Intervoix 38 (suite)


Communications lors de la journée d’étude
Résumés

·      L’imaginaire mystique à l’œuvre dans les romans de Sofi Oksanen

Sofi Oksanen (née en 1977) est une auteure finlandaise qui a des origines estoniennes par sa mère. L’écrivaine a obtenu une notoriété internationale à la suite de la publication de son  roman Purge (2008, pour la trad. fr. 2010). En France, ce roman a obtenu deux prix littéraires prestigieux : le prix du roman FNAC et le prix Femina étranger. En fait, Purge fait partie d’une « trilogie estonienne » dont les deux autres œuvres sont : son premier roman, Les Vaches de Staline(2003, pour la trad. fr. 2011), et le romanQuand les colombes disparurent (2012, pour la trad. fr. 2013). Son dernier roman, traduit en français, est paru sous le titre Norma (2015, pour la trad. fr. 2016).
En faisant porter nos investigations sur ce corpus romanesque, nous nous interrogerons sur le fonctionnement des constellations des images symboliques qui constituent, à l’évidence, un des traits originaux de l’écriture de Sofi Oksanen. Ainsi, nous intéresserons- nous, plus spécifiquement, aux images littéraires qui élaborent un imaginaire mystique à l’œuvre dans l’écriture de l’écrivaine, à savoir en particulier : l’archétype de la chair, les symboles de l’intimité et les incarnations de l’image de la Nuit dévastatrice.
Galyna Dranenko, Ukraine

·      La mélancolie dans la littérature estonienne à travers le regard métaphysique d’Ilmar Jaks

Comme beaucoup d’œuvres littéraires du XXe siècle, l’œuvre d’Ilmar Jaks fut écrite durant l’époque des contestations. Si l’Europe occidentale fut touchée durant cette période par la crise économique et par la crise généralisée des valeurs bourgeoises, l’Estonie semble avoir un parcours encore plus épineux en raison de la double influence allemande et soviétique. Il n’est guère étonnant que la littérature estonienne soit imprégnée du réalisme allemand, de l’idée de l’identité nationale ou encore du rejet du joug soviétique. Un contexte historique bien particulier est souvent perçu comme quelque chose de négatif pour la fondation de la littérature estonienne de par sa connotation politique. Et pourtant, un tel contexte se présente comme un terrain favorable au développement de la mélancolie : un état certes sombre au niveau personnel, mais un état également fructueux au niveau de la création artistique. D’après Aristote, Platon, Marsile Ficin ou encore Dürer, la mélancolie est le lieu où se rencontrent la médecine, la philosophie, la littérature et les beaux-arts. Dans le discours médical elle est une pathologie psychique mais la mélancolie n’est pas forcément pathogène.
Selon Julia Kristeva, l'homme mélancolique traverse « une vie invivable, chargée de peines quotidiennes, de larmes avalées ou versées, de désespoir sans partage. [Il a] le sentiment orgueilleux d'être le témoin du non-sens de l'Être, de révéler l'absurdité des liens et des êtres. [Sa] douleur est la face cachée de [sa] philosophie ». Cette affirmation s’applique parfaitement à l’écriture fragmentaire d’Ilmar Jaks : la bile noire y est bien présente et avec elle le génie, l’exil, la solitude, la mort, le vide.
Par conséquent, les personnages jaksiens n’échappent point à l’influence de Saturne et se trouvent sous un regard attentif de leur créateur, lui aussi un observateur mélancolique.
Mykyta Steshenko, Ukraine

·      Émigration de l’intérieur ou vol immobile des personnages de Jaan Kross

Les personnages de Jaan Kross,  monument de la littérature estonienne, découvert en  France dans les années 90 grâce à la traduction de ses sagas baltes d'une délicatesse rare, passent leur enfance en Estonie indépendante des années 20-30 du vingtième siècle. Ils placent leurs rêves et espoirs dans l’indépendance de leur jeune pays. Mais le cours cruel de l’Histoire transforme ce petit pays balte en monnaie de change entre l’Europe, les USA et l’URSS. L’occupation soviétique suivie par l’invasion nazie et les purges staliniennes détruisent la vie et les croyances des personnages dans les engrenages du ‘Grand Metteur en Scène’, l’Histoire elle-même et les poussent en émigration de l’intérieur, une émigration de  leur patrie, de leur propre moi.
Nina Nazarova, Irlande


·      Le concept de « sémiosphère » dans la littérature selon Youri Lotman

Né dans une famille de juifs intellectuels, le 28 février 1922, à Saint-Pétersbourg et mort le 28 octobre à Tartu, Youri Lotman, sémioticien et philologue, est l’un des principaux spécialistes de la littérature et de l’histoire de la culture estonienne.
En raison de l’antisémitisme, il quitte Saint-Pétersbourg et s’installe en Estonie où, à partir de 1954, il devient professeur de langue et de littérature russes à l’Université de Tartu où, en 1964, il fonde l’École de Sémiologie Culturelle Moscou-Tartu.
Considéré comme un des premiers structuralistes soviétiques, Lotman invente, en 1984, le terme « sémiosphère » désignant un aspect de la sémiotique.
Selon Lotman, la « sémiosphère » est la totalité de l’espace sémiotique dans lequel chaque texte ne peut exister sans entrer en relation avec la totalité de cet espace :
L’espace de la sémiosphère comporte un caractère abstrait. Cependant, cela ne suggère nullement que le concept d’espace est utilisé, ici, dans un sens métaphorique. Nous avons à l’esprit une sphère spécifique possédant des signes qui sont assignés à un espace clos. C’est uniquement à l’intérieur d’un tel espace que les processus de communication et la création de nouvelles informations peuvent être réalisés.
En prenant quelques fragments de textes littéraires estoniens traduits, on cherchera à les lire et analyser selon le concept de « sémiosphère » de Lotman.
Patrizia Prati, Italie

·      L’Estonie dans un article d’Indro Montanelli du 1938

Né le 22 avril 1909 en Toscane et mort le 22 juillet 2001 à Milan, Indro Montanelli est considéré comme l’un des meilleurs journalistes italiens du XXème siècle.  Collaborateur au Corriere della sera, en 1974, Montanelli fonde le quotidien Il Giornale qu’il dirige pendant vingt ans.
À cause de ses chroniques sur la guerre civile espagnole, dans le quotidien romain Il Messaggero et dans l’hebdomadaire Omnibus de Leo Longanesi, en 1937, le Ministère de la Culture populaire en Italie l`élimine de la liste de journalistes et, à cause de ses positions  contre le fascisme, on lui retire la carte du parti et il ne fait rien pour la récupérer. Pour éviter le pire, Giuseppe Bottai lui trouve un poste de professeur-lecteur d’italien à l’Université de Tartu, en Estonie et, ensuite, le fait nommer directeur de l’Institut italien de la culture à Tallin, la capitale.
Dans son exil, Montanelli ne cesse d’écrire. Un de ses articles, Vita e anima del popolo estone, publié le 15 juin 1938 dans le quotidien italien La Stampa, nous donne une description très détaillée et personnelle du peuple estonien et, en particulier, de la femme estonienne, du peuple qui chante et des paysages mystérieux.
Avec une lecture de quelques fragments de cet article, on proposera des réflexions concernant le sentiment du journaliste italien envers le peuple estonien et envers le pays balte, sa terre d’exil.
Angelo Valastro, Espagne



Écrits par nos membres

Voici le poème qui clôt le livre de Margaret Parry (présenté ci-après). Il a été inspiré par les lieux où se sont déroulées les batailles de la Somme et que l’auteur a visités à deux reprises (dans sa version originale : le lecteur comprendra pourquoi)
Stirrings of Poetry
The countryside traversed but yesterday-
Yet an eternity since then it seems-
Fold upon fold of ripening corn
Where Ruth and Booz stood and dreamed
Like I once dreamed, a schoolgirl, one of many in our form But suddenly alone
As rapt I listen to her intone-
The French teacher, that is-
A poem,
The first essayed in this another tongue. And suddenly I hung
The words and rhythms new Soft cadences
Effacing all I thought, I knew Of this strange tongue
Till now a mere routine of learning, knowing.
I see her still on that far distant afternoon
A vague smile on her lips as she surveyed us all... Leconte de Lisle...
The name is etched in me
As yet I see
A field of corn immobile as the noon
In shimmering tune
Inaudible
Thick lustrous ears in silence hung
The words as yet unsung, till all at once a breath, a sigh The murmuring of a aeolian harp
That ripples through
And the incline, these sentinels to beauty
As if to some lost deity.
In every village stolidly a church Whose bells at hours immovable
Ring out the angelus;
Yes, still the ring from cavernous walls, Keepers of rhythms immemorial
That made the landscape what it was
And would be still,
Or toll lamentably for one who’s passed
And never more his gaze will cast
As homeward bound his tractor tops the hill
On tower or spire
Soaring o’er huddled roofs red in the evening glow.
There was a year when all that ceased to be; One year? Nay more, but “one” year says it all, This arrestation in conceivable.
In that dread year they toppled one by one, Razed by a instinct wild
Which stopped at nothing, would not even hide Its will to move you too in thousands
So much carrion to a land
Modelled- or so ‘twas thought till then-
Bay God’s all’staying hand.
A land scarred and pitted with shell holes, craters Where bodies could be poured, obliterated
In one mas undertaking.
No individual tombstones to mark their passing, Only torn excrescences
Which once were arborescences Sole vertical element.
Until, against a jagged bole, the veil dispersing
I see you, slumped in weariness, incomprehension, Solitary,
The pals all scattered, gone
To different resting places, or those still left of them. Your head is bowed in the apocalyptic silence
To sleep, or simply not to see?
But no, the swirls of smoke receding,
I see a hand that moves,
From left to right it moves and back again,
Now fast, now low; now but a whisper, whimper Like of a child who’s cried his pain to sleep
And now reposes in a mother’s arms.
Your head rests back against the blistered bark Incarnate as the human mystery.
A dog barks in the night
To rose me for a moment from my dream, then back again;
Before I now a cock crow rends the morning air And soon the whole community’astir,
Clogs, sabots, throbbing tractors all
String out the melody,
A patchwork of russet, green and gold
Glorious to behold
As too the trees and woods and coppices
That once upon a time, incomprehensibly,
They named Matthew, Mark, Luke and John, Separate they stood but now they are all one
Like the field of corn aglow under the mid-day sun.
Margaret Parry

Les cloches sonnent

Poème extrait de la saga familiale de Marie Louise Reyen Scheidhauer, qui parle de l’armistice de 1918 et du deuil qui frappe une famille dont le fils, un jeune homme de vingt ans, vient de « tomber » sur le front belge.

Les cloches pleurent


Anna, ma grand-mère, mon enfant, Que ne puis-je ranimer
Ton corps ainsi pétrifié
Marie Louise Scheidhauer

Publications de nos membres

Elles concernent essentiellement la période de guerre citée dans l’éditorial. Margaret Parry, The war poets and the diary of an ordinary tommy, convergence, class, and  transmission, Austin Macauley Publishers, LDT, 2017

Cent ans après la Grande guerre, le journal d’un tommy
Il est question ici d’héritage. D’un héritage spirituel qui s’accommoderait bien de la phrase de Goethe : « Ce que tu as hérité de tes pères, gagne- le si tu veux le posséder. » Encore qu’il ne s’agisse ni de gain, ni de possession, mais de transmission. Margaret Parry a hérité du journal de guerre de son grand-père. Cent ans après la Grande Guerre elle le publie dans un livre qui en constitue l’écrin. Ecrin parce qu’il est entouré d’un florilège de poèmes et d’une écriture issue du cœur de l’auteur. Héritage selon l’exergue d’Alain qui figure sur la première page c’est-à-dire devoir envers un ancêtre à qui l’on doit la vie et le désir d’écrire ancré dans le besoin qui avait déjà poussé ce grand-père à écrire en ces jours si précaires de La Grande Guerre.
Dès le départ Margaret Parry y pose des questions essentielles. Quel peut être l’intérêt de publier le journal d’un simple soldat, d’un Tommy, cent ans après ? Comment se fait-il seulement que Harry Atkinson ait écrit ? D’autres hommes qu’on appelle « les poètes de la guerre » ont aussi éprouvé le besoin de parler du vécu de ce temps-là. D’autres sont morts non loin de Harry Atkinson dès les premiers engagements meurtriers. Quelle place Harry Atkinson occupe-t-il parmi tous ceux-là ?
L’auteur présente son grand-père comme un homme pieux, très croyant, dont les convictions profondes lui interdisaient de tuer un autre homme. Il était brancardier et portait les blessés ou mourants des tranchées et du champ de bataille jusqu’au lieu où ils étaient soignés. Il était un grand lecteur de la Bible, livre essentiel de sa culture et de sa foi.
L’auteur enquête en même temps sur les conditions dans lesquelles « les poètes de la guerre » ont écrit et constate que les écrits révèlent combien le fait d’avoir vu autour d’eux tant de morts, tant d’atrocités, tant de destruction, le fait d’avoir partagé tant de souffrances ont rapproché ces hommes que les classes sociales avaient séparés auparavant et ont suscité chez les officiers la reconnaissance de qualités d’honneur, de dévouement, de camaraderie chez les simples soldats.
Le journal de Harry Atkinson occupe la place centrale du livre, le troisième chapitre, intitulé « France 1916 : the War Diary of Harry Atkinson (1880-1938)
My visit from Egypt to France (March 1th 1916).”
Je découvre un écrit où la vie quotidienne, ses gestes, ses détails prennent une intensité extraordinaire, celle de la vie du soldat, au front.
« We were taken into a farm yard and allotted our apartments in the old outbuildings which were not very weather proof...But being soldiers we had to stick it the best way we could and say nothing, but I was very fortunate. I found a penknife while preparing my bed...So my gain was some unfortunate chaps loss.. ..I will take special care of it for him
Cette vie quotidienne est d’abord faite de longues marches vers le front à travers la neige et le froid.
« On the 4th April we left for a place called Bus and I was very fortunate on this move as about three or four of us went by motor car. .. And now for once in our live we were in the firing line within the range of the German guns.”
Ces quelques lignes pour donner à voir et à entendre la voix de cet homme qui raconte les minutes d’une vie inconnue qui s’invente au jour le jour et dont le lecteur devine le prix.
Bien entendu, en tant que brancardier, infirmier, il va en connaître les pires atrocités dans un face à face avec la mort, la vie, l’inhumanité et la fraternité. Les pages 54 à 57 sont peut-être les plus saisissantes du journal. Elles relatent dans un langage si proche de la cruelle réalité décrite mais sans emphase aucune, sans recherche d’effet, la tâche des brancardiers dans les tranchées qui viennent d’être sous le feu de l’ennemi.
« I landed into one of these holes and there I found there was a comrad. He was in kneeling position. He had either been praying or looking over the top. I began to speak to him and shake him but I found the poor unfortunate chap was dead
Le lecteur est saisi par ce récit à la fois dépouillé et précis et si plein de ressenti.
Si le livre a un tel écho auprès du lecteur c’est parce qu’il retrace aussi le chemin que l’auteur a emprunté pour rejoindre le rédacteur du journal, son grand-père, dans l’intimité de son langage. Chemin qui passe par la poésie. Le quatrième chapitre « échos et interférences » met souvent côte à côte un poème « reconnu » et le témoignage au jour le jour, montrant la pertinence de la voix du tommy et son écriture étonnement juste qui révèle le poète en lui.
Le journal mentionne le nom des localités où H. A. est cantonné, où il œuvre, où il se déplace. Margaret Parry a entrepris un pèlerinage à travers ces lieux à deux reprises et le livre consacre un chapitre aux photos qu’elle a pu prendre. Et le lecteur est ému de trouver des noms qui ont été mentionnés plus de cent ans auparavant par un protagoniste de l’Histoire, Harry Atkinson : Bus-en- Artois, Calonne-sur-La- Lys, Beauval. Et les dépendances qui ont servi de lieux de cantonnement, l’estaminet, le chemin qui allait à la ligne de front et ...le cimetière et le monument aux morts etc. retrouvés par la petite-fille se donnent à voir au lecteur. Les pages consacrées à la visite des lieux sont pleines d’une émotion que l’écriture rend sensible à travers le récit de l’arrivée dans un village a priori inhospitalier puis accueillant pour la pèlerine.
Et le livre se termine par des poèmes composés par Margaret, poèmes, voies du cœur vers les mots pour dire ce qui perdure de ce temps-là, de ces hommes-là, aujourd’hui, chez les vivants. Poèmes inspirés sur place.
« Separate they stood but now they are all one
Like the field of corn aglow under mid-day sun
Et retour sur la première de couverture qui montre un magnifique champ de blé bordé de coquelicots ( poppies en anglais), champ à présent fertile après avoir été un champ de morts et de destruction.
Le livre est dédié à la mère de l’auteur. Ainsi trois générations assurent le relais d’un récit historique et d’un vécu personnel proposés à la lecture des vivants.
Margaret Parry, The war poets and the diary of an ordinary tommy, convergence, class, and transmission. Austin Macauley Publisher LDT, 2017
Marie Louise Scheidhauer

Retour sur un ouvrage déjà cité dans le précédent numéro et très partiellement présenté :
Nicolas Bianchi and Toby Garfitt (eds), Writing the Great War Comment écrire La Grande Guerre?
Francophone and Anglophone Poetics
Poétiques francophones et anglophones, Peter Lang, 2017
Les grands axes de ce travail universitaire ont été présentés dans le précédent  numéro.
Je voudrais ici souligner le fait que Toby Garfitt comme Margaret Parry s’intéresse aux récits faits par des hommes, des soldats, qui jusque-là n’avaient eu que peu droit à la parole.
Toby Garfitt a parlé des soldats de couleur dont les récits oraux étaient souvent perdus et dont il fallait chercher des traces dans des bribes de paroles ou de chansons et Margaret a parlé du journal d’un soldat ordinaire, son grand-père.

Un complément à la présentation précédente :
C’est la question qui me paraît particulièrement importante : comment écrire la guerre ?
Comment écrire ? Comment trouver les mots ? Comment inventer une forme en accord avec l’expérience inhumaine de la guerre ? Peut-on encore écrire ?
Les communications alternent en français et en anglais.
J’ai découvert de grands poètes anglais comme Wilfred Owen aussi cité par Margaret Parry, mais j’ai surtout pu approfondir (parce que le texte était en français) sous l’angle particulier de la poésie des temps de guerre, ma connaissance de Jacques Vaché, ce compagnon d’André Breton, à l’origine, avec ce dernier, de la vague surréaliste, forme de protestation contre les conventions de la vie que la guerre avait mises à mal. J’ai mieux compris comment à travers l’expérience de la guerre, Louis Ferdinand Céline s’est forgé le style qui est le sien. Comment un Proust est plus ou moins représenté dans ses positions vis-à-vis de la guerre par un de ses personnages, Charlus, alors que Céline et Jean Renoir s’expriment plus directement. Et surtout comment une poésie conventionnelle et épique de la guerre a été mise à mal par l’atrocité d’un vécu et l’hécatombe qui a fauché des millions d’hommes.
La lecture de ce volume est riche de toutes les questions qu’il pose : sur les sources, leur interprétation, leurs limites. Sur une question, pour nous essentielle : qu’est-ce qu’une œuvre littéraire ? Quelle est la valeur d’un écrit qui refuse les canons admis pour chercher d’autres langages plus justes vis-à- vis d’une expérience vécue ? Comment dire l’indicible ? Comment l’expérience de la guerre oblige-t-elle à trouver une nouvelle écriture ?
L’ouvrage est passionnant pour tous ceux qui se posent ces questions au sujet de l’acte même d’écrire.
Marie Louise Scheidhauer


Anne Hogenhuis et l’Histoire
A. Hogenhuis a aussi abordé dans Zinaïda le problème de la formidable secousse existentielle qui a ébranlé le XXème siècle naissant.
Voici un ouvrage qui participe à la réflexion sur les dessous d’une Histoire encore très énigmatique.
Anne Hogenhuis, L’affaire du général S., gendarmes et terroristes, éd. APOPSIX , 2017

NOTE DE LECTURE
L’affaire du général S. , gendarmes et terroristes, vient de paraître aux éditions APOPSIX. Anne Hogenhuis, dont nous connaissons les talents d’écrivain et de biographe, nous entraîne à sa suite dans l’aventure incertaine d’une plongée dans les archives de la police française et du Ministère de la Défense, et, ce qui est plus intrigant, à Moscou, dans celles de l’Etat russe.
C’est bien un roman qu’il lui a fallu bâtir lorsqu’Anne Hogenhuis a entrepris de mener l’enquête qui, l’espérait-elle, éclairerait l’obscure histoire d’un assassinat commis à Paris en 1890. Pourtant, et c’est un paradoxe, la narratrice n’a pas cessé de travailler comme historienne et archiviste à la reconstitution du passé de ce général russe, cousin de son arrière- grand-père, et dont son père ne voulait pas que l’on se souvînt, ce qui explique la faiblesse de la tradition orale familiale.
L’enquête était difficile, car le secret est de règle dans la vie des policiers responsables de celle des chefs d’Etat, et les nombreux déplacements du personnage ne s’expliquaient pas uniquement par ses activités au service du Tsar. Pourquoi vivait-il à Londres et à Paris plus souvent qu’à Saint- Pétersbourg ? Nous savons que Paris était un refuge pour les nihilistes et les terroristes, mais parmi les Russes à Paris, nous connaissons surtout des écrivains et des peintres ; nous ne soupçonnions pas la présence, étrange il est vrai, du chef de la police politique du Tsar !
Tout au long d’une suite de recherches minutieuses, dont elle ne nous cache ni les échecs ni les incertitudes, Anne Hogenhuis trace le portrait d’un homme et d’une époque. La désagrégation de la société russe se voit de l’intérieur, tandis que l’aristocratie voyage en Europe et dépense follement les richesses qu’elle tire de ses domaines. Loin de vouloir réhabiliter son lointain ancêtre, Anne Hogenhuis explore pourtant les aspects de sa vie qui peuvent être considérés comme positifs, afin de comprendre qui l’a tué et pourquoi.
J’ai apprécié la peinture de cette époque troublée, le rappel des souvenirs familiaux, le portrait des personnalités publiques qui ont œuvré pour l’Alliance Franco-Russe. Le mystère très balzacien qui émane de cette histoire me l’a rendue plus séduisante que sa rigueur scientifique ne le laissait craindre.
Claude Hecham

Nouvelle parution
Roger Bichelberger,
l’un des membres fondateurs de l’AEFM, vient de publier un nouveau roman : « Lettre à une trop jeune morte » chez Albin Michel.
C’est le dix-septième ouvrage dont douze romans qu’il publie chez cet éditeur, mais il a publié aussi de nombreux autres ouvrages chez d’autres éditeurs dont le dernier en date est un récit publié en 2016 chez Salvator : « Si j’avais été riche », récit autobiographique qui vient de paraître en Italie.
A l’occasion de la sortie de son nouveau roman, une soirée a été organisée, le mardi 13 mars dernier à la mairie de Forbach, en Lorraine, où Roger a été professeur. Une soirée riche et variée comme à chaque fois, ponctuée d’analyses, de lectures, et aussi de chants par le chœur d’hommes de Hombourg-Haut, mais une soirée particulière cependant car Roger n’y a fait qu’une courte apparition en prononçant quelques mots essoufflés en début de soirée, sa santé ne lui permettant pas de rester plus longtemps.
Après les remerciements d’usage, il a présenté son roman.
Il a expliqué que le fait de rester cloitré chez lui pendant trois ans à cause de ses gros soucis de santé lui a permis de découvrir vraiment Foulques Nerra, le puissant comte d’Anjou, l’un des hommes les plus puissants et les plus cruels du royaume de France qui, au retour de son troisième pèlerinage à Jérusalem, au printemps 1040 (soit 55 ans avant la première croisade), sentant sa fin venir, écrit une lettre à son épouse Lisabeth décédée 50 années plus tôt dans l’incendie de leur château. Roger cite alors l’un de ses lecteurs disant que « Elisabeth, la grande absente dans ce roman en est la figure essentielle ».
Le comte d’Anjou confie à un scribe le récit de sa vie, une vie de violences et de crimes commis durant les guerres menées pour agrandir ses terres, mais aussi sa quête du pardon qu’il tente d’obtenir en se rendant sur le tombeau de l’Homme crucifié auquel le lie une ferveur sans nom, et en faisant édifier de nombreux châteaux et monastères. Ce roman décrit un personnage féodal déchiré entre ses pulsions guerrières (qui déchirent tant d’hommes encore de nos jours), son attachement au Porte Croix de Nazareth et son amour pour son épouse disparue. L’amour n’est-il pas la seule puissance capable de contrecarrer le crime ?
« Lettre à une trop jeune morte » est un roman court, à l’écriture « ciselée », comme le dira Elise Fischer et comme le précisera le film qui suit, intitulé « Ecrire pour vivre ». Ce film, coproduit par une chaîne de télévision locale et la médiathèque de Forbach, se termine par une interview de Roger par Elise Fischer que nous avions rencontrée à Fontenoy la Joûte en 2008, lors de la rencontre de Pont à Mousson.
Marie-Cécile Schroeter

Dialogue
Pour continuer la réflexion de Margaret Parry sur le livre de F. Cheng intitulé De l’âme, (cf. Intervoix 37) , il peut être intéressant de lire : Madeleine Bertaud, Lire François Cheng, poète français, poète de l’être, Hermann Ed., 2017

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire