Intervoix 43

 Editorial

Le rayonnement de la culture.

Je viens de visiter l’exposition Leonard de Vinci au Louvre, à Paris. Leonard, génie universel, a cherché à dire ce qui habite l’homme intérieur, il n’a pas achevé ses œuvres, laissant toujours en devenir ce qu’il était en train d’élaborer comme pour signifier un au-delà de la création, comme une invitation adressée à lui-même mais aussi au « regardeur » de continuer à creuser le mystère de la vie.

C’est peut-être la vocation de toute œuvre que cet appel à recréer indéfiniment. L’interprétation picturale, littéraire, musicale est donc une recréation. C’est pourquoi ce bulletin peut se placer sous le signe du rayonnement de François Mauriac.
Des pages entières, de la main de Galyna Dranenko, y sont consacrées à la traduction des 
livres de Mauriac en Russie et en Ukraine. Et on ne peut qu’être étonné de constater que cet écrivain qui, en France, a parfois été taxé de « régionaliste » ait connu et connaisse un tel succès à l’étranger. Bien plus, un colloque s’est tenu à Moscou, en octobre dernier, un « colloque international Mauriac ». Dans sa présentation, je relève la phrase suivante : « Et bien qu’il (Mauriac) ne fut pas un grand voyageur, son intérêt pour l’autre, pour l’étranger, pour celui qui est d’un autre pays, d’une autre contrée, d’une autre langue, ne s’est jamais démenti. » Nina Nazarova et Angelo Canale ont participé à ce colloque.

Nous sommes une association européenne. On peut dire que François Mauriac a été un visionnaire quand il a souligné : « la nécessité de s’agréger, de se fédérer, nécessité inéluctable dans cet univers exténué où d’autres géants...essayent de délimiter leur zone d’influence... ». Je cite ici Mauriac, à la suite d’Elisa Bricco, (qui a participé à l’un ou l’autre de nos colloques) qui annonçait, il y a quelques années, sur fabula, un colloque à Gênes, sur « L’idée d’Europe chez les écrivains français du 20ème siècle ».

Et c’est ainsi que, prenant notre bâton de pèlerin, nous parcourons l’Europe depuis plus de trente ans, allant de l’Irlande en Ukraine et au Liban, de Tallinn à Madrid. Fin avril, nous nous rendrons en Hongrie, «ce pays aux confins de l’Orient». Ne manquez pas de lire la présentation historique que nous en fait Liliane Barakat. Helga Zsak nous guide déjà à travers « la perle » de l’Europe, Budapest. Chacune a à cœur de souligner combien de grands savants,de célèbres musiciens, de grands écrivains sont issus de ce pays d’Europe centrale. Combien la splendeur de la capitale reflète une culture exceptionnelle, celle justement qu’elle nous propose en partage.

Traversée par le Danube, la ville a suggéré l’intitulé de la journée d’étude, sur le fleuve, l’eau, qui peut, soit séparer, soit alimenter. Les résumés des communications figurent dans le bulletin.
Les comptes rendus du livre de Christiane Roederer nous emmènent en Bosnie-Herzégovine, 
dans un paradis d’un autre temps, bouleversé par la guerre de Yougoslavie, vécue au sein d’une famille, celle de l’héroïne Ema. Christiane Roederer a trouvé une écriture unique, un style, fruit du chemin que la narratrice a parcouru pour aller au plus intime de l’autre, celui de son langage, de ses chants, de son idiome. Poésie de la rencontre.

La propriété des Landes de Saint Symphorien était parcourue par une rivière, la Hure, dont François Mauriac n’a cessé de chercher la source sans jamais la trouver et sans jamais cesser d’en remonter le cours. Ne rejoignons-nous pas la quête de Leonard qui n’a jamais cessé de retravailler ses tableaux à la recherche de la naissance, de la source de vie ? N’est-ce pas un appel aux lecteurs à se mettre en route ?

A bientôt donc sur notre chemin commun. 2

Marie Louise Scheidhauer

Lettre de François Cheng ou L’un vers l’autre

page3image10810160

rencontre François Cheng). C’est aussi à travers ces cercles que s’élargit notre propre monde. Exemple du rayonnement d’une culture, de sa propagation par cercles successifs comme se multiplient les ondes autour d’une pierre jetée dans l’eau. Ce n’est pas une question de temps. C’est une question d’espace.

« Transformer le temps vécu en espace vivant, voilà le rêve taoïste »
« 
En effet, l’intégration d’un espace extérieur de qualité n’est autre que la projection spatiale de soi. »

Extraits de L’un vers l’autre, François Cheng, Albin Michel, 2008

L’un vers l’autre, ouvrage que Monique Grandjean a présenté lors du colloque de Strasbourg. L’un vers l’autre, un de nos objectifs.
Bel horizon en des temps désolés où un chacun guette une lumière au loin.

Marie Louise Scheidhauer

3

La lettre de François Cheng m’est parvenue comme une divine surprise en septembre 2019. Elle a été lue lors de la réunion du bureau en novembre dernier. Les membres présents se sont interrogés. Qu’est-ce qui pouvait expliquer l’arrivée de cette lettre, tant d’années après le colloque consacré au poète chinois? Michael Edward, autre poète de l’Académie française, a été introduit par François Cheng. Toby Garfitt a consacré sa communication de Madrid à ce grand poète qui écrit en français alors que sa langue maternelle est l’anglais. Magnifique exemple d’errance entre deux langues comme l’est celle de François Cheng, évoquée par Claude Tuduri, lors du même colloque. Et de faire l’hypothèse que dans l’entourage de François Cheng, il arrive qu’on évoque des rencontres d’amis communs, de fervents lecteurs (Toby Garfitt rencontre Michael Edward, Claude Tuduri

Notre prochaine rencontre à Budapest

LA HONGRIE :
Un pays entre l’Occident et l’Orient

« L’Orient commence aux portes de Vienne », disait Metternich en parlant de la Hongrie.

La Hongrie est un petit pays de 93 030 km2, enclavé en Europe centrale, sans accès à la mer, qui ouvre la porte vers un monde de saveurs et de traditions colorées et populaires. Elle a des frontières communes avec l’Autriche, la Slovénie, la Croatie, la Serbie, la Roumanie, l’Ukraine et la Slovaquie.

Fig. 1- La Hongrie et les pays frontaliers Source : Atlas de l’Europe

D’un point du vue géographique, 70 % de la superficie de la Hongrie est constitué de plaines et le reste du pays consiste en des monts de petite altitude dont seulement 2 % dépassent les 400 m. Le point culminant du pays est le Kékes (1 014 mètres).

Le Danube, principal fleuve du pays, le traverse de part en part. Le lac Balaton, surnommé « la mer intérieure hongroise » est le plus grand d’Europe (596 km2) et constitue une destination réputée pour les touristes et les curistes.

page4image10792736

4

page5image10990176

Fig. 2- Topographie de la Hongrie. Source : Cartographie.fr.

L’histoire de la Hongrie est millénaire.

Au Ier siècle, les Romains occupent la rive occidentale du Danube et créent la province de Pannonie. Ils en sont chassés en 271 par les Ostrogoths. À partir du Xème siècle, l’histoire de la Hongrie se confond pour une large part avec les Magyars, un peuple nomade venu du centre-nord de la Russie actuelle.

En l'an 1000, le roi Étienne fonde, avec l'approbation de l'église catholique, le Royaume de Hongrie. Le papa Sylvestre II lui accorde le titre de Majesté apostolique qui demeura attaché à celui de roi de Hongrie. Il est de nos jours encore vénéré comme un saint et sa main droite est conservée comme relique dans la Basilique Saint-Étienne de Budapest. Ses descendants firent de la Hongrie un pays fort prospère qui allait attirer la convoitise de l’empire ottoman en pleine expansion.

Au XVIème siècle, le royaume hongrois se divise : le nord et l’ouest de la Hongrie reconnaissent les Habsbourg d’Autriche comme rois tandis que le centre et le sud sont dominés par les Ottomans. En 1683, la défaite des Ottomans face aux murs de Vienne marquera la limite de l’avancée ottomane en Europe et la libération de la Hongrie en 1699.

Pour saluer cette victoire, les boulangers de Vienne ont confectionné des pâtisseries briochées en forme de croissant de lune1. C’est ainsi qu’est né le croissant que l’on appelle aussi viennoiserie. Quant à la Hongrie, l’occupation ottomane lui aura laissé le goût du café, des roses et la culture du hammam.

Du XVIIau XIXsiècle, l'Autriche s'empare peu à peu du territoire hongrois, jusqu'à former en 1867, l'empire d'Autriche-Hongrie malgré la résistance des Hongrois. En 1872, les villes de Buda et Obuda sont réunies sous le nom de Budapest. À cette période le pays connaît un développement économique et technologique rapide.

L’éclatement de l'empire austro-hongrois est catastrophique pour la Hongrie qui perd les deux tiers de son territoire et 60 % de sa population au profit de la Slovaquie, Roumanie, Yougoslavie et de l’Autriche2.
Pendant la seconde guerre mondiale, la Hongrie se range aux côtés d'Hitler. En 1944, le pays est 
occupé par les troupes allemandes puis libéré en 1945 par l’Armée soviétique. En 1948, elle devient

Le croissant de lune : emblème du drapeau turc Traité de Trianon en 1920.
5

page5image4553344

une république populaire jusqu'en 1991, où sera fondée la République de Hongrie, son état actuel. Le 1er janvier 2012, est proclamée par l'Assemblée nationale la Loi fondamentale de la Hongrie, comme nouveau texte constitutionnel de la Hongrie.
L’histoire et la situation, géographique de la Hongrie ont forgé un peuple d’une richesse unique. La Hongrie compte en 2020, 11 015 000 habitants dont 90% s’expriment en une langue qui n’est pas indo-européenne mais ouralique, dont l’origine se situe entre la Volga et l’Oural3.

La Hongrie est traditionnellement un pays catholique (2 habitants sur trois) avec des minorités protestantes, orthodoxes et juives.
La Hongrie est sans conteste l'un des pays les plus animés d'Europe Centrale avec ses stations thermales, ses vignobles, ses forêts verdoyantes et parcs naturels sans oublier les musiques et festivals populaires

BUDAPEST, la « Perle du Danube »

Située à 214 km de Vienne et à 161 km de Bratislava4, la capitale hongroise est considérée comme une des plus belles villes d’Europe. Elle est plurielle, à l’image de ses façades éclectiques (baroques, néoclassiques et Art nouveau), impériale du côté de Buda, moderne du côté de Pest.

Son panorama, le quartier du château de Buda, l’avenue Andràssy et le métropolitain du Millénaire figurent au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le Parlement hongrois inauguré au début du XXème siècle, sur la rive orientale du Danube, est avec ses 18 000 m2 organisés autour du dôme central, un des plus grands d’Europe.

Fig.3- Le Parlement hongrois Source : Pixabay

Plus grande ville du pays, (1 702 297 habitants), Budapest est le centre politique, culturel, commercial et industriel. La capitale est coupée en deux par le Danube. Le pont des chaînes du

10 % parlement le Romani, langue des Tsiganes. Capitale de la Slovaquie
6

page6image10992464 page6image4620480

XIXème siècle, relie le district vallonné de Buda au district plat de Pest. Un funiculaire rejoint le quartier du château à la vieille ville de Buda, où le musée historique retrace l'histoire de la ville de l'époque romaine à nos jours.Il existe plus de 1000 sources d’eaux chaudes en Hongrie, à Budapest on en dénombre plus d’une centaine. La culture des thermes et des bains de la capitale fut d’abord mise en valeur par les Romains et leur célèbre «in balneis salus»5. Au cours des 150 ansd’occupation, les Ottomans firent construire les plus beaux bains thermaux. Aujourd’hui encore, les bains font partie de la tradition et culture de la vie hongroise pour leurs vertus médicales et relaxantes et surtout parce qu’ils sont un lieu de rencontre en famille, entre amis et pour affaires. Les plus grands bains de Budapest sont les Thermes Széchenyi, situés à Pest, inaugurés en 1913 dans un style néo-renaissance. Et les Bains Gellert inaugurés en 1918, situés à Buda et adossés au Grand Hôtel Gellert et ses sources minérales chaudes.

Fig.4 : Les Thermes de Széchenyi

Sources : Budapest-bons-plans.fr

Véritable joyau architectural, Budapest a même été surnommée « le Paris de l’Europe » parce que les deux villes ont plusieurs points en commun : les brasseries, les théâtres, les musées, les boîtes de nuit, sans compter les larges boulevards, les places en tout genre et les rues étroites. Il faut passer une soirée dans un des cafés « ruines », installés dans d’anciens immeubles ou bâtiments industriels à l’abandon ; ils sont devenus la coqueluche des jeunes créatifs. Ils fonctionnent généralement comme des centres culturels proposant expos, concerts, espaces de restauration et quelquefois des ciné-clubs.

En visitant Budapest tous nos sens sont à la fête.

Liliane Barakat (Liban)

« la santé est dans les bains » 7

page7image10871952 page7image4604288

Budapest
Une visite avec Helga

La capitale hongroise a été maintes fois inscrite dans le livre des records. Elle a donné naissance à d’illustres célébrités, de nombreux médecins, comme Ignace Semmelweis au XIXème siècle, puis Albert Szent-Györgyi, l’inventeur de la vitamine C, de physiciens et de mathématiciens ayant obtenu le prix Nobel aux USA, (le médecin Békésy György, Ede Teller, Jenő Wigner, physicien János Neumann, pionnier de l’informatique,) Tivadar Puskás qui a fait installer le premier centre téléphonique à Budapest et Paris etc..). Elle compte parmi ses habitants l’inventeur de la locomotive électrique Kálmán Kandó, ou un inventeur des allumettes, János Irinyi. Et il ne faut pas oublier l’inventeur du stylo bille Laszló Biró et celui du Rubik’ s cube Ernő Rubik. Le politicien hongrois Lajos Kossuth, contraint à l’émigration après la défaite du mouvement d’indépendance de Budapest de 1848, a toujours sa statue au sénat américain. Le premier métro du continent a été construit ici en 1896, de nombreux cinéastes et réalisateurs de Hollywood, de Michael Curtiz (Kertész Mihaly) à Alexandre Korda (Korda Sándor) sont nés ici.

Les compositeurs hongrois célèbres, de François Liszt à Béla Bartok et Zoltán Kodály ont également vécu ici, et crée, fondé des institutions. Le peintre Munkácsy, ayant élu résidence à Paris avait vécu dans la capitale hongroise auparavent. Le chimiste éminent György Olah, qui a également reçu le prix Nobel en 1994, est également né ici ainsi que le prix Nobel de littérature Imre Kertész.

Pour ajouter d’autres superlatifs dans le livre des records de la ville, ajoutons l’impressionnante collection de la Bibliothèque Universitaire, la plus grande synagogue d’Europe centrale, les centaines de sources thermales et médicinales qui jaillissent sous sa surface.

La partie la plus ancienne de Budapest se trouve vers le Nord, où d’importantes ruines romaines attestent de la présence de colonies, dont la capitale est appelée Aquincum. Les vestiges d’un amphithéâtre sont également visibles.

Sur la colline du château se dresse le palais royal de Buda, et le quartier historique, site classé au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Les origines du château remontent au XIII ème siècle, le roi Béla IV a commencé sa construction, et de nombreuses maisons de la vieille ville datent de cette époque et portent des traces de l’époque romane. Le château a été agrandi en style gothique au siècle suivant, puis le roi Matthias Corvin, qui a été l’initiateur de la Renaissance en Hongrie, l’a paré de motifs du XV ème siècle.

L’invasion turque marque l’occupation du château jusqu’en 1686, date de sa reprise par Eugène de Savoie. Sous le règne des Habsbourg commence la période baroque de l’édifice. Le Palais Royal a été détruit pendant la Seconde Guerre Mondiale, et depuis sa rénovation elle est devenue un centre culturel abritant des Musées, comme la Galerie Nationale exposant des oeuvres de peintres hongrois, comme Mihály Munkácsy, József Rippl-Rónai, Csontváry, Pál Szinyei-Merse, etc... le musée historique, ou le musée archéologique ainsi que des expositions temporaires.

L’une des plus belles églises du pays de style néogothique se trouve également dans la vieille ville, l’église Notre-Dame, dénommée aussi église Matthias, appelée ainsi car ce célèbre roi y a fait célébrer ses deux mariages. Après l’occupation turque elle a dû être rénovée, le prince Pál Esterházy a fait construire un nouvel autel en 1690. Face à l’église se dresse le bastion des pêcheurs, construit par Frigyes Schulek en 1905, en hommage à la confrérie des pêcheurs qui devaient défendre cette section des remparts.

Si on prend le funiculaire pour descendre vers le Danube on arrive au Pont des Chaînes ou pont Széchenyi, le premier pont permanent entre les deux rives de la ville, inauguré en 1849. Depuis 1918 il porte le nom du comte Széchényi, à qui l'idée de sa construction vint en 1820. En arrivant de l’autre côté du fleuve, on aperçoit le bâtiment de l’Académie des Sciences, également fondée par le comte. Derrière, la Basilique de J. Hild.

8

En continuant son chemin vers l’avenue Andrássy, site également classé au patrimoine mondial de l’Unesco, on aperçevra bientôt l’Opera construit par Miklós Ybl. L'Opéra de Budapest, construit en 1884 sur le modèle de celui de Vienne, est de style néo-Renaissance italienne, avec marbre et dorure. A l'extérieur, au deuxième étage, on peut distinguer les statues de seize grands compositeurs européens. Mahler et Toscanini y ont donné des concerts. Les fresques sont de K. Lotz. Sa façade se remarque de loin dans l'avenue Andrassy, rue très commerçante et active, bordée de magnifiques bâtiments construits fin XIX ème. Ici se trouve aussi, entre autres, la maison de Ferenc Liszt, toujours pleine de touristes, et sur la place Liszt, L’Académie de musique qu’il a fondée. Au bout de l’avenue Andrássy se trouve la place des Héros.

Opéra de Budapest par Ybl Miklós.

La Pace des Héros de Budapest est située au bout de la grande avenue Andrassy, elle fut érigée, en 1896, pour commémorer le millième anniversaire de la conquête du pays par les Magyars. A gauche de la place se trouve le musée des BeauxArts, avec de belles collections de peintures espagnoles, italiennes, flamandes, impressionnistes, à droite un édifice accueillant des collections temporaires. Derrière s’étendent le Bois de Ville, avec la plus belle patinoire d’Europe, avec vue sur le château Vajdahunyad, reconstruction d’un château de Transylvanie, le zoo, les bains Széchényi, et les parcs à l’anglaise.

En revenant vers le Danube dont les berges sont également classées au site du Patrimoine mondial, on trouve un bâtiment prodigieux, le Parlement. Le Parlement de Budapest, surplombant le Danuble de sa silhouette blanche aux styles byzantins et néogothiques, est devenu une pièce phare de la ville. Terminé en 1902, sur les plans d’Imre Steindl après 17 ans de construction, il abrite aujourd'hui, l'Assemblée Nationale et la couronne royale, parée de la patine de 1000 ans d’histoire. Si le décor intérieur vaut le détour, avec ses salles spacieuses, ses fresques,

vitraux, sculptures, et tableaux, sa façade extérieure en calcaire offre une belle vue.

Plus au sud sur le côté Pest, se trouve le marché couvert. Construite en 1900, toute de métal et de brique, cette grande halle couverte permet de se restaurer, de faire le plein de vitamines et d'acheter des produits souvenirs typiques, comme le paprika, l'unicum ou encore l’eau de vie d'abricot ou de prune. Des spécialités gastronomiques, des magnifiques fruits et légumes arrivant des campagnes aux objets tels que les échecs, le marché est une étape pittoresque de deux étages entiers remplie de souvenirs. A quelques stations du marché couvert, on peut visiter le musée des Arts Décoratifs, créé par Ödön Lechner, en style Art Nouveau.

A Buda, sur le mont Gellértse trouve la Citadelle et son belvédère. La forteresse a été bâtie en 1854 par les Autrichiens, le plus en hauteur possible, afin de mieux surveiller les Hongrois. L’autre point de vue est sur le mont János, point culminant de la ville (508 m).

Budapest est aussi réputée pour ses bains célèbres, comme les bains Rudas, datant de l’époque romaine, les bains Gellért en style sécession, juste au pied de la colline, ou les bains Széchényi, de la fin du XIX ème siècle. Découvertes par les romains, ces sources thermales sont devenues de plus en plus populaires après l'arrivée des Turcs, qui y ont construit certains beaux bains. Efficaces pour les rhumatisants et les personnes souffrant d’arthrose ainsi que de douleurs musculaires, ces sources naturelles sont aussi relaxantes et attirent les touristes depuis le XIXème siècle, avec leur architecture de style art nouveau et leurs nombreux bassins élégants.

Helga Zsak (Hongrie)


Rencontre de Budapest

30 avril -04 mai 2020

reportée en Novembre(6 au 10 si les circonstances le permettent)

Journée d’étude

Frontières et ponts littéraires

« La littérature est un fleuve. » Geneviève Brisac

Les fleuves traversent le continent, unissent et désunissent. Le Danube formait déjà le limes de l’Empire Romain. Les rivières font des frontières et en même temps ces frontières sont floues comme l’eau qui les forme, ce qui est brillamment étayé dans l’œuvre de Claudio Magris.

Berceaux des civilisations, liens entre les peuples, les cours d’eau sont à la fois véhicules de rêves et d’angoisses, avant d'être des symboles du temps qui passe, de l'alpha et de l’omega de la vie. L’eau est polymorphe et polyvalente, chargée de toute une symbolique collective et individuelle, comme les romans de Michel Houellebecq en témoignent. Par sa nature mouvante et changeante, souvent imprévisible, elle apparaît bien comme l’image du temps, impossible à appréhender dans sa totalité.

Elle peut représenter une frontière entre totalitarisme et liberté, comme le prouve le personnage de György Dragomán dans Le Roi blanc, qui traverse le Danube pour s’échapper. Les ponts construits sur les cours d’eau constituent des amarres géographiques, reliant l’Orient et l’Occident, nom éponyme de la revue littéraire hongroise du début du XXè siècle (avec Karinthy, Kosztolányi, Babits), autant qu’ historiques, à l’instar des coutumesancestrales qui figurent dans les chefs-d’œuvre de Péter Eszterházy, dans Une école à la frontière de Géza Ottlik, dans les romans de Magda Szabó ( de même, la mémoire rattache les exilés à leur pays dans les œuvres de Sándor Márai ou d’Agota Kristóf)

Liste des auteurs hongrois

Endre Ady
Mihály Babits
Péter Eszterházy
György Faludy
Géza Hegedüs
Anna Jókai
Attila József
Sándor Kányádi
Frigyes Karinthy
Imre Kertész (Prix Nobel)

Dezső Kosztolányi Gyula Krúdy Sándor Márai Miklós Mészöly Péter Nádas István Örkény Géza Ottlik

János Pilinszky Miklós Radnóti György Spiró Magda Szabó

14

Résumés des communications

La littérature hongroise

Les Magyars possédaient une culture païenne florissante qui intègrera des thèmes occidentaux après leur conversion au Xème siècle. Au cours du XVème siècle, des érudits et artistes italiens promeuvent la Renaissance en Hongrie. À partir du XVIIIème siècle, le pays est touché par le libéralisme économique européen et les grands auteurs du siècle des Lumières. La littérature, la peinture, la musique... connaissent un relatif développement maisqui reste méconnues à l’extérieur de ses frontières.

La littérature magyare céda la place au latin à la suite de l’établissement du christianisme en Hongrie. En 1526, l’empereur Ferdinand 1er s’engage à respecter la langue et la nationalité des Magyars. Pour instruire le peuple dans sa propre langue, toute une série d’auteurs écrivent les « Chroniques hongroises », publient plusieurs grammaires et dictionnaires, ou composent des chants destinés aux héros nationaux, à leurs exploits.

Mais ce mouvement littéraire, si vigoureux, fut étouffé dans son développement au XVIIIème siècle, par les princes autrichiens pour qui, la langue nationale était source d’hérésies et de révoltes et qui imposèrent le latin. L’empereur Joseph II (1741-1790), voulut abolir la Constitution hongroise et imposer l’allemand comme langue des affaires. En réaction, Mathieu Ràth publia en 1781, le premier journal en langue hongroise. À la mort de l’empereur, la Diète hongroise rendit l’étude du hongrois obligatoire dans les écoles et son emploi dans tous les actes publics, politiques et judiciaires.

À la fin du XVIIIème siècle, des revues littéraires sont fondées, des théâtres ouvrent leurs portes. Émergence de courants poétiques (Joseph Rajinis, Gabriel Dayka, Viraàg...), des romanciers (Baron Josika, Kuthy, Tompa...), auteurs dramatiques (Coetvoes, Obernyik, Gàl...). L’époque romantique ou « ère des réformes » culmine dans la première moitié du XIXème siècle avec les poèmes révolutionnaires de Sàndor Petöfi ou les odes optimistes de Mihäly Vörösmarty. Un autre grand poète classique est Jànos Arany qui acquiert la célébrité » dès 1846 grâce à son épopée Toldi, héros de légende populaire.

Les plus importantes œuvres en prose voient le jour dans la seconde moitié du XIXème siècle, avec Mor Jokal, ami de Petofi et auteur d’une centaine de romans d’aventures dont les héros rendent hommage à certaines figures éminentes de l’ère des réformes. Au tournant du siècle, Kàlman Mikszàth décrit, dans un style anecdotique et absurde, le village hongrois, les petites villes, la vie bourgeoisie.

Entre le développement de la poésie et la prose narrative, le théâtre hongrois, trop grave, trop dramatique, philosophique, ne joue qu’un rôle secondaire.

Au tournant du siècle, l’âge d’or de la littérature hongroise se cristallise autour de la revue Nyugatqui regroupe les meilleurs auteurs. Parmi eux, il faut citer les poètes Endre Ady 1877- 19), Mihàly Babiths (1883-1941), les romanciers Dezsö Kosztolàny (1885-1936) , Gyula Krùdy (1878-1933) et Milan Füst (1888-1967).

page15image4324160

La Revue Nyugat est fondée en 908 et disparaît en 1941.

15

La première guerre mondiale sonne le crépuscule de la revue et arrive une nouvelle génération de littéraires dont Sàndor Màrai (1900-1989), Géza Ottlik (1912-1990), Attila Jozsef (1905-1937)...

La seconde guerre mondiale a décimé la talentueuse deuxième génération. Le nouveau pouvoir communiste s’efforce de marginaliser les auteurs et apolitiques non engagés. La revue Ujhold (Nouvelle lune) tente de continuer ; ses auteurs sont le poète chrétien humaniste Jànos Pilinszky (1922-1982), la poète et essayiste Agnes Nemes-Nagy (1922-1991), le patriarche de la poésie transylvaine, Sàndor Kànyàdi (né en 1929), la romancière Magda Szabo (1917-2007)...

Dans les années 1950, plusieurs écrivains se démarquent du réalisme socialiste imposé par le pouvoir tels Tibor Déry (1894-1977), Ivàn Màndy (1918-1995), Endre Fejes (né en 1923) qui relatent la misère de la société hongroise et les aspects absurdes du pouvoir. Pour échapper à sa surveillance certains auteurs invente la parabole à travers le roman allusif : Miklos Mészöly dans « Saül ou la porte des brebis ».

Au milieu des années 1970, le monde littéraire hongrois renouvelle le langage en s’opposant ouvertement au régime : le poète György Petri (1943-2000), György Konräd (né en 1933) et le prix Nobel de littérature en 2002, Imre Kertész (né en 1929).

Actuellement, le Président Viktor Orban, partant du principe que , l’Etat finançant des Institutions, il est donc normal qu’il supervise leur fonctionnement. Plusieurs actions et une loi sur la culture votée en décembre 2019 au Parlement, démontrent clairement qu’Orban cherche à museler la liberté d’expression et à placer les artistes, écrivains, réalisateurs, théâtres, éditeurs sous tutelle. Plusieurs milliers de Budapestois et des Hongrois descendent à chaque fois, dans la rue pour protester.

Liliane Barakat (Liban)

Quelques notes de lecture sur l’œuvre : Le miracle de San Gennaro de Sandor Marai

Exilé de Hongrie de 1948 jusqu'à sa mort en 1989, Sándor Márai a séjourné en Italie à deux reprises, d’abord à Naples, puis à Salerne. Au cours de ces séjours, il a pu comprendre en profondeur la réalité de la Naples de l'après-guerre, qu’il a magnifiquement représentée dans l'œuvre Le miracle de San Gennaro.

Bien quen exil, cet auteur hongrois a continué à écrire ses œuvres dans sa langue maternelle. Il voulait en effet préserver autant que possible son identité culturelle, et Le miracle de San Gennaro a apporté à la littérature magyare la connaissance d'une réalité méditerranéenne différente de celle de l'Europe centrale.

Dans cet ouvrage, Márai traite de sujets intellectuellement très stimulants, allant de la réflexion sur la condition de l'exil, à la position des intellectuels face au totalitarisme, sans oublier la spiritualité et son lien avec le miracle. Nous parlerons ici brièvement de sa relation avec l'Italie, et plus particulièrement avec les villes de Naples et d'Assise, et nous soulignerons comment, grâce à sa très grande sensibilité, il a su démontrer que la littérature peut créer des ponts entre différentes réalités culturelles.

Bruno Capitanucci Italie

16

Histoire tracée dans la farine (Le Bûcher de György Dragomán)

Dans son roman Le Bûcher (2014, trad. du hongrois par Joëlle Dufeuilly,Paris, Gallimard, 2018, 528 p.), György Dragomán jette un pont entre les destins douloureux des pays de l’Europe de l’Est au XXe siècle et les histoires vécues par des gens ordinaires qui subissent ces bouleversements historiques qui les déterritorialisent, dans tous les sens que ce mot peut prendre. En l’occurrence, nous est présentée la vie de deux femmes, de deux Emma, une grand-mère et sa petite fille. Ses héroïnes sont nées et ont vécu en Roumanie, tout en appartenant à la minorité magyarophone (hongroise) de ce pays, comme c’est le cas aussi pour György Dragomán,. En effet, l’auteur, quant à lui, émigre en Hongrie (1988) où il entame des carrières universitaire (doctorat en littérature britannique) et littéraire (écrivain et traducteur de l’anglais), et devient ainsi un important homme de lettres hongrois. On peut dire que le « pont » constitue la basse thématique de Le Bûcher, son ostinato, car il relie non seulement l’Histoire et l’histoire, la Roumanie et la Hongrie, mais aussi deux générations de femmes. On y lit surtout le récit des tentatives renouvelées de surmonter l’indicible et de renouer les liens rompus à la suite de drames familiaux qui ont fait irruption dans la vie de ces deux femmes à la suite des multiples conflits et tragédies historiques (la Shoa, la dictature, les épurations post-communistes, etc.) qu’a connus cette région. Emma-l’adolescente, la narratrice du roman, rencontre Emma-la-grand-mère après la disparition tragique de ses parents. La jeune fille va habiter chez elle dans une maison emplie de non-dits, de parole amputée et de mémoire empêchée. Tout l’art de l’écrivain consiste à nous montrer et à ressentir empathiquement comment ces deux femmes, demeurant sur deux rives opposées de la vie, apprennent progressivement à se connaître, à communiquer, à se comprendre et à être solides et solidaires. Car, si les hommes érigent trop de frontières, il nous incombe alors de construire des ponts. Telle est la leçon de sagesse de ce roman.

Galyna Dranenko (Ukraine)

L’eau comme miroir du monde et de l’âme dans les œuvres d’Ady, d’Ensor, de Khnopff et de Verhaeren

Il s’agit de s’interroger sur les différents états de l’eau. L’eau possède de multiples fonctions et, en particulier, celle de donner la vie, de régénérer et parfois de signifier la mort. L’immobilité, qui marque la stagnation, considérée comme un signe morbide, évoque aussi la voie vers l’au-delà, vers un ailleurs que l’eau, seule, peut créer. L’élément liquide, en opposition à l’élément terrestre, paraît instable et montre bien les vicissitudes de la vie. Comme la poésie baroque, la poésie symboliste porte les stigmates d’une réflexion philosophique profonde et parfois inquiétante. Le reflet de l’homme à travers des eaux changeantes, profondes et presque fantastiques devient une projection vers l’inconnu.

Les artistes symbolistes s’intéressent beaucoup à l’élément liquide dont ils présentent les multiples facettes. L’eau donne la vie mais peut la reprendre. Les mots et les tableaux parviennent à figer son cours pour quelques instants. Saisir l’éphémère et en proposer une lecture est un tour de force réalisé par des artistes soucieux de conduire lecteurs et spectateurs vers une herméneutique du

Le symbolisme accorde une place très importante à l’eau et à toutes ses significations. Le

caractère paisible et immobile de l’eau fascine par ses mystères. Lire le monde et comprendre l’eau, de laquelle nous provenons, est une démarche effectuée par les artistes européens, tels que Khnopff, Verhaeren, Ensor et Ady. En outre, Bachelard propose, d’ores et déjà, de nombreuses explications à propos de l’eau mais une lecture psychanalytique apporte également des pistes supplémentaires sur les significations des représentations de l’eau, afin de sonder l’inconscient de ces artistes, annonçant le surréalisme.

17

monde qui les entoure. Ils ambitionnent de livrer les clés d’univers restés obscurs, même si cette thématique est récurrente. Ainsi la psychanalyse et la mythocritique, au regard de l’imaginaire collectif, ont proposé des interprétations inédites sur le sujet.

Biographie

Agnès Felten, docteure en littérature comparée, enseigne à l’Université de Lorraine, à l’IUT et en classes de lycée à Jarny. Elle publie dans des revues comparatistes et elle a écrit plusieurs manuels de méthodologie à l’usage des étudiants de BTS.

Agnès Felten (France)

« N’ouvre la porte à quiconque ! » : l’espoir et le désespoir de Magda Szabó

Née en 1917, souvent comparée à Mauriac, Magda Szabó est l’une des figures les plus importantes de la littérature hongroise. Pourtant, les livres de Magda Szabó ont dû se frayer un passage clandestin sous le régime communiste hongrois. Longtemps elle fut livrée à l'obscurité et s'était affiliée à un cercle d'écrivains dissidents, baptisé Nouvelle Lune, qui s'étaient juré de ne jamais servir le régime.

L’un des romans de Magda Szabó les plus connus à l’étranger est La Porte, roman autobiographique d'une extraordinaire finesse, paru en traduction en France en 2003 (

.

C’est un texte autobiographique dans lequel Magda Szabó nous livre sa relation avec Emérence, sa femme de ménage à Budapest, pendant plus de vingt ans à son service.

Rien de commun entre la domestique et sa patronne, et pourtant elles ne se quittent pas durant vingt

années.
Les liens de dépendance constituent le sujet du roman. Peu de dialogues directs, presque

tout est dévoilé par le biais du monologue intérieur. La beauté de ce roman, émouvant mais dénué du moindre pathos, d’une grande délicatesse quoique oscillant sans cesse entre le dégoût et le plaisir, la joie et la colère, l’espoir et la frustration, tient à la découverte de l’attachement réciproque que se voue ces deux êtres.

Le tête-à-tête entre les deux femmes, qui permet à l'étrange et autoritaire Emérence de prendre l'ascendant sur son employeuse, donne l'occasion à l'auteure d'explorer, une fois de plus, les relations entre les individus, de traverser les ponts lancés entre deux vies pour atteindre le cœur et dévoiler des secrets.

Nina Nazarova (Irlande)

le prix

page18image5020224 page18image5014656

Femina étranger en 2003)

page18image5016960

C’est le roman d’une amitié et c’est aussi le roman de la Hongrie au

page18image5019648

XXème siècle.

Tout les oppose : l’une est jeune, l’autre âgée ; l’une sait à peine lire, l’autre ne vit que par les

page18image5019840page18image5020032

mots ; l’une est forte tête mais d’une humilité rare, l’autre a l’orgueil de l’intellectuelle.

18

Au bord du beau Danube vert....» La ville de Budapest dans le Journal du voyageur de Julien Green.

Grand voyageur, Julien Green a traversé plusieurs frontières, frontières géographiques bien sûr, mais aussi des frontières de l’esprit et du désir. Chaque traversée d’une frontière crée chez Green un pont entre ce qu’il découvre et ce que cherche son coeur, pont qui est chargé d’une dimension littéraire significative. Il en est de même de sa découverte de Budapest. Notre propos est d’étudier l’état de rêverie de l’auteur devant le Danube et l’architecture de la ville. Comme c’est toujours le cas chez Green, sa description est riche en références littéraires et culturelles.

Michael O’Dwyer Université de Maynooth, ( Irlande )

La Poétique de l’eau chez F. Mauriac

Tous les chercheurs de l’oeuvre de Mauriac notent un lien très fort, mental et physique, de l’écrivain avec son pays. Bordeaux, ses alentours, les landes, les pins ne constituent pas seulement un fond insignifiant pour le déroulement des événements et l’indication de la trajectoire des mouvements des personnages. Les paysages extériorisent l’expression du sujet, sont sur le même plan que les états d’âme du sujet, ils deviennent eux-mêmes des sujets indépendants et il semble même que ce n’est pas le personnage qui contemple le paysage, mais que c’est le paysage qui observe le personnage. Donc on peut parler, non pas seulement de l’anthropomorphisation du cosmos mauriacien, mais de la « cosmologisation » de l’homme par rapport au paysage. On peut remarquer dans les textes de Mauriac une attitude particulière envers le monde-cosmos qui prend dans la pensée moderne le nom de «géopoétique». Ce concept est introduit et successivement utilisé par Kenneth White qui suit les idées de Merleau-Ponty. On observe des idées pareilles chez Gaston Bachelard qui écrit dans sa «Poétique de l’espace» «que l’homme doit traiter le cosmos comme un sujet qui possède des traits et des qualités pareils et non pas comme un objet de l’influence et de la transformation». C’est du point de vue de l’isomorphisme de l’espace et de l’homme que nous allons analyser les particularités de la poétique de l’eau chez Mauriac.

Yarina Tarassiuk (Ukraine)

19

Aux confins de la narration

Le roman Stradivari de György Szántó, publié en 1933, connut un succès immédiat, mais l'oeuvre de l'écrivain transylvain n'a connu qu'une traduction roumaine, plus de quarante années après sa parution, dans les années 1970. Szántó, émigré à Budapest à la fin de la décennie précédant la guerre, a créé plusieurs romans, mais celui retraçant la vie du créateur de violons reste le plus accompli par ses histoires parallèles et sa composition quasi-orchestrale. L'auteur, contemporain de Mauriac, semble s'apparenter à un esprit littéraire semblable par certains points au romancier français. Il partage avec lui quelques tendances d'innovation romanesque, par la place accordée au narrateur dans le sillage de Bronte et de Gide aux confins du récit, interlocuteur direct du lecteur et par le thème omniprésent de l'authenticité.

Szántó initie une forme d'écriture nouvelle, alternant les frontières narratives et historiques entre époques baroque et contemporaine, en réalisant une peinture de caractères humains riche et authentique. Le roman, composé à l'exemple d'une pièce musicale, retrace l'histoire européenne et l'évolution des conceptions artistiques à travers celle d'un violon, de sa création à Crémone, en 1689, au XXè siècle berlinois. Ses personnages, au faîte ou aux marges de la société, sont empreints de passions nuancées, profonds, et peut-être par leur faiblesse reconnue, semblables à ceux de Mauriac. L'apparition scintillante du narrateur hongrois éponyme de l'auteur, évoque son objectivité ou sa solidarité envers eux. Selon le critique Marcell Benedek, dans Le Combat du roman contre l'histoire, cette œuvre « fait éclater les catégories temporelles pour montrer sub specie aeternatis, de manière pérenne, ce qui est éternel. » il se situe ainsi aux confins de la narration et du temps, grâce à l'oeuvre d'art. Comme l'auteur l'écrit, « Ce ne sont que les quatre cordes du violon. Mais on peut traverser des siècles et des frontières grâce à elles. »

Helga ZSAK (Hongrie)+ *

Marcell Benedek : A regény harca az idő ellen és egyéb lapszéli jegyzetek Szántó György Stradivárijához. Erdélyi Helikon, janvier 1934.
György Szántó : 
Stradivari, 1933, Kolozsvár, Erdélyi Szepmives céh, rééd. Budapest, Kriterion, 1984.

20

Ecrits de nos membres

A Käthe Kollwitz
(Neue Wache
Mutter mit ihrem toten Sohn)

Käthe Kollwitz est une femme peintre et sculptrice allemande qui a œuvré sa vie durant pour la paix à travers son art. Une de ses sculptures a été érigée dans un temple « grec », situé en bordure de l’avenue Unter den Linden, à Berlin. Elle représente une mère portant son fils tué à la guerre, à l’instar d’une piéta. Seule sculpture dans un grand espace vide, elle est dédiée à toutes les victimes des guerres. Elle m’a inspiré les lignes qui suivent

Je suis Hécube pleurant son fils Hector, tué par Achille devant Troie,
Et Andromaque gémissant sur son corps :
« Ô mon époux, tu as perdu l’existence bien jeune, et tu me laisses veuve dans le palais. »

Je suis Rachel pleurant ses enfants, arrachés à son sein par un roi sanguinaire, à Rama : « Une voix dans Rama s’est fait entendre, des pleurs et une longue plainte : oï oï oï ! »

Suis-je Marie ? celle qu’on appelle Piéta
Qui porte dans ses bras le corps du crucifié ? « Par le fils dont la mère a été insultée

Je vous salue Marie »

Son grand corps est allongé entre mes genoux, Mort,
Mon enfant, mon frère, mon époux,
Sa main délicatement posée dans la mienne. Je veux lui insuffler ma vie.

Hélas !
Je l’enveloppe dans mon châle, son lange et son linceul. Je le berce à l’infini.
Je le pleure.

Oui, je suis Anna, ta grand-mère, aux bras vides Qui serre le fantôme de Paul contre elle
Ce petit, mort à 19 ans et absent.
Son corps repose dans un cimetière belge.

Je suis la mère de cet enfant à la vie tronquée, Né pour mourir au champ.

Je suis Kâthe Kollwitz
J’ai traversé trois guerres dévoreuses d’enfants. J’ai perdu un fils et un petit-fils.

Je suis mère du soldat tué au front,
Du soldat inconnu,
Du soldat disparu, disparu à Berlin, sous les décombres,

21

Disparu dans les steppes russes, disparu dans un camp... Mais je le tiens dans les bras et je le berce et je le protège de

L’oubli. Léthé.

Et toute à l’heure je hurlerai à nouveau Nie wieder Krieg ! Plus jamais de guerre !

Un jour le monde entendra
Le cri des mères et des pères.
Un jour les hommes et les femmes chanteront
Le vers de Goethe :
« Saatfrüchte sollen nicht vermahlen werden”
“ Les graines de semence ne doivent pas être moulues 
»
Et les champs de bataille redeviendront des champs de blé.

On m’appelle aussi mère courage. Puissé-je devenir terre de promesse.

Marie Louise Scheidhauer (France)

Extrait d’un article (de Danielle Moysse, chercheuse associée à l’Iris, au CNRS et à l’EHESS) paru dans le journal « La Croix »

« Dans Le Monde commence aujourd’hui, Jacques Lusseyran, « le voyant » aveugle déporté à Buchenwald pour fait de résistance à l’âge de vingt ans, raconte l’épisode extraordinaire où s’étant mis à réciter de la poésie dans l’enfer de la captivité, ses compagnons d’infortune, dont la plupart ne parlaient pas sa langue, se rassemblèrent autour de lui dans une vraie ferveur (...). Boris, un prisonnier qui récitait Péguy, dit un jour à Jacques : « Ta main est à toi, ton corps est à toi, tes idées sont à toi. C’est une bien grande misère. Mais la poésie, ce n’est pas à toi, ni à moi, ni à aucun d’entre eux. Aussi, ils en vivent. »

Insomnie

Or le désert est prompt Et la fatigue mille
Dans la nuit plane Volante tel un tapis fin

Exerçons-nous mon âme Aux traversées
Pas d’arrêt de voyage
Pas de point de repère Nagent les strates de la nuit

Dans l’uniformément Limpide
La folie se répand

Quel appel à combler Quelle plaie colmater
Le centre des douleurs Vaque et tourne, prospère

Et toujours cependant au même endroit fiché.

Marie-Line Jacquet (France)

22

Le rayonnement de François Mauriac

Celui qui n’est ni un historien, ni un spécialiste de la politique internationale, mais seulement un observateur lucide, examine les évènements du monde à l’aune de sa sensibilité et de sa conscience. De ce point de vue, penser les relations de Mauriac avec la Russie permet d’éclairer et d’interroger les processus qui sont à l’œuvre entre un créateur plutôt sédentaire et son attachement à l’égard d’un pays qui n’est pas le sien. Car Mauriac fait partie de cesécrivains français qui ont le regard tourné vers la Russie. Contrairement à Gide, il n’accomplira pas le fameux voyage en URSS, mais cela ne l’empêche pas de demeurer extrêmement attentif aux bouleversements et aux fractures qui caractérisent la Russie du XXème siècle, de la chute de l’empire russe à la toute- puissance de l’URSS soviétique. Il s’en fait le commentateur régulier dans la presse, lui qui affirme à la fin de la seconde guerre mondiale : « Nous croyons en une Russie éternelle, indépendante des phénomènes historiques et qui n’est pas déterminée par eux. »

Où mieux découvrir cette part d’éternité que dans la littérature et dans les arts ?

1 Le colloque de Moscou

Les membres de l’AEFM étaient invités à participer au 33 ème colloque organisé à Moscou conjointement par l’université de Bordeaux et l’Université de Moscou. Oxana Dubnyakova, membre de l’AEFM depuis plusieurs années en était l’une des organisatrices avec Caroline Casseville qui nous avait accueillis à Malagar en 2017.

Nina Nazarova, notre présidente a pu y aller, ainsi que Angelo Valastro qui avait organisé notre dernier colloque à Madrid en 2019 . Tous deux sont revenus très enthousiasmés, tant par la qualité des interventions et que par l’accueil qui leur a été réservé. Mykita Steshenko y participait aussi. Nous publions ici l’appel à communication ainsi que le programme.

A Appel à communication

page23image10988720

23

33ème COLLOQUE INTERNATIONAL MAURIAC Université pédagogique de la Ville de Moscou Russie les 4 et 5 octobre 2019

« Nous croyons en une Russie éternelle... »1

François Mauriac, « La Russie inconnue », Le Figaro, 19 novembre 1944.

Appel à communication pour le colloque organisé par l’Université Pédagogique de la Ville de Moscou et l’Université Nijni Novgorod, le Centre Mauriac/EA TELEM de l’Université Bordeaux Montaigne et la Société Internationale des études mauriaciennes (SIEM) en partenariat avec le Centre François Mauriac de Malagar (Région Nouvelle- Aquitaine).

Dans la poursuite des recherches menées en France et à l’étranger par le Centre Mauriac/TELEM de l’Université Bordeaux Montaigne et par la Société internationale des études mauriaciennes, le 33ème colloque international François Mauriac se tiendra en Russie à l’Université pédagogique de la Ville de Moscou les 4 et 5 octobre 2019.

La pensée et les écrits de Mauriac n’ont pas de frontière. Comme en attestent les nombreuses traductions dont son oeuvre a fait l’objet, Mauriac est lu dans le monde entier. Et bien qu’il ne fût pas un grand voyageur, son intérêt pour l’autre, pour l’étranger, pour celui qui est d’un autre pays, d’une autre contrée ou d’une autre langue, ne s’est jamais démenti. Qu’il soit gascon, français, européen ou citoyen du monde, Mauriac a su développer un discours sur l’homme ou sur la femme qui dépasse les caractéristiques individuelles et les spécificités civilisationnelles, sans pour autant nier leur existence.

Ainsi, tout au long du XXe siècle, l’attention de Mauriac à l’égard des autres pays, des plus proches aux plus éloignés, est-elle toujours en éveil, relayée par l’imaginaire du romancier et concentrée sous la plume de l’écrivain-journaliste. Celui qui n’est ni un historien, ni un spécialiste de la politique internationale, mais seulement un observateur lucide, examine les événements du monde à l’aune de sa sensibilité et de sa conscience. De ce point de vue, penser les relations de Mauriac avec la Russiepermet d’éclairer et d’interroger les processus qui sont à l’oeuvre entre un créateur plutôt sédentaire et son attachement à l’égard d’un pays qui n’est pas le sien. Car Mauriac fait partie de ces écrivains français qui ont le regard tourné vers la Russie. Contrairement à Gide, il n’accomplira pas le fameux voyage en URSS, mais cela ne l’empêche pas de demeurer extrêmement attentif aux bouleversements et aux fractures qui caractérisent la Russie du XXe siècle, de la chute de l’Empire russe à la toute-puissance de l’URSS soviétique. Il s’en fait le commentateur régulier dans la presse, lui qui affirme à la fin de la Seconde Guerre mondiale : « Nous croyons en une Russie éternelle, indépendante des phénomènes historiques et qui n’est pas déterminée par eux »2. 2 Id3 François Mauriac, Bloc-notes, IV, p. 264-265.

Où mieux découvrir cette part d’éternité que dans la littérature et dans les arts ? C’est pourquoi Mauriac témoigne régulièrement de la longue tradition d’échanges

24

intellectuels, littéraires et culturels qui unit la Russie et la France. Mais, plus précisément, comment se manifestent son admiration pour l’art russe et sa fascination pour la spiritualité qui caractérise l’âme slave et son « grand amour pour le peuple d’Anna Akhmatova » 3 alors qu’il précise : « Dès l’adolescence, Tolstoï et Dostoïevski, et un peu plus tard Berdiaev, Tchekhov, Pasternak me l’ont rendu presque plus proche que mon propre peuple : je veux dire qu’il y avait certains traits de mon être secret que je retrouvais en eux et qui n’étaient pas chez les secs écrivains de chez nous... » ?

À partir de quels critères se construit le rapport de Mauriac avec les écrivains dont il revendique l’influence ou qui suscitent son intérêt (Berdiaev, Dostoïevski, Pasternak, Soljenitsyne, Tchekhov, Tolstoï, Troyat,...) ? Quelles relations Mauriac entretient-il avec les artistes qu’il croise ou fréquente durant sa vie (Diaghilev, Nijinski, Zadkine, ...) ? En quoi sa vision de la Russie est-elle semblable ou différente de celle de ses confrères et amis (Aron, Bernanos, Gide, Maritain, Martin du Gard, Maulnier, ...) ? Parallèlement, comment Mauriac entre-t-il en contact avec la réalité russe, tant à travers son réseau professionnel (collaborations littéraires) ou sa participation à des associations franco-russes (Studio franco-russe, France-URSS, ...) qu’à travers son réseau personnel (confrères, amis, famille...) ? D’une façon plus générale, quels sont les phénomènes, les événements, les interactions qui entraînent Mauriac en tant qu’homme et en tant que créateur à s’intéresser au peuple russe et à sa culture ?

Et aujourd’hui, qu’en est-il de Mauriac en Russie ?
Ouvrages de référence :
- François Mauriac, 
OEuvres romanesques et théâtrales complètes, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1978-1985, 4 tomes.
- François Mauriac, 
OEuvres autobiographiques, François Mauriac, OEuvres romanesques et théâtrales complètes, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard1990.
François Mauriac, Bloc-notes, 4 tomes, Points-Seuil, 1993.
François Mauriac, D'un bloc-notes à l'autre, Bartillat, 2004.
- François Mauriac, 
Journal, Le Bâillon dénoué, Mémoires politiques, « Bouquins », Robert Laffont, 2008.
- mauriac-en-ligne.u-bordeaux-montaigne.fr

- Série Cahiers François Mauriac, Grasset, (18 numéros de 1974 à 1991)

- Série Nouveaux Cahiers François Mauriac, Grasset, (26 numéros de 1993-2019)

Dictionnaire François Mauriac, Honoré Champion, à paraître en avril 2019. Le résumé détaillé de la proposition de communication (environ 300 mots ou 1 500 signes), accompagné dun titre et dune courte biobibliographie, devra tre envoyé au plus tard le 15 mai 2019 aux adresses électroniques suivantes : caroline.casseville@u-bordeaux-montaigne.fr. et dubnyakovaoa@mgpu.ru

25

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire