suprépoèmes »,
des « cubopoèmes » et des futuropoèmes ». Il est également
considéré comme le premier urbaniste ukrainien. Dans ses poèmes, il élabore une
poétique de la ville moderne marquée par la vitesse, le rythme, la cacophonie
des syllabes, la géométrie de nouvelles formes, etc. Il adhère aux idées la
Révolution bolchévique, car elles correspondent à son programme artistique
d’avant-garde : il perçoit la Révolution non pas comme une simple rupture
ou ruine, mais comme une déconstruction du monde ancien en vue de la création
d’un Homme Nouveau. Aussi rejette-t-il le « fétichisme de l’ancien »,
car celui-ci empêche la formation et le développement d’un nouvel art
révolutionnaire.
Pour ce numéro anniversaire d’Intervoix, j’ai procédé à la traduction
d’un choix de poèmes de Mykhaïl Semenko, composés et publiés entre 1910 et 1919, qui représentent au
mieux les recherches poétiques et existentielles du jeune poète.
Galyna Dranenko
MON CŒUR ASPIRE…
Tombe le spleen et le cœur se met à
battre,
Quand je pense à mes années passées.
Si je le laisse libre – il s’élance
Je ne sais où, mais promptement
Mon cœur aspire au ciel profond,
Il va prier dans l’étendue immense.
10. XI. 1910. Кyïv
LA MER DE MON ÂME
Dans une nuit
noire, à la mer de mon âme
je prête l’oreille.
La mer se tait, couverte par
l’obscurité,
les gouffres muets sommeillent.
C’est à lui que mon regard est attaché.
Mon cœur est inondé d’un voile de
mauvais auspice.
Je vois des chimères.
Dans le silence marin, en blême houle,
ils surgissent,
comme des ressacs, ils roulent.
Une vision ou des
nues sombres ?
Le silence terrifie. On chasse
au-dessus de nous
des mauvais esprits.
La mer se tait, inondée d’ombres,
les gouffres muets sommeillent.
Dans la nuit noire, toute couverte de
chimères,
je regarde fixement.
Je prête l’oreille
à la mer de mon âme.
3. IX. 1913. Кyïv
INTERROGATION
Je voudrais savoir
– Qu’est-ce que la vie ?
Et, dans le ciel, les étoiles
sont allumées par qui ?
Dans la mer-agitée enflammée
S’éteint le sentiment d’humanité.
La vie n’est pas un jardin en fleurs.
La vie est une rue emplie de rumeur.
Si une auto ou un tramway te tue
Sois heureux – c’est ton futur.
Nous courons comme des fourmis,
Sans lever la tête vers le ciel étoilé.
Nous sommes écrasés par le tapage !
Ca suffit, ce remue-ménage !
24. XI. 1913. Petersburg
* * *
Le train s’est écoulé. Et elle s’en est
allée.
Ont disparu les yeux et la bouche
badine.
Il ne reste dans ma tête qu’un sourire
muet.
Dès lors, les feuilles de mon bloc-notes* sont orphelines.
11. V. 1914. Кyïv
* en français, dans le texte
VILLE
Ville ille
il le
li le
chauffeurs – gens
tramways – gens
automobiles-biles
circu-course course-circulations
courses-circulés
berceuses* car
rousel
sel
el
elfes titans
fonte de la fumée
on brûle
bru
brûlante
brûle une cigarette fine
fumée bleue
fumée noi
re
en sort
essence
désirer l’oxyde de carbone
aimer tousser
don-de-vie
circulation-de-vie
es-
sence-de-vie
auto
tram.
23. V. 1914. Кyïv
* en français, dans le texte
* * *
…sur les nuits
blanches. sur le coucher rose. sur
l’agitation de la mer-grise dans les brouillards. sur le roulement le plus
doux. sur le gémissement le plus doux. les vagues. l’âme. les airs récents
joués sur un violon ancien. le clapotement le plus doux. la rumeur la plus
douce. le chuchotement dans les buissons-jeunes. et les vagues. et l’âme. le
papillon blanc. le papillon bleu.
ah, Sveltefille.
Blondefille. Remuefille. Chaleurfille dans sa robe ajourée. fine-taille.
souple-taille, dans les couchers roses. parmi les bouleaux gris.
…sur les nuits
blanches… sur le rose-coucher.
11. III. 1914. Кyïv
HUMEUR
Serpentent les
serpents des rails parallèles
La brume entoure tout. Le train a
démarré.
Je cours derrière lui en silence-colère
Et j’attends un miracle du ciel
souillé.
Les lueurs réverbèrent. Luisent les
serpents.
Les feux s’évanouissent dans la brume.
Et de mes cils tombent des larmes
doucement
Car pour moi il y a si peu de
place sur terre !
31. III. 1914. Кyïv
SANG-SOLEIL
SANG-SOLEIL
Moi, je refuse de
vivre sans soleil
Je ne supporte plus le froid des
réverbères
J’adore le sang-soleil et le soleil du
sang
Et le soleil des sang-couleurs des
peintres
Si un nuage cache mon soleil
Mon sang ne refroidira pas
Il brûlera et bouillonnera
Insoumis à la flamme et au flot
Il me remplit et nous planons en bloc
A la rencontre nouvelle du soleil
Et nous crions :
Cher Soleil
Bonjour –
Tu es salué par Semenko, semeur de
troubles !
4. I. 1914. Кyïv
MON PROJET
J’aurais pu dire
plusieurs sentences distinguées
Et d’une ardeur du sentiment faire
preuve éclatante
Pourtant ô frère je brûle au feu de la
pensée
La vie moderne j’en cherche la
quintessence
Je veux saisir l’instant de l’avatar
Je veux saisir l’instant de notre
histoire
Pour jeter un pont dans l’ère de l’aéro
Pénétrer l’univers de rêves
fous-fabuleux
De Čiurlionis*, Vroubel**, Cézanne et de Gouro***.
7. VI. 1914. Кyïv
* Mikalojus Konstantinas Čiurlionis (1875-1911) est un peintre et
compositeur lithuanien.
**Mikhaïl Vroubel (1856-1910) est un
peintre symboliste surnommé « Cézanne russe ».
*** Elena Gouro (1877-1913) est une
peintre et écrivaine futuriste russe.
JE VEUX
Je veux que chaque jour
me porte les mots nouveaux
Que les chansons soient neuves
et les idées – nouvelles
Je veux qu’à chaque
heure
de ma nouvelle-vie
Je brûle et je me consume
dans une euphorie
Que les chansons
soient neuves
et que les thèmes soient inusités
Je veux que chaque jour
surgissent de nouvelles années !
12. II. 1914. Кyïv
CIGOGNES
Je me complais à
écouter les œuvres de Chopin
dans les murs blancs d’une salle de
concert.
Sol-mineur d’une balade est mon humeur
Un cœur s’amuse et joue avec un autre
cœur.
A l’entracte on entend une rumeur
craintive.
Ses thèmes sont proches-éloignés et
subtils.
Soudainement un cœur attrape un autre à
demi-mot
Et dans les lustres les âmes-cigognes
font écho.
1. V. 1915. Vladivostok
PAYSAGE
Je contemple une
baie où les bateaux-voiles
chinois transpercent délicatement le
brouillard
et dans le velours du paisible
sans-vagues
le monde se dessine.
2. VI. 1915. Vladivostok
PIERROT EST AMOUREUX
Je ne dis rien
J’écoute de mon esprit les abris
silencieux
Je
ne déclarerai pas je n’avouerai pas que je ne dis rien
Je suis nerveux
Je suis nerveux
Je suis nerveux
Car quelque chose enserre mon esprit
dans un pressentiment dangereux
Je suis joyeux
Car un pétale d’éternité se cache dans
le mécontentement
Je ne veux pas être une feuille
jaune-morte
Je ne veux pas regretter l’hiver en
automne
Je veux être courageux
Et j’attends le printemps
Je voudrais me trouver dans un parc et
lire à mon aimée du Verlaine
Je veux danser avec elle une valse parmi
les gens
Je désire les nocturnes de Chopin
Je voudrais saisir son esprit
Je veux fermer mes yeux fortement
fortement
Pour ressentir mon esprit plus finement
plus finement
Je suis amoureux
Je suis amoureux
Je suis amoureux
Je ne dis rien
Et j’écoute de mon esprit les abris
silencieux
Je transfuserai ce que j’y entends dans
le tien
Telle est ma déclaration.
8. IX. 1916, Vladivostok
AUJOURD’HUI
Aujourd’hui je fume, je
fume des papirossas*
Aujourd’hui je suis nerveux
Aujourd’hui je suis nerveux aujourd’hui je suis
mortellement nerveux
Parce que j’aime ses cheveux
Le soir s’est tu enchanté par la lune endormie
là où notre parc est resté esseulé
Je n’y suis pas ce soir ah que je voudrais y être
Et si bavard dans ce parc paraître
Mais je me tairai jusqu’à jeudi
Encore quelques jours assombris
Pas question d’être le premier – quel jour
sommes-nous quel mois
Immobile est le soir
L’une après l’autre je fume des papirossas
Aujourd’hui je suis nerveux
Aujourd’hui je suis mortellement mortellement
nerveux
Parce que j’aime ses cheveux.
29. VIII. 1916.
Vladivostok
*cigarettes
soviétiques composées de tubes en carton en guise de
filtre
UN CORPS DE BRONZE
J’ai un
corps de bronze
Sur le sable blanc
Combien d’éclairs ont brûlé
Sur la source claire
Combien
de taches ont tremblé
Sur le visage de l’eau
J’ai un corps de bronze
Je suis jeune.
1917
LES JOURS IMPLACABLES
Patientent devant moi les jours
de la frayeur –
Les jours implacables.
J’ai à supporter le froid, la
chaleur
D’une lutte épouvantable.
J’envelopperai, envelopperai ma
poitrine ferme
D’une carapace d’acier.
Qui, qui raturera mes traces ?
Partir dès l’aube.
A la campagne, des nuages, des
fumées effroyables,
Les éclats aveuglants.
Patientent devant moi les jours
de la frayeur –
Les jours implacables.
1917
L’ANNIVERSAIRE DE MA GRAND-MÈRE
Dans le passé, le jour d’anniversaire de ma
grand-mère,
Il y a avait beaucoup d’invités dans cette demeure.
Qu’est-ce qu’on attendait ces journées,
Qu’est-ce qu’on s’y était préparés,
Et combien de dindes et d’oies rôties
on avait servies.
Dans l’ombre de l’abat-jour – tant d’ombres des
morts –
De la famille, des amis et des notables.
La maison était pleine de causeries et de rumeur
dans un frémissement doux et agréable,
A présent, ne restent que les derniers témoins –
les vieux canapés des grands-parents.
Des heurts et des bruissements,
Des familiarités démodées si sympathiques.
Le silence, le silence initiatique.
Dieu, je t’implore, accorde ta grâce
à tout ce qui passe !
Aujourd’hui, c’est le jour d’anniversaire de ma
grand-mère.
1918
VILLE
Clignotement et
pointement
miroitement des lignes
tremblement des figures
ils s’avancent
se poussent
se traînent
se déplacent
une symétrie
de déplacements muets
de dépassements
ils se transforment en mouvements
des séries silencieuses
se transforment en silhouettes
des feux secrets
se découpent en contours
des ombres déformées
ils se passionnent pour leurs rayures
une géométrie différentielle
des angles et des formes abracadabrants.
1919
POÈTE
J’attends que puisse surgir une vague,
Qu’une bourrasque emporte mon âme.
Je veux que mon aimée me laisse seul,
Mon moi est sous mes pieds – je suis
mon sol.
Mon cœur désire des fleurs imaginaires.
Mon cœur fleurit dans des recherches
amères.
Je ne suis pas esseulé, tout seul au
monde –
Mon orage c’est la couleur des aubes.
J’admire l’absence de sujet dans un
orage,
C’est sa force qui est moteur de mon
ouvrage.
J’exprime mon univers dans une
miniature subtile,
Je suis un poète d’un modèle qui n’est
pas utile.
1919
J’AVANCE
J’avance sur une voie inexplorée,
En tournant des pages d’immortalité.
Car de personne je ne suis connu
Car je n’attends point de gratitude.
Je ne suis à personne. Je suis
personne. Je suis ignoré par l’Histoire.
Mes slogans sont instabilité et
imprévisibilité.
Vous voulez une rime ? La
voilà : hystérie.
J’ai cousu avec mes poèmes un costume
que je n’ai jamais vêtu.
1919
Poèmes traduits de l’ukrainien par Galyna Dranenko
ÉCRITS ET PUBLICATIONS DE NOS MEMBRES
Anne Hogenhuis, Zinaïda
ou la liberté, Ed. Rod, 2016
Zinaïda est le titre d’un récit biographique dont Anne
Hogenhuis est l’auteur. Zinaïda est le nom d’une femme qui appartient à
l’Intelligentzia russe de la fin du XIXe et de la première moitié du
XXe siècle. Son extraordinaire personnalité se trouve mêlée aux
événements qui ont présidé aux révolutions et contre-révolutions russes.
C’est une femme dont la vie est peu commune. Mariée à
un homme écrivain et penseur engagé, amante d’un autre homme également engagé,
elle est au centre de ce trio qu’elle anime et propulse. Elle-même, critique
littéraire redoutée et écoutée, elle est le noyau d’un cercle intellectuel aux
idées avancées. Si le premier courant de pensée qu’elle initie concerne la
religion et la nécessité d’une séparation du pouvoir impérial et de l’église,
la conception d’une religion universelle qui préconise l’amour et une relation
directe avec Dieu, l’idée d’une révolution qui mettrait fin au régime
autocratique la séduit très vite et la révolution de 1905 répond à ses
aspirations bien que la violence lui pose problème . Mais la guerre de 1914 et
l’hécatombe meurtrière qui l’accompagne la bouleverse. Cependant c’est la prise
de pouvoir par les bolcheviques qui va déterminer sa prise de position en
faveur des Russes blancs et l’obliger à fuir la Russie pour un exil qui sera
définitif.
Avec son mari, Dmitri Merejkovski, et plus tard son
amant, Dima Filosofov, cousin de Diaghilev, elle voyage à travers l’Europe et
cela bien avant l’exil même. Si Saint-Pétersbourg constitue leur port
d’attache, Paris, la Côte d’azur, la Suisse, l’Italie sont des lieux de passage
privilégiés. Le livre comporte trois parties: Saint-Pétersbourg, L’Apocalypse,
Paris. Partout Zinaïda réunit autour d’elle un groupe d’admirateurs passionnés
qui l’écoutent et la suivent. Seules ses idées mystiques ont du mal à se faire
un chemin chez ces jeunes, épris de liberté et d’espaces de pensées nouvelles.
Dmitri Merejkovski produit aussi des écrits subversifs, comme Paul Ier
qui l’oblige à un premier exil.
A Paris, elle achète un pied-à-terre qui sera sa
demeure pendant son dernier exil. Elle rencontre des intellectuels russes et
des artistes. Elle écrit, fonde des revues, cherche des partenaires, des
éditeurs pour les livres de son mari et les siens propres. Elle compose des
poèmes. Parmi les écrivains qu’elle fréquente et qui sont nombreux, il faut au
moins citer Yvan Bounine, Nicolas Berdiaev et Berberova. Elle rencontre Thomas
Mann, un admirateur de son mari et Jacques Maritain, un des animateurs du
cercle de Pontigny. La remise du prix Nobel à Bounine va certes susciter
quelque jalousie de la part de son mari qui espérait aussi l’obtenir, mais ne
va pas ternir leur relation.
Elle est reçue par d’éminentes personnalités du monde
intellectuel et du monde politique et même par le roi Alexandre de Yougoslavie.
Elle brille aux réceptions par son élégance et son esprit.
C’est une femme libre qui parle d’égal à égal à tout
humain. Si elle espère longtemps que le bolchevisme sera vaincu, si elle
soutient toutes les initiatives prises par les politiques comme par les
intellectuels russes en exil, si son mari se compromet même dans des soutiens
douteux aux dictateurs occidentaux, elle finira par être réduite à la pauvreté
et à la misère par la guerre de 1939-45. Son époux meurt en 1942. Elle-même en
1945. Leur tombe se trouve au cimetière de Sainte Geneviève des Bois.
Pour ne citer que quelques titres d’ouvrages, particulièrement
évocateurs de leur parcours et de leur mission, voici :
Le Tsar et la Révolution, Léonard de Vinci, Atlantide,
Le royaume de l’Antéchrist.
Et leur revue : La nouvelle voie.
Mais le livre d’Anne Hogenhuis est bien plus qu’un
simple récit biographique car ce dernier a comme cadre l’Histoire russe et même
européenne à un moment de grands bouleversements. Le résumer est presque
impossible. Il faut, au contraire suivre pas à pas l’héroïne pour bien
comprendre comment cette Histoire joue un rôle essentiel dans la vie de Zinaïda
qui essaie d’y tenir une place et même de l’infléchir. Il faut comprendre que
les révolutions sont précédées d’un bouillonnement d’idées qui se confrontent
et s’affrontent et que les actes qui suivent échappent ensuite aux intellectuels
qui les ont suscités. Il faut citer le nom de l’avocat Kerenski, d’abord
siégeant à la Douma puis acteur de la contre-révolution. Celui de Savinkov,
terroriste qui devient écrivain (Le cheval blême).
Il faut assister aux innombrables rencontres qui
jalonnent la vie de cette femme et qui participent d’un élan et d’une espérance
vers un monde meilleur. Et, en un sens, Zinaïda est une Pandora des temps
modernes qui ouvre la boîte de laquelle s’échappent les maux. Mais l’espérance
qui reste au fond n’est peut-être pas morte car en chemin Zinaïda a rencontré
des vivants comme Tolstoï, Dostoïevski, Tchékhov, Bounine, Berberova, Thomas
Mann, Berdaiev, Jacques Maritain et tant d’autres dont les noms reviennent
comme stèles et comme voix dans le récit d’Anne Hogenhuis.
Marie Louise Scheidhauer
Note de lecture
Zinaïda ou La liberté, Anne Hogenhuis, 2016, Ed. ROD.
Tirer de l’oubli des noms et en faire des
personnages vivants, c’est le don de quelques écrivains dont Anne Hogenhuis
fait partie. Parmi “Les Russes à Paris”, elle avait déjà ressuscité Boris
Vildé, le Résistant assassiné au Mont Valérien en 1943. Voici qu’elle nous
plonge, avec Zinaïda ou la liberté dans
la vie de la personnalité la plus étrange de l’Entre-Deux-Guerres.
Cette Russe exilée, on pouvait l’avoir
remarquée dans le récit de Nina Berbérova C’est
moi qui souligne, publié chez Actes Sud en 1990. Mais le personnage
important, pour Nina Berbérova, était Dmitri Merejkovski, époux de Zinaïda ,
écrivain, penseur, figure de l’émigration célèbre par ses conférences et ses
articles de critique littéraire. Le portrait qu’elle fait de sa femme, Zinaïda
Hippius, 40 ans après l’époque de leur amitié, manque pour le moins
d’aménité : Elle s’abritait derrière
son ironie, ses caprices, son goût des intrigues et ses manières affectées pour
se protéger de la réalité. Elle lui attribue même une nette tendance hermaphrodite, exhibitionniste. (pages 263 à
266.) Au moment où la question du genre agite les milieux intellectuels, Anne
Hogenhuis a décidé de pousser le plus loin possible sa recherche de la
véritable Zinaïda. Le centenaire de la Révolution en Russie n’est pas étranger
à son choix : cette douzaine d’années, de 1905 à 1917, elle nous les fait
vivre à travers les engagements et les épreuves de celle qui disait je suis une rebelle. Je me suis demandé
alors pourquoi Zinaïda avait quitté son pays en 1919. Enfin, j’ai découvert
avec stupéfaction que l’on pouvait, il y a cent ans, fonder une nouvelle
Eglise, avec quelques âmes-soeurs enthousiasmées par la perspective d’une
nouvelle Jérusalem.
En s’appuyant sur des documents
incontestables, Anne Hogenhuis fait œuvre de psychologue dans ce récit biographique. Malgré la discrétion constante de son héroïne sur son intimité
dans son Journal, elle reconstitue
minutieusement l’itinéraire d’une femme anti-conformiste, poétesse reconnue dès
1904, critique littéraire dénicheuse de talents, formant avec son époux un
couple à la mode dans l’intelligentsia pétersbourgeoise. Ce qui a intrigué et
choqué les contemporains de Zinaïda, on le trouve exposé dans le chapitre
intitulé “Le Genre” . Pour Anne Hogenhuis, elle est UN poète. Autant dire que
sa vision du monde, la façon dont elle sublime ses amours, révèlent un esprit
masculin. Anne Hogenhuis formule à ce sujet une hypothèse qui, loin de réduire
la question du genre à la sexualité,
envisage la totalité de l’être humain étudié ici. C’est un des aspects
remarquables de son récit.
Mais ce que j’ai le plus admiré,
c’est la façon dont l’auteure fait vivre
au lecteur l’effervescence révolutionnaire à laquelle Zinaïda fait plus que
participer : elle en est l’âme par ses écrits qui témoignent d’un projet
de société qu’elle a conçu comme le résultat de la fusion du masculin et du
féminin dans l’amour. La déception sera immense lorsqu’elle verra se succéder
les trahisons. Je ne crois pas qu’elle vivait , comme son mari, dans un monde
d’idées : en effet, j’ai lu avec intérêt que, habitant en face du Palais
de Tauride, elle accueillait chez elle pour une pause réconfortante les députés
épuisés par les débats de la Douma. Grâce à cette minutieuse et jamais pesante
reconstitution des moments-clés de la Révolution Russe, Anne Hogenhuis nous
permet de comprendre ce que nous avions eu tant de mal à nous représenter en
lisant Le Docteur Jivago de Boris
Pasternak. Pour utiliser une comparaison, nous étions comme Fabrice à Waterloo,
mais désormais, nous voyons tout le champ de bataille.
Claude Hecham
NOUVELLES DE L’ASSOCIATION
Deuil
L'AEFM
adresse à Daniela Fabiani, ancienne
Présidente de l’Association et à ses proches, ses sincères condoléances pour la
perte de son époux, Alfio Canesin.
Tous ceux qui l'ont connu lors de colloques ou de voyages ont apprécié sa
compagnie, si communicative, et son amical intérêt pour les activités de
l'Association. Nous nous associons au deuil de Daniela et nous partageons son
chagrin.
Salon
Écritures & Spiritualités 2017
Un
joli Salon, réussi, dans le cadre prestigieux de la Mairie du VIe
arrondissement de Paris. Bravant fraîcheur et giboulées, un flux régulier de
visiteurs a sillonné les stands tout l’après-midi, entretenant une
effervescence et une animation continues, surtout dans la salle principale où
siégeaient les auteurs dont certains, bien connus, monopolisaient l’attention
du public. D’autres attiraient le chaland en montrant leur dextérité en
calligraphie hébraïque ou en enluminure arabe. Leur performance artistique
plaidait en faveur de leurs ouvrages. Voir comment matériellement on réalise un
livre de A jusqu’à Z est fascinant.
Hélas,
pour notre propre stand, les Associations, séparées des auteurs, se trouvaient
isolées côté vestiaire et bar, à l’opposé des caisses tenues par la Procure où
les acheteurs faisaient la queue avant de quitter les lieux. Les tables des
trois Associations présentes : Les Amis de Teilhard de Chardin, L’Amitié
Charles Péguy et L’AEFM Association François Mauriac, cette dernière
représentée par Anne Hogenhuis et moi-même, ont été moins favorisées. Il fallait
nous apercevoir ou nous chercher pour nous rencontrer. Ce que bien des gens ont
fait, d’ailleurs, peut-être par acquit de conscience ou peut-être par curiosité
réelle. Comme dans les expositions, on jette un coup d’œil et on passe. Saisir
au passage un interlocuteur, engager la conversation est tout un art auquel
nous nous sommes essayées. Le tact, la disponibilité, la sympathie
conditionnent la réussite et le dialogue.
Mauriac
suscite encore de l’intérêt, mais les recueils d’actes de Colloques ne tentent
guère le lecteur. On reconnaît Makine, Sylvie Germain, on encense Cheng, on
feuillette un volume, indépendamment du prix, simplement pour regarder. Ce
n’est déjà pas si mal quand même ! L’effet vitrine a pu jouer.
De
plus, parmi tous les regardants, nous avons rencontré au moins quatre vrais
amis de la Littérature : une étudiante cherchant des poèmes de Mauriac à qui
j’ai cédé mon exemplaire Les Mains
jointes et autres poèmes de F. Mauriac, petite édition critique publiée par
Paul Cooke en 2005 à l’Université d’Exeter. Une dame souhaitant adhérer à notre
Association m’a laissé son adresse. Une jeune éditrice s’intéressant à
l’édition de nos actes m’a donné sa carte. J’ai aussi en arrivant rencontré
Claire Daudin, Présidente de l’Association L’Amitié
Charles Péguy, entendue sur les ondes en 2016 lors d’une conférence de
Carême sur la Culture qu’elle avait prononcée dans la cathédrale Notre-Dame de
Paris. Elle m’avait fortement impressionnée.
Pas
plus que mon époux ou Anne Hogenhuis qui m’accompagnaient, tous deux
littéraires, nous ne nous sommes ennuyés. Ils ont, eux aussi trouvé des
interlocuteurs appropriés. On peut donc conclure que pour la visibilité, la
présence de notre Association, l’AEFM François Mauriac, n’a pas été vaine dans
ce Salon.
Françoise
Hanus
Intervoix 37
Le prochain numéro d’Intervoix qui fera suite au colloque de Bordeaux sera inspiré
par tout ce que nous allons y vivre : réactions, rencontres, événements,
souvenirs, réflexion sur les lieux peut-être…
Je reprends à l’occasion des 20 ans de notre bulletin un
précepte fondateur, discuté dans une réunion de comité dont Margaret Parry se
faisait l’écho dans l’Editorial du n°4 de juin 1999. Entre les extrêmes :
revue à ambition littéraire et simple bulletin amical, Intervoix « répondrait à l’un et à l’autre de ces deux buts, avec
ce point commun aux deux, que la notion de qualité primerait tout . »
Les rédacteurs ainsi que les auteurs devraient y veiller. L’accent était
également mis sur l’unité du bulletin : « assurer un bulletin qui soit cohérent, stimulant, agréable à lire, et
qui évite les longueurs et les lourdeurs. » Je ne sais pas si
nous sommes bien dans la ligne de ces recommandations initiales.
Dans mes relectures des bulletins précédents ou plus
anciens, ni les excès, ni les incohérences ne m’ont frappée. La plupart du
temps, c’est l’exigence envers soi-même, l’humilité et le respect des uns et
des autres qui transparaissent. Ceux qui prennent la plume s’investissent
vraiment avec l’idée « de penser juste et parler droit », ou
l’inverse, « penser droit et parler juste », comme nous disait mon
père, ennemi du bavardage. Ils ont quelque chose à dire : témoigner,
partager, s’exprimer, communiquer dans un espace ouvert et bienveillant.
Quant à la cohérence, elle est soumise à la cadence
des deux bulletins annuels qui paraissent : l’un prépare une rencontre et
l’autre en fait le compte-rendu. Le choix des thèmes, des auteurs et des lieux
de rencontre conditionnent un contenu culturel, géographique voire historique…
qui évite à la fois la monotonie et une dispersion trop grande des articles. Il
y aurait matière à réflexion sur cette. question. Le débat est ouvert. Nous
attendons des avis et suggestions.
Les prochains articles sont à envoyer à Marie Louise
Scheidhauer :
marie-louise.scheidhauer@laposte.net Françoise.Hanus
1er avril 2017
P.S. Je ne dis pas « POISSON D’AVRIL »,
mais HEUREUX PRINTEMPS à tous
et JOYEUSES PÂQUES
Merci à Galyna pour ces vers de SEMENKO
à nous offerts ici
Mon cœur désire des fleurs imaginaires
Mon orage c’est la couleur des aubes
BON ANNIVERSAIRE POUR LES 30 ANS DE L’AEFM
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