Communications lors de
la journée d’étude
Résumés
·
L’imaginaire mystique à l’œuvre dans les romans de Sofi Oksanen
Sofi
Oksanen (née en 1977) est une auteure finlandaise qui a des origines
estoniennes par sa mère. L’écrivaine a obtenu une notoriété internationale à la
suite de la publication de son roman Purge (2008, pour la trad.
fr. 2010). En France, ce roman a obtenu deux prix littéraires prestigieux : le
prix du roman FNAC et le prix Femina étranger. En fait, Purge fait partie d’une «
trilogie estonienne » dont les deux autres œuvres sont : son premier roman, Les Vaches de Staline(2003, pour la trad.
fr. 2011), et le romanQuand les colombes disparurent (2012, pour la trad. fr. 2013). Son dernier
roman, traduit en français, est paru sous le titre Norma (2015, pour la trad.
fr. 2016).
En
faisant porter nos investigations sur ce corpus romanesque, nous nous
interrogerons sur le fonctionnement des constellations des images symboliques
qui constituent, à l’évidence, un des traits originaux de l’écriture de Sofi
Oksanen. Ainsi, nous intéresserons- nous, plus spécifiquement, aux images
littéraires qui élaborent un imaginaire mystique à l’œuvre dans l’écriture de
l’écrivaine, à savoir en particulier : l’archétype de la chair, les symboles de
l’intimité et les incarnations de l’image de la Nuit dévastatrice.
Galyna Dranenko, Ukraine
·
La mélancolie dans la littérature estonienne à travers le regard
métaphysique d’Ilmar Jaks
Comme
beaucoup d’œuvres littéraires du XXe siècle, l’œuvre d’Ilmar Jaks fut écrite
durant l’époque des contestations. Si l’Europe occidentale fut touchée durant
cette période par la crise économique et par la crise généralisée des valeurs
bourgeoises, l’Estonie semble avoir un parcours encore plus épineux en raison
de la double influence allemande et soviétique. Il n’est guère étonnant que la
littérature estonienne soit imprégnée du réalisme allemand, de l’idée de
l’identité nationale ou encore du rejet du joug soviétique. Un contexte historique
bien particulier est souvent perçu comme quelque chose de négatif pour la
fondation de la littérature estonienne de par sa connotation politique. Et
pourtant, un tel contexte se présente comme un terrain favorable au
développement de la mélancolie : un état certes sombre au niveau personnel,
mais un état également fructueux au niveau de la création artistique. D’après
Aristote, Platon, Marsile Ficin ou encore Dürer, la mélancolie est le lieu où
se rencontrent la médecine, la philosophie, la littérature et les beaux-arts.
Dans le discours médical elle est une pathologie psychique mais la mélancolie
n’est pas forcément pathogène.
Selon
Julia Kristeva, l'homme mélancolique traverse « une vie invivable, chargée de
peines quotidiennes, de larmes avalées ou versées, de désespoir sans partage.
[Il a] le sentiment orgueilleux d'être le témoin du non-sens de l'Être, de
révéler l'absurdité des liens et des êtres. [Sa] douleur est la face cachée de
[sa] philosophie ». Cette affirmation s’applique parfaitement à l’écriture
fragmentaire d’Ilmar Jaks : la bile noire y est bien présente et avec elle le
génie, l’exil, la solitude, la mort, le vide.
Par
conséquent, les personnages jaksiens n’échappent point à l’influence de Saturne
et se trouvent sous un regard attentif de leur créateur, lui aussi un
observateur mélancolique.
Mykyta Steshenko, Ukraine
·
Émigration de l’intérieur ou vol immobile des personnages de
Jaan Kross
Les
personnages de Jaan Kross, monument de la
littérature estonienne, découvert en France dans les
années 90 grâce à la traduction de ses sagas baltes d'une délicatesse rare,
passent leur enfance en Estonie indépendante des années 20-30 du vingtième
siècle. Ils placent leurs rêves et espoirs dans l’indépendance de leur jeune
pays. Mais le cours cruel de l’Histoire transforme ce petit pays balte en
monnaie de change entre l’Europe, les USA et l’URSS. L’occupation soviétique
suivie par l’invasion nazie et les purges staliniennes détruisent la vie et les
croyances des personnages dans les engrenages du ‘Grand Metteur en
Scène’, l’Histoire elle-même et les poussent en émigration de
l’intérieur, une émigration de leur patrie, de
leur propre moi.
Nina Nazarova, Irlande
·
Le concept de « sémiosphère » dans la littérature selon Youri
Lotman
Né dans
une famille de juifs intellectuels, le 28 février 1922, à Saint-Pétersbourg et
mort le 28 octobre à Tartu, Youri Lotman, sémioticien et philologue, est l’un
des principaux spécialistes de la littérature et de l’histoire de la culture
estonienne.
En
raison de l’antisémitisme, il quitte Saint-Pétersbourg et s’installe en Estonie
où, à partir de 1954, il devient professeur de langue et de littérature russes
à l’Université de Tartu où, en 1964, il fonde l’École de Sémiologie Culturelle
Moscou-Tartu.
Considéré
comme un des premiers structuralistes soviétiques, Lotman invente, en 1984, le
terme « sémiosphère » désignant un aspect de la sémiotique.
Selon
Lotman, la « sémiosphère » est la totalité de l’espace sémiotique dans lequel
chaque texte ne peut exister sans entrer en relation avec la totalité de cet
espace :
L’espace
de la sémiosphère comporte un caractère abstrait. Cependant, cela ne suggère
nullement que le concept d’espace est utilisé, ici, dans un sens métaphorique.
Nous avons à l’esprit une sphère spécifique possédant des signes qui sont
assignés à un espace clos. C’est uniquement à l’intérieur d’un tel espace que
les processus de communication et la création de nouvelles informations peuvent
être réalisés.
En
prenant quelques fragments de textes littéraires estoniens traduits, on
cherchera à les lire et analyser selon le concept de « sémiosphère » de Lotman.
Patrizia Prati, Italie
·
L’Estonie dans un article d’Indro Montanelli du 1938
Né le 22
avril 1909 en Toscane et mort le 22 juillet 2001 à Milan, Indro Montanelli est considéré
comme l’un des meilleurs journalistes italiens du XXème siècle. Collaborateur au Corriere della sera, en 1974, Montanelli fonde le quotidien Il Giornale qu’il dirige pendant
vingt ans.
À cause
de ses chroniques sur la guerre civile espagnole, dans le quotidien romain Il Messaggero et dans
l’hebdomadaire Omnibus de Leo Longanesi, en 1937, le Ministère de la Culture populaire en
Italie l`élimine de la liste de journalistes et, à cause de ses positions contre le fascisme, on lui retire la carte du parti et il ne fait
rien pour la récupérer. Pour éviter le pire, Giuseppe Bottai lui trouve un
poste de professeur-lecteur d’italien à l’Université de Tartu, en Estonie et,
ensuite, le fait nommer directeur de l’Institut italien de la culture à Tallin,
la capitale.
Dans son
exil, Montanelli ne cesse d’écrire. Un de ses articles, Vita e anima del popolo
estone, publié le 15 juin 1938 dans le quotidien italien La Stampa, nous donne une
description très détaillée et personnelle du peuple estonien et, en
particulier, de la femme estonienne, du peuple qui chante et des paysages
mystérieux.
Avec une
lecture de quelques fragments de cet article, on proposera des réflexions
concernant le sentiment du journaliste italien envers le peuple estonien et
envers le pays balte, sa terre d’exil.
Angelo Valastro, Espagne
Écrits
par nos membres
Voici le
poème qui clôt le livre de Margaret Parry (présenté ci-après). Il a été inspiré
par les lieux où se sont déroulées les batailles de la Somme et que l’auteur a
visités à deux reprises (dans sa version originale : le lecteur comprendra pourquoi)
Stirrings
of Poetry
The
countryside traversed but yesterday-
Yet an eternity since then it seems-
Fold
upon fold of ripening corn
Where Ruth and Booz stood and dreamed
Like I once
dreamed, a schoolgirl, one of many in our form But suddenly alone
As rapt
I listen to her intone-
The French teacher, that is-
A poem,
The first essayed
in this another tongue. And suddenly I hung
The
words and rhythms new Soft cadences
Effacing all I thought, I knew Of this
strange tongue
Till now
a mere routine of learning, knowing.
I see
her still on that far distant afternoon
A vague smile on her lips as she
surveyed us all... Leconte de Lisle...
The name is etched in me
As yet I see
A
field of corn immobile as the noon
In shimmering tune
Inaudible
Thick lustrous
ears in silence hung
The words as yet unsung, till all at once a breath, a sigh
The murmuring of a aeolian harp
That ripples through
And the incline, these
sentinels to beauty
As if to some lost deity.
In every
village stolidly a church Whose bells at hours immovable
Ring out the
angelus;
Yes, still the ring from cavernous walls, Keepers of rhythms
immemorial
That
made the landscape what it was
And would be still,
Or toll lamentably for one
who’s passed
And never more his gaze will cast
As homeward bound his tractor
tops the hill
On tower or spire
Soaring o’er huddled roofs red in the evening
glow.
There
was a year when all that ceased to be; One year? Nay more, but “one” year says
it all, This arrestation in conceivable.
In that dread year they toppled one by
one, Razed by a instinct wild
Which stopped at nothing, would not even hide Its
will to move you too in thousands
So much carrion to a land
Modelled- or so
‘twas thought till then-
Bay God’s all’staying hand.
A land
scarred and pitted with shell holes, craters Where bodies could be poured,
obliterated
In one mas undertaking.
No
individual tombstones to mark their passing, Only torn excrescences
Which
once were arborescences Sole vertical element.
Until,
against a jagged bole, the veil dispersing
I see you, slumped in weariness,
incomprehension, Solitary,
The pals all scattered, gone
To different resting
places, or those still left of them. Your head is bowed in the apocalyptic
silence
To sleep, or simply not to see?
But no, the swirls of smoke receding,
I
see a hand that moves,
From left to right it moves and back again,
Now fast,
now low; now but a whisper, whimper Like of a child who’s cried his pain to
sleep
And now reposes in a mother’s arms.
Your head rests back against the
blistered bark Incarnate as the human mystery.
A dog
barks in the night
To rose me for a moment from my dream, then back
again;
Before I now a cock crow rends the morning air And soon the whole
community’astir,
Clogs, sabots, throbbing tractors all
String out the melody,
A
patchwork of russet, green and gold
Glorious to behold
As too the trees and
woods and coppices
That once upon a time, incomprehensibly,
They named Matthew,
Mark, Luke and John, Separate they stood but now they are all one
Like the
field of corn aglow under the mid-day sun.
Margaret Parry
Les cloches sonnent
Poème
extrait de la saga familiale de Marie Louise Reyen Scheidhauer, qui parle de
l’armistice de 1918 et du deuil qui frappe une famille dont le fils, un jeune
homme de vingt ans, vient de « tomber » sur le front belge.
Les cloches pleurent
Anna, ma
grand-mère, mon enfant, Que ne puis-je ranimer
Ton corps ainsi pétrifié
Marie Louise Scheidhauer
Publications
de nos membres
Elles
concernent essentiellement la période de guerre citée dans l’éditorial.
Margaret Parry, The war poets and the diary of an ordinary tommy, convergence,
class, and transmission, Austin Macauley
Publishers, LDT, 2017
Cent ans
après la Grande guerre, le journal d’un tommy
Il est
question ici d’héritage. D’un héritage spirituel qui s’accommoderait bien de la
phrase de Goethe : « Ce que tu as hérité de tes pères, gagne- le si tu veux le
posséder. » Encore qu’il ne s’agisse ni de gain, ni de possession, mais de
transmission. Margaret Parry a hérité du journal de guerre de son grand-père.
Cent ans après la Grande Guerre elle le publie dans un livre qui en constitue
l’écrin. Ecrin parce qu’il est entouré d’un florilège de poèmes et d’une
écriture issue du cœur de l’auteur. Héritage selon l’exergue d’Alain qui figure
sur la première page c’est-à-dire devoir envers un ancêtre à qui l’on doit la
vie et le désir d’écrire ancré dans le besoin qui avait déjà poussé ce
grand-père à écrire en ces jours si précaires de La Grande Guerre.
Dès le
départ Margaret Parry y pose des questions essentielles. Quel peut être
l’intérêt de publier le journal d’un simple soldat, d’un Tommy, cent ans après
? Comment se fait-il seulement que Harry Atkinson ait écrit ? D’autres hommes
qu’on appelle « les poètes de la guerre » ont aussi éprouvé le besoin de parler
du vécu de ce temps-là. D’autres sont morts non loin de Harry Atkinson dès les
premiers engagements meurtriers. Quelle place Harry Atkinson occupe-t-il parmi
tous ceux-là ?
L’auteur
présente son grand-père comme un homme pieux, très croyant, dont les
convictions profondes lui interdisaient de tuer un autre homme. Il était
brancardier et portait les blessés ou mourants des tranchées et du champ de
bataille jusqu’au lieu où ils étaient soignés. Il était un grand lecteur de la
Bible, livre essentiel de sa culture et de sa foi.
L’auteur
enquête en même temps sur les conditions dans lesquelles « les poètes de la
guerre » ont écrit et constate que les écrits révèlent combien le fait d’avoir
vu autour d’eux tant de morts, tant d’atrocités, tant de destruction, le fait
d’avoir partagé tant de souffrances ont rapproché ces hommes que les classes
sociales avaient séparés auparavant et ont suscité chez les officiers la
reconnaissance de qualités d’honneur, de dévouement, de camaraderie chez les
simples soldats.
Le
journal de Harry Atkinson occupe la place centrale du livre, le troisième
chapitre, intitulé « France 1916 : the War Diary of Harry Atkinson (1880-1938)
My visit
from Egypt to France (March 1th 1916).”
Je
découvre un écrit où la vie quotidienne, ses gestes, ses détails prennent une
intensité extraordinaire, celle de la vie du soldat, au front.
« We were taken into a
farm yard and allotted our apartments in the old outbuildings which were not
very weather proof...But being soldiers we had to stick it the best way we
could and say nothing, but I was very fortunate. I found a penknife while
preparing my bed...So my gain was some unfortunate chaps loss.. ..I will take
special care of it for him”
Cette
vie quotidienne est d’abord faite de longues marches vers le front à travers la
neige et le froid.
« On the 4th April we left
for a place called Bus and I was very fortunate on this move as about three or
four of us went by motor car. .. And now for once in our live we were in the
firing line within the range of the German guns.”
Ces
quelques lignes pour donner à voir et à entendre la voix de cet homme qui
raconte les minutes d’une vie inconnue qui s’invente au jour le jour et dont le
lecteur devine le prix.
Bien
entendu, en tant que brancardier, infirmier, il va en connaître les pires
atrocités dans un face à face avec la mort, la vie, l’inhumanité et la
fraternité. Les pages 54 à 57 sont peut-être les plus saisissantes du journal.
Elles relatent dans un langage si proche de la cruelle réalité décrite mais
sans emphase aucune, sans recherche d’effet, la tâche des brancardiers dans les
tranchées qui viennent d’être sous le feu de l’ennemi.
« I
landed into one of these holes and there I found there was a comrad. He was in
kneeling position. He had either been praying or looking over the top. I began
to speak to him and shake him but I found the poor unfortunate chap was dead”
Le
lecteur est saisi par ce récit à la fois dépouillé et précis et si plein de
ressenti.
Si le
livre a un tel écho auprès du lecteur c’est parce qu’il retrace aussi le chemin
que l’auteur a emprunté pour rejoindre le rédacteur du journal, son grand-père,
dans l’intimité de son langage. Chemin qui passe par la poésie. Le quatrième
chapitre « échos et interférences » met souvent côte à côte un poème « reconnu
» et le témoignage au jour le jour, montrant la pertinence de la voix du tommy
et son écriture étonnement juste qui révèle le poète en lui.
Le
journal mentionne le nom des localités où H. A. est cantonné, où il œuvre, où
il se déplace. Margaret Parry a entrepris un pèlerinage à travers ces lieux à
deux reprises et le livre consacre un chapitre aux photos qu’elle a pu prendre.
Et le lecteur est ému de trouver des noms qui ont été mentionnés plus de cent
ans auparavant par un protagoniste de l’Histoire, Harry Atkinson : Bus-en-
Artois, Calonne-sur-La- Lys, Beauval. Et les dépendances qui ont servi de lieux
de cantonnement, l’estaminet, le chemin qui allait à la ligne de front et ...le
cimetière et le monument aux morts etc. retrouvés par la petite-fille se
donnent à voir au lecteur. Les pages consacrées à la visite des lieux sont
pleines d’une émotion que l’écriture rend sensible à travers le récit de
l’arrivée dans un village a priori inhospitalier puis accueillant pour la
pèlerine.
Et le
livre se termine par des poèmes composés par Margaret, poèmes, voies du cœur
vers les mots pour dire ce qui perdure de ce temps-là, de ces hommes-là,
aujourd’hui, chez les vivants. Poèmes inspirés sur place.
«
Separate they stood but now they are all one
Like the
field of corn aglow under mid-day sun”
Et
retour sur la première de couverture qui montre un magnifique champ de blé
bordé de coquelicots ( poppies en anglais), champ à présent fertile après avoir
été un champ de morts et de destruction.
Le livre
est dédié à la mère de l’auteur. Ainsi trois générations assurent le relais
d’un récit historique et d’un vécu personnel proposés à la lecture des vivants.
Margaret
Parry, The
war poets and the diary of an ordinary tommy, convergence, class, and
transmission. Austin Macauley Publisher LDT, 2017
Marie Louise Scheidhauer
Retour
sur un ouvrage déjà cité dans le précédent numéro et très partiellement
présenté :
Nicolas
Bianchi and Toby Garfitt (eds), Writing the Great War Comment écrire La Grande
Guerre?
Francophone
and Anglophone Poetics
Poétiques francophones et anglophones, Peter Lang, 2017
Les
grands axes de ce travail universitaire ont été présentés dans le précédent numéro.
Je
voudrais ici souligner le fait que Toby Garfitt comme Margaret Parry s’intéresse
aux récits faits par des hommes, des soldats, qui jusque-là n’avaient eu que
peu droit à la parole.
Toby
Garfitt a parlé des soldats de couleur dont les récits oraux étaient souvent
perdus et dont il fallait chercher des traces dans des bribes de paroles ou de
chansons et Margaret a parlé du journal d’un soldat ordinaire, son grand-père.
Un
complément à la présentation précédente :
C’est la
question qui me paraît particulièrement importante : comment écrire la guerre ?
Comment
écrire ? Comment trouver les mots ? Comment inventer une forme en accord avec
l’expérience inhumaine de la guerre ? Peut-on encore écrire ?
Les
communications alternent en français et en anglais.
J’ai
découvert de grands poètes anglais comme Wilfred Owen aussi cité par Margaret
Parry, mais j’ai surtout pu approfondir (parce que le texte était en français)
sous l’angle particulier de la poésie des temps de guerre, ma connaissance de
Jacques Vaché, ce compagnon d’André Breton, à l’origine, avec ce dernier, de la
vague surréaliste, forme de protestation contre les conventions de la vie que
la guerre avait mises à mal. J’ai mieux compris comment à travers l’expérience
de la guerre, Louis Ferdinand Céline s’est forgé le style qui est le sien.
Comment un Proust est plus ou moins représenté dans ses positions vis-à-vis de
la guerre par un de ses personnages, Charlus, alors que Céline et Jean Renoir
s’expriment plus directement. Et surtout comment une poésie conventionnelle et
épique de la guerre a été mise à mal par l’atrocité d’un vécu et l’hécatombe
qui a fauché des millions d’hommes.
La
lecture de ce volume est riche de toutes les questions qu’il pose : sur les
sources, leur interprétation, leurs limites. Sur une question, pour nous
essentielle : qu’est-ce qu’une œuvre littéraire ? Quelle est la valeur d’un
écrit qui refuse les canons admis pour chercher d’autres langages plus justes
vis-à- vis d’une expérience vécue ? Comment dire l’indicible ? Comment
l’expérience de la guerre oblige-t-elle à trouver une nouvelle écriture ?
L’ouvrage
est passionnant pour tous ceux qui se posent ces questions au sujet de l’acte
même d’écrire.
Marie Louise Scheidhauer
Anne
Hogenhuis et l’Histoire
A.
Hogenhuis a aussi abordé dans Zinaïda le problème de la formidable secousse
existentielle qui a ébranlé le XXème siècle naissant.
Voici un ouvrage qui
participe à la réflexion sur les dessous d’une Histoire encore très
énigmatique.
Anne
Hogenhuis, L’affaire du général S., gendarmes et terroristes, éd. APOPSIX , 2017
NOTE DE
LECTURE
L’affaire
du général S. , gendarmes et terroristes, vient de paraître aux éditions APOPSIX. Anne
Hogenhuis, dont nous connaissons les talents d’écrivain et de biographe, nous
entraîne à sa suite dans l’aventure incertaine d’une plongée dans les archives
de la police française et du Ministère de la Défense, et, ce qui est plus
intrigant, à Moscou, dans celles de l’Etat russe.
C’est
bien un roman qu’il lui a fallu bâtir lorsqu’Anne Hogenhuis a entrepris de
mener l’enquête qui, l’espérait-elle, éclairerait l’obscure histoire d’un
assassinat commis à Paris en 1890. Pourtant, et c’est un paradoxe, la
narratrice n’a pas cessé de travailler comme historienne et archiviste à la
reconstitution du passé de ce général russe, cousin de son arrière- grand-père,
et dont son père ne voulait pas que l’on se souvînt, ce qui explique la
faiblesse de la tradition orale familiale.
L’enquête
était difficile, car le secret est de règle dans la vie des policiers
responsables de celle des chefs d’Etat, et les nombreux déplacements du
personnage ne s’expliquaient pas uniquement par ses activités au service du
Tsar. Pourquoi vivait-il à Londres et à Paris plus souvent qu’à Saint-
Pétersbourg ? Nous savons que Paris était un refuge pour les nihilistes et les
terroristes, mais parmi les Russes à Paris, nous connaissons surtout des
écrivains et des peintres ; nous ne soupçonnions pas la présence, étrange il
est vrai, du chef de la police politique du Tsar !
Tout au
long d’une suite de recherches minutieuses, dont elle ne nous cache ni les
échecs ni les incertitudes, Anne Hogenhuis trace le portrait d’un homme et
d’une époque. La désagrégation de la société russe se voit de l’intérieur,
tandis que l’aristocratie voyage en Europe et dépense follement les richesses
qu’elle tire de ses domaines. Loin de vouloir réhabiliter son lointain ancêtre,
Anne Hogenhuis explore pourtant les aspects de sa vie qui peuvent être
considérés comme positifs, afin de comprendre qui l’a tué et pourquoi.
J’ai
apprécié la peinture de cette époque troublée, le rappel des souvenirs
familiaux, le portrait des personnalités publiques qui ont œuvré pour
l’Alliance Franco-Russe. Le mystère très balzacien qui émane de cette histoire
me l’a rendue plus séduisante que sa rigueur scientifique ne le laissait craindre.
Claude Hecham
Nouvelle
parution
Roger
Bichelberger,
l’un des membres fondateurs de l’AEFM, vient de publier un
nouveau roman : « Lettre à une trop jeune morte » chez Albin Michel.
C’est le
dix-septième ouvrage dont douze romans qu’il publie chez cet éditeur, mais il a
publié aussi de nombreux autres ouvrages chez d’autres éditeurs dont le dernier
en date est un récit publié en 2016 chez Salvator : « Si j’avais été riche »,
récit autobiographique qui vient de paraître en Italie.
A
l’occasion de la sortie de son nouveau roman, une soirée a été organisée, le
mardi 13 mars dernier à la mairie de Forbach, en Lorraine, où Roger a été
professeur. Une soirée riche et variée comme à chaque fois, ponctuée
d’analyses, de lectures, et aussi de chants par le chœur d’hommes de
Hombourg-Haut, mais une soirée particulière cependant car Roger n’y a fait
qu’une courte apparition en prononçant quelques mots essoufflés en début de
soirée, sa santé ne lui permettant pas de rester plus longtemps.
Après
les remerciements d’usage, il a présenté son roman.
Il a
expliqué que le fait de rester cloitré chez lui pendant trois ans à cause de
ses gros soucis de santé lui a permis de découvrir vraiment Foulques Nerra, le
puissant comte d’Anjou, l’un des hommes les plus puissants et les plus cruels
du royaume de France qui, au retour de son troisième pèlerinage à Jérusalem, au
printemps 1040 (soit 55 ans avant la première croisade), sentant sa fin venir,
écrit une lettre à son épouse Lisabeth décédée 50 années plus tôt dans
l’incendie de leur château. Roger cite alors l’un de ses lecteurs disant que «
Elisabeth, la grande absente dans ce roman en est la figure essentielle ».
Le comte
d’Anjou confie à un scribe le récit de sa vie, une vie de violences et de
crimes commis durant les guerres menées pour agrandir ses terres, mais aussi sa
quête du pardon qu’il tente d’obtenir en se rendant sur le tombeau de l’Homme
crucifié auquel le lie une ferveur sans nom, et en faisant édifier de nombreux
châteaux et monastères. Ce roman décrit un personnage féodal déchiré entre ses
pulsions guerrières (qui déchirent tant d’hommes encore de nos jours), son
attachement au Porte Croix de Nazareth et son amour pour son épouse disparue.
L’amour n’est-il pas la seule puissance capable de contrecarrer le crime ?
« Lettre
à une trop jeune morte » est un roman court, à l’écriture « ciselée », comme le dira Elise
Fischer et comme le précisera le film qui suit, intitulé « Ecrire pour vivre ».
Ce film, coproduit par une chaîne de télévision locale et la médiathèque de
Forbach, se termine par une interview de Roger par Elise Fischer que nous
avions rencontrée à Fontenoy la Joûte en 2008, lors de la rencontre de Pont à
Mousson.
Marie-Cécile Schroeter
Dialogue
Pour
continuer la réflexion de Margaret Parry sur le livre de F. Cheng intitulé De l’âme, (cf. Intervoix 37)
, il peut être intéressant de lire : Madeleine Bertaud, Lire François Cheng,
poète français, poète de l’être, Hermann Ed., 2017
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire