ÉDITORIAL
Une première matinée dans une nostalgie de toujours
Il y a
30 ans, ce dimanche soir d’octobre, jour pour jour, nous étions réunis dans la
cour de Malagar, embrasée par le soleil du couchant. C’était la dernière soirée des célébrations
marquant le centenaire de la naissance de Mauriac. Nous, c’étaient les Mauriaciens venus d’un
peu partout, et avec nous la famille Mauriac, Jean et Claude entre autres. Petit à petit les ombres s’accumulaient…
moment tout spécial avant la dispersion.
Il y avait le murmure des voix, le chuintement des graviers sous les pieds,
l’ombre du tilleul si cher à Mauriac, souffrant déjà. Et tout d’un coup l’obscurité était
totale. Ne restait plus que la maison,
incandescente dans le rougeoiement du couchant.
Ce fut, à cette heure-là, qu’a soufflé l’esprit dans trois cœurs amis. L’idée de notre association était née.
Metz,
30 ans plus tard, lieu de convergence sur une autre colline, où le soleil ne
lésine pas ses rayons pour révéler la ville dans toute sa splendeur. A aucun moment plus perceptible pour moi que
cette première matinée, qui a vite fait d’effacer quelques ombres traînantes,
comme le tableau du ‘Prisonnier’ dans le musée des Beaux Arts, symbole des
forces oppressives qui laissent partout dans la ville le souvenir de leur
présence. Devoir de mémoire, donc, et
l’on interroge le noble visage du jeune homme encadré. Mais sous l’impulsion d’un autre parcours
l’on passe devant pour laisser jouer l’imagination devant un autre tableau,
celui de Metz-Jérusalem, et sortir ensuite dans le soleil matinal des Hauts de
Sainte-Croix, errer dans ruelles et petits squares où finissent de s’installer
tables et chaises et parasols comme pour un « déjeuner sur l’herbe »
dans la joie souriante de la matinée.
Hélas,
c’est trop tôt, et je m’aventure plus loin à la recherche de l’ancien cloître
des Récollets, beaux restes du 14ème siècle de l’ancienne abbaye franciscaine
où va avoir lieu notre colloque (aujourd’hui Institut européen de l’Écologie –
retenons ce fait). Qui rappelle tout de
suite un autre cloître, celui de l’abbaye des Prémontrés dans cette même région
frontalière si chère à notre association, puisque associée justement à quelques
événements clés de notre histoire et de notre vie…
« Souvenir, souvenir, que me
veux-tu …? »
Juste
avant le cloître, entre les hauts murs de la ruelle étroite, quelle est cette
senteur délicieuse qui nous envahit ?
On lève la tête et le mystère s’éclaire.
S’élève au-dessus du mur un immense tilleul qui baisse ses branches
fleuries pour embaumer tout le quartier.
Et c’est comme sous l’effet du célèbre breuvage de Proust. La cour de Malagar est encore là et l’esprit
de François Mauriac pour présider à notre colloque – ce mouvement
d’intelligence et de cœur pour faire éclore l’essentiel des choses.
Cet
essentiel qui est dans le rappel partout présent dans cette ville lumière de
l’esprit indomptable de l’homme pour rétablir le sens et l’harmonie des
choses. Rappel qui est là, presque
côtoyant le cloître, en bas de la rue des Enfers (que ce nom aurait plu à son
célèbre habitant !) dans la maison dite de Rabelais, qui a offert refuge
et hospitalité à l’écrivain chassé de
son pays, et la respiration d’un air plus libre pour pouvoir continuer son
œuvre. Rappel qui est là dans le
rayonnant sourire des gens qui entrent et sortent du Temple Neuf planant sur
les eaux tranquilles de la Moselle, comme s’ils étaient allégés du poids d’un
mauvais souvenir. Rappel qui sera là
tantôt dans la modeste mais si belle demeure de Robert Schuman avec son jardin
accueillant, toujours imprégnée de l’esprit du fondateur de l’Europe – cette Europe si vacillante à
l’heure présente, comme d’ailleurs la nature…
Cette
nature toujours si vivante, pourtant, à Metz, pour élever l’esprit dans le
spectacle de sa beauté. Dont le symbole
restera pour moi, en cet été de 2015, les allées de tilleuls dont on respire partout le parfum comme une
grande bouffée de bonheur et d’amitié.
Pour
combien de temps encore connaîtrons-nous de ces instants de plénitude grâce au
lien profond avec la nature, que chantait François Mauriac, que chantait St
François (celui-là même de notre cloître des Récollets) dans son ‘Cantique au
soleil’, que voudrait chanter aujourd’hui un autre François, son héritier, dans
son encyclique Laudato Si, sortie en librairie presque au même moment que notre colloque.
« Les arbres meurent comme les
hommes. »
J’ai
soudain devant moi l’image du bloc de ciment dans le tilleul de Malagar.
Si,
dans son encyclique sur la sauvegarde de la nature, François évoque à peine les
arbres comme nous les vivons, nous, dans leur poésie intime, nous avons eu,
dans notre colloque, le privilège d’écouter une communication sur le mystère
des arbres qui poussent leurs racines jusqu’au fond de notre mémoire pour faire
naître petit à petit la nostalgie de l’avenir… la nostalgie des cimes,
pouvons-nous dire, qui porte le regard toujours au-delà, comme vers une mer
lointaine. Mais pour cela il faudrait un
terrain fertile, richement entretenu.
Il y avait Metz ; il y aura un jour
l’Estonie…
Vient à notre aide le beau mot de Saint-Exupéry :
« Seul l’esprit s’il souffle sur la glaise
peut créer l’homme. »
Margaret Parry
Metis
Le cloître des Récollets a été un refuge pendant les journées de
canicule qui ont sévi dans l’est de la France, en ce début de juillet 2015.
Refuge où pourtant régnait une belle effervescence de l’esprit.
Dans la salle du chapitre, se sont succédé des voix venues de l’Europe
et d’ailleurs, de la musique, des lectures nostalgiques.
Dans le cloître même se sont croisés les membres de l’AEFM et des inconnus vite adoptés, des
intervenants venus de bien des pays qui ont révélé de surprenants paysages de la nostalgie. Et le monde s’est
élargi, le monde des livres certes, mais aussi le monde de la rencontre, le
monde des échanges humains, le monde tout court.
C’est pourquoi nous tenons à remercier ici tous ceux qui ont contribué
à cette rencontre et en particulier ceux qui l’ont organisée:
Nina Nazarova, Galyna Dranenko, Pierre et Marie-Cécile Schroeter,
Claude Hecham.
Après le colloque
Promesse d’un colloque
Qui sait l’effet de revenir dans un lieu apprécié jadis grâce à des
séjours répétés mais dont la trop courte durée ne donne donc pas droit au titre
de connaisseur? Une région, une ville, une maison, une association ? L’AEFM
était déjà revenue en Lorraine lors du colloque de Pont-à-Mousson (1988) avant
la rencontre de Maizières-lès-Metz (1993) mais il a fallu attendre 2015 pour se
retrouver à Metz intra-muros. J’avais découvert la ville entretemps grâce aux
relations qui s’étaient nouées dans les entretiens, réunions et débats autour
des lettres, la spiritualité et l’œuvre de François Mauriac. Colloque veut dire
aussi séminaire et nous voilà réunis au cloître des Récollets dans la salle
capitulaire qui aurait pu servir en d’autres circonstances à rassembler un
consistoire voire un synode en cette ville marquée par le concordat et la
présence des Eglises protestantes d’Alsace et de Lorraine. Autant d’images
gravées au fond de la mémoire du congressiste, ce touriste intellectuel qui se
promène dans des lieux chargés d’histoire. On se justifie par l’activité de
l’esprit et on ramène dans ses bagages des instantanés qu’on admirera plus tard
chez soi.
« Tout ce qui dure est en état de perte » écrit l’écrivain lorrain
Roger Munier (1923-2010) dans Lettre à personne sur la maladie (Amiens,
Le Nyctalope, 1986) et ainsi celui qui revient dans un lieu connu jadis
découvre que c’est le lieu qui vient vers lui sous un angle nouveau et cela
sans nostalgie aucune. Tel est le constat de Robert Scholtus, écrivain messin,
participant au colloque et auteur de Promesse d’une ville (Paris, Arléa,
2012), le récit touchant de son retour à Metz après dix ans d’absence à Paris.
L’auteur découvre de nouveau sa ville natale imbibée de souvenirs mais l’intime
cède la place au réel d’aujourd’hui. La mémoire devient la clé de l’à-venir, de
la surprise, de l’instant, des souvenirs révisés quand il ne s’agit pas de
l’invention dans le sens archéologique de la découverte inattendue de ce qui
était caché et qui mène loin. Ainsi le nom de la ville est du féminin malgré la
terminaison masculine : « Metz est une femme, à n’en pas
douter » (Scholtus, p. 49).
De retour dans une ville et dans une association après des années
d’absence on reçoit des impressions nouvelles. L’AEFM a grandi, étalant
toujours ses bras au nord, à l’est et au sud sur le continent africain,
toujours fidèle aux qualités fondatrices d’ouverture et d’approfondissement.
D’une séance à l’autre on découvrait des valeurs sûres comme l’œuvre de
Chateaubriand, Mauriac, Alain-Fournier, Camus et Kundera à côté d’auteurs
récents comme le Lorrain Bernard-Marie Koltès mais aussi Amélie Nothomb,
Patrick Modiano, Michel Houellebecq et Mathias Enard. Des auteurs venus
d’ailleurs : Schiller, Pirandello, Alexandre Márai et Sebastian Barry sans
oublier les textes du Liban, du Sénégal, de Russie, ni l’Italie et la musique,
ni la peinture et la photographie. La présentation allait de la conférence
universitaire à la causerie intellectuelle et à la fausse vraie spontanéité de
l’expérience vraiment vécue.
La maîtrise de l’espace urbain permet de contrôler la reproduction
sociale et on cite souvent en exemple le Paris de Haussmann sans ignorer le
contraste qui continue d’exister avec la ville séculaire et populaire. Ne
dit-on pas qu’après avoir vécu à Paris, on est (in)capable de vivre ailleurs, y
compris à Paris ? Le voyageur revenant à Metz constate combien la ville possède
de visages historique et contemporain. Tous ne sont cependant pas unanimement
appréciés par les Messins ce qui est leur droit. Les petits pays et régions
sont les plus intéressants, souvent à cause des traces trop visibles d’une
longue présence étrangère. Le guide Michelin Vosges. Lorraine, Alsace,
publié en 1964 et qui appartenait à feu mon beau-père, germanophile (il avait
voyagé en Allemagne dans les années 1930) et germanophone (il était aussi
arabophone), évoque l’occupation allemande de l’Alsace-Moselle entre 1871 et
1918. On y évoque tristement la « Capitulation de 1870 » et la trahison de
Bazaine suite à laquelle : « La statue de Fabert est voilée de crêpe. Metz, en
deuil, subit la pire humiliation de son histoire. » La restitution en 1918 est
évoquée de manière triomphale voire lyrique et l’allusion au retour fait réfléchir
au moment du défi du fédéralisme européen :
Pendant quarante-sept ans, Metz supporte la plus dure des occupations
mais elle ne désespère pas de son retour à la mère-patrie. Le 19 novembre 1918,
les troupes françaises font leur entrée à Metz. Le 8 décembre, les présidents
Poincaré et Clemenceau sont dans la ville. Au cours d’une émouvante cérémonie
en l’honneur de nos armées et de leurs chefs, les deux hommes d’État
s’étreignent dans une longue accolade. (p. 100-101).
Mon beau-père était très attaché aux traditions germaniques de
l’Alsace-Lorraine, son père avait fait la Grande guerre comme officier mais il
ne commentait pas ces évènements, pas plus que « la drôle de guerre » de
1939-40 à laquelle il a participé en Lorraine et on comprend son embarras.
Le passage du temps crée l’habitude et sans doute les Messins n’ont-ils
pas vécu assez longtemps sous la présence étrangère pour s’y habituer, à
l’encontre des pays ayant subi une occupation séculaire ou les colonies
devenues indépendantes et qui restent attachées aux signes de l’ancien maître
impérial. L’architecture germanique néo-romane du Quartier impérial de Metz,
dont la Gare et la Poste, possède cependant aux yeux des non-Messins un charme
sûr, tout comme le style néo-Renaissance du Palais du Gouverneur, conçu comme
pied-à-terre pour l’empereur Guillaume II, et le Reichsbank, l’ancienne banque
impériale. Le voyageur regrette la brasserie de la gare mais retient son
souffle en remontant l’avenue Foch vers l’avenue Jean-XXIII car elle s’appelait
Kaiser Wilhelm Ring jusqu’en 1918 et, ce qui est plus sinistre, Hermann
Göringstrasse de 1940 à 1944. Le chemin des Récollets conduisait le
congressiste à travers le centre piétonnier aux pavés anciens sous le signe du
Graoully et si la maison de Verlaine se trouvait à l’autre bout de la ville,
celle de Rabelais était à cent mètres. L’excellente visite guidée des vitraux
modernes de la cathédrale (Chagall, Villon (le frère de Marcel Duchamp),
Bissière, Gaudin), qui possède la plus grande surface vitrée de France, était
un moment fort tout comme d’y voir la chaire de Bossuet. Si les vitraux de
Cocteau à l’église Saint Maximin sont certes jolis, l’église elle-même est une
vraie beauté romane sans oublier l’extraordinaire quincaillerie dans la même
rue Mazelle, ni le temple néo-Renaissance luthérien de la confession
d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine presque en face de l’église. Outre-Seille
intrigue car, comme dans un autre quartier de tanneurs celui de la Bièvre,
enterrée elle à Paris, le cours d’eau y a disparu aussi, asséché et le quartier
qui n’a plus rien d’outre-quoi-que-ce-soit garde pourtant un charme médiéval où
résonnent aujourd’hui les accents des Lusophones.
Metz s’est dévoilée à l’image du colloque, l’une et l’autre ouvrant à
qui le cherchait une perspective nouvelle sur des sujets qu’on croyait
connaître. Le marché couvert de Metz face à la cathédrale, situé dans ce qui
devait être à l’origine un palais épiscopal, confirmait dès sept heures, le
samedi matin, par la quantité de produits d’origine italienne, l’importance de
cette seule communauté en Lorraine. L’attachement des Messins à la charcuterie
locale était évidente à la vue des très longues doubles files d’attente devant
les étals où chacun avait son ticket d’arrivée, arrimée à la main et où les bonnes
choses s’échangeaient au son de l’accent local où les « t » finaux se faisaient
clairement entendre (« vingt »), confirmant la proximité d’une des plus
anciennes frontières linguistiques d’Europe où coexistaient dès le 3ème siècle
les parlers celtique, germanique et roman. En fermant les yeux on se serait cru
en Belgique.
Les limites administratives suivent des lignes géographiques,
politiques, linguistiques ou confessionnelles. Cependant la Metz du colloque, à
l’instar d’autres villes réelles ou imaginaires, et ressemblant au tableau
Polombe de F. Stella au Centre Pompidou de Metz, suivait plutôt la forme de
petits cercles qui se croisaient et où la rencontre se faisait à l’intersection
des arcs, le tout à l’intérieur d’un grand cercle dont le centre est partout et
la circonférence nulle part. Le temps du colloque, en attendant la lecture des
actes, a permis de vivre et d’échanger dans la diversité, confirmant que la
véritable culture n’est pas celle qu’on absorbe mais celle qui sort du cœur (Mt
15 : 11). Un grand merci aux organisateurs dont le travail de préparation et la
rigueur opérée dans les choix ont ouvert sur un vaste territoire humain,
artistique, littéraire et urbain : celui du monde en devenir et celui de
l’humanité qui cherche à vivre les vertus de la vie solidaire.
Patrick Gormally
Metz après Metz
Pour moi, la France
s’est révélée, d’abord à travers les Français voyageurs, admirateurs et fins
connaisseurs de l’art et de la culture. Ils étaient arrivés au Monastère
d’Agapia, au nord-est de la Roumanie. Dès mon enfance, le premier mot français
que j’ai appris a été « Bonjour! ». Je l’entends toujours, comme je
le voyais, hier comme aujourd’hui, sur les visages des Français, arrivés chez
nous, en Moldavie. En descendant de leurs voitures, ils nous donnaient tout de
suite de petits cadeaux, toujours les mêmes: du chocolat, des bonbons et des
crayons à billes. Ici, ils pouvaient contempler la peinture murale de l’église
et ils avaient aussi la chance de rencontrer
et de s’entretenir avec les immortels d’Agapia, les personnages du roman
de C.V.Gheorghiu, qui vivait à Paris et qui a rendu éternelle la 25ème
heure, connue de chacun d’entre nous, les terriens, suspendus entre la
lumière impérissable de l’instant imprévu de la vie et la quête sans conquête
d’un Absolu irrésolu, sinon dans l’amour. L’amour et la beauté qui vont sauver
l’homme menacé sur la terre.
Puis, à l’école, j’ai
été mis à l’épreuve de prononcer, en français, les phonèmes et tout de suite
j’ai compris que j’aimais tout ce que j’avais, mais que je n’avais pas tout ce que j’aimais. Ensuite,
au lycée et à la faculté ce furent les années folles de la félicité de lire en
français, d’apprendre par cœur des poésies et la révélation de la mort, grâce à
Bossuet: je venais de construire mon
personnage et c’était sous la forme d’une image, celle de l’homme qui passe. A.
Malraux allait retourner cet énoncé sceptique en disant: « La vie n’est
rien, mais rien ne vaut la vie. »
Et ce fut décembre 89.
Grâce au journal Libération, qui a publié mon adresse, j’ai reçu, tout d’un
coup, plus de 50 lettres, envoyées par les Français et des colis pleins de
livres
.
Invité par l’AEFM, j’ai
participé à plusieurs colloques. Le premier reste gravé dans ma mémoire
affective par la lumière de la Cathédrale Saint Etienne, dont les vitraux m’ont
fasciné jusqu’au comble de la contemplation divine. Ici, s’est passé mon
baptême de France. Ici, s’est passé ma renaissance. Ici, j’ai retrouvé ma mère
adoptive, après une attente de 25 ans. J’ai appris et je savais ses paroles,
mais je ne la connaissais pas encore. De plus, pendant la dictature, à l’école,
j’avais eu l’impression que j’enseignais une langue morte, comme le latin,
parce que, c’était interdit d’avoir des contacts et de communiquer en français.
Aussi, le moment le plus pénible était
celui où mes élèves répétaient « j’aime le chocolat » alors qu’
ils n’en avaient jamais vu.
Aussitôt arrivé à Metz,
Marie-Cécile, ma marraine, m’a conduit, toute une après-midi par la ville et me
l’a fait connaître. Dans la Cathédrale Saint Etienne nous sommes restés
longtemps en admiration. Les vitraux de Chagall et de Béatrice Simon, je les ai retrouvés cet été, lors du Colloque
de l’AEFM, au thème généreux, La Nostalgie, grâce auquel j’ai vécu un instant d’éternité,
celui de mon double JE : moi, d’autrefois, l’enfant prodigue, et moi, du
présent, en présence de mes meilleurs amis, dans le Jardin des simples, qui
était comme une préface à l’entrée de la Salle de conférence.
Le moment culminant
s’est passé le jour de la visite de la Cathédrale Saint Etienne, où j’ai
retrouvé ma marraine, Marie-Cécile. C’était ma vingt-cinquième heure, après
vingt-cinq ans d’attente. J’ai retrouvé aussi ma mère adoptive, la douce
France, l’esprit de finesse français, l’élégance, l’air respirable de la
liberté, et l’amitié spirituelle des rencontres littéraires, sous la protection
du Verbe divin, mis à l’épreuve, dans la beauté de la lumière. Les Français
maîtrisent l’art de communiquer, c’est-à-dire, d’être à l’écoute de l’autre.
Exigeants avec eux-mêmes, ils ne s’imposent que par l’ouverture de l’esprit.
Un autre jour, d’autres
vitraux nous attendaient. Les quinze célèbres vitraux de l’Église Saint
Maximin, conçus par Jean Cocteau, qui sont sa promesse d’éternité, dans un
registre judéo-chrétien. Adam et Eve – les mondes surnaturel et terrestre liés
entre eux par la croix du Christ – la colombe, symbole de l’esprit de Dieu, qui
préside à la création. Nous sommes face à une partie du vitrail qui illustre la
Genèse.
Je n’oublie pas les
témoins antiques, le site de Grand, un sanctuaire dédié au dieu guérisseur
gallo-romain Apollon-Grannus, édifié au Ier siècle, La Citadelle, La Chapelle
des Templiers et d’autres repères qui invitent et séduisent. Au pays messin, tu
te retrouves au présent, comme un enfant, au pays d’une histoire vivante.
Heureux celui qui comme
Georges a retrouvé sa mère adoptive, et la Cathédrale où Chagall, dans un
vitrail, a fait s’accomplir l’amour. Il a préfiguré Eve enceinte, comme une
lumière qui se montre à travers l’ombre. Terrible vision de l’amour de Dieu, un
amour partagé, et non pas ignoré.
À la fin, enfin, je me
suis retrouvé comme chez moi, dans une maison, la Maison de Robert Schuman, le
Père de l’Europe, où règne la paix de la sagesse, dans la bibliothèque, comme
dans le bureau, dans le jardin, comme dans le garage, dans la cuisine, comme
dans la chambre à coucher. Partout, on respire l’air de la modestie, de la
simplicité, et de l’esprit. Voué à la communauté, Robert Schuman s’est dévoué
comme à une famille, à l‘Europe, à qui il a donné son nom,
« immortel ».
J’attends l’occasion de
revenir en France pour pardonner à la Seine qui a englouti deux poètes nés en
Roumanie: Gherasim Luca et Paul Celan. Tous les deux sont pour nous
l’inter-face d’une éternité vivante!
Georges Simon
Agapia-Roumanie
Pères et Fils
Les pères
fondateurs de l’Europe
Sur les coteaux mosellans, ce jour-là écrasés
de soleil, un petit groupe d’Européens se tient devant la sculpture érigée en l’honneur
des pères fondateurs de l’Europe: Jean Monnet, Konrad Adenauer, Alcide de
Gasperi et Robert Schuman.
Cette sculpture monumentale regarde en
direction de la vallée, comme vers une terre promise, l’Europe, qui vue de là,
ressemble à un jardin qui descendrait vers une
rivière en contrebas, la Moselle. Le point de vue est très beau. La
promesse aussi. L’espérance aussi. Et nous, qui sommes rassemblés autour du
monument, nous sommes un peu les enfants de la promesse: Italiens, Espagnols,
Anglais, Irlandais, Estoniens, Ukrainiens. Libanais, Roumains, Français.
Cette sculpture est réalisée à côté de la
petite église fortifiée du XIIème siècle où repose Robert Schuman. L’auteur du
Plan Schuman.
« La paix de l’Europe ne saurait être
sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la
menacent »
Voici la première phrase, jetée, en 1950, sur un brouillon, précurseur du Plan Schuman.
Il a fallu une volonté de paix et quelques hommes pour la porter. Nous sommes
debout à côté de ces hommes aujourd’hui décédés et nous avons à accomplir notre étape.
« Le gouvernement français propose de
placer l’ensemble de la production franco-allemande de charbon et d’acier sous
une Haute Autorité commune dans une organisation ouverte à la participation des
autres pays de l’Europe. »
Voici la première étape. Il s’agit d’un projet
commun qui permet de se parler non pas en dualité, mais autour de quelque
chose.
Nous, membres de l’Association Européenne
François Mauriac, nous cherchons un
esprit commun à cette Europe. Nous
cherchons et cherchons quelque chose qui nous dépasse et nous l’avons déjà un
peu trouvée au sein de notre groupe, uni par l’amour de la littérature et par
quelque chose de plus qu’on pourrait
appeler une ouverture à l’autre, qui
vient du fait que nous nous rencontrons, nous nous parlons, nous nous connaissons.
Nous hébergeons l’autre en nous.
Nous sommes un embryon et ne demandons qu’à
croître.
A l’horizon: réconciliation, solidarité, paix!
Hélas, nous en sommes loin. L’Europe n’est pas
une île. A ses confins, la terre tremble.
Nous ne pouvons ignorer que la paix est
menacée.
Mais en ce jour de juillet, dans la maison si
simple de Robert Schuman, si semblable, côté jardin à celle de François Mauriac
à Malagar, sans le tilleul, bien sûr, mais avec une vallée et un horizon comme
à Malagar, je suis émue. Il suffit de quelques hommes de bonne volonté pour
changer la face du monde.
A Metz on sait ce que signifient l’annexion, la
main mise sur un peuple, l’humiliation, l‘oppression, la guerre, la répression,
la déportation, l’incorporation de force, la mort. C’est donc au sein du
malheur qu’est née cette idée utopique
de la Paix.
Je déambule dans la maison où les livres s’entassent
sur les rayons. Je m’attarde dans la petite salle à manger qui a vu passer des
grands… et des petits. Je m’attarde dans
le bureau, lieu d’échanges passionnés.
Je déambule dans le jardin et souhaiterais m’y
attarder comme dans un coin de paradis où pousseraient de la vigne, des arbres fruitiers, des
framboisiers, des herbes aromatiques de toutes sortes, des fleurs à profusion.
Et un arbre de vie.
C’est là qu’a vécu un homme qui a cru en l’homme.
Marie Louise
Scheidhauer
Le plus jeune participant
Les yeux bleus, les cheveux de lin, le sourire charmeur, il est dans la
salle et écoute les participants au congrès.
Même s’il ne connaît pas la langue, il semble très attentif à ce qu’ils
disent et filme tout ce qui l’intéresse. C’est la première fois qu’il assiste à
un congrès, mais le milieu universitaire lui est très familier. Il a son badge
sur le revers et il est très élégant avec sa veste gris clair. La canicule est
oppressante même dans le cloître des Récollets, cependant pas une goutte de
sueur ne perle sur son front. Il se déplace en vrai gentleman, même quand il
sort de la salle pour faire un saut dans le cloître.
Il vient de Madrid, mais il parle parfaitement italien avec son père,
qui est professeur universitaire, et avec les autres italiens présents dans la
salle. Grâce à son bilinguisme, il passe de l’espagnol à l’italien avec une
facilité enviable et quand quelqu’un lui dit, en français: « Comme tu
es beau ! », il lui répond un
timide: « Merci ! » et il boit du petit lait, mais toujours
avec l’aplomb qui le distingue.
Il ne se lasse pas de regarder autour de lui, tout en restant toujours
près de son père, qui lui donne de l’assurance.
Quand le congrès commence, il est assis au septième rang des chaises
et, à côté de son père et de moi-même, il écoute en silence l’ouverture du
colloque par la Présidente Nina Nazarova.
Vers dix heures et demie, au moment de la pause, il court heureux vers
le fond de la salle et, cinq secondes à peine plus tard, il prend une douzaine
de petits croissants, deux ou trois pour lui et les autres pour son père, pour
moi et pour ceux qu’il avait rencontrés ce matin.
Même s’il ne restera pas dans la salle tout le temps, parce qu’il a
envie de courir en plein air comme tous ceux de son âge, coûte que coûte, il ne
rate pas mon intervention, qui est programmée dans l’après-midi de la première
journée, ni celle de son père ni celle de son amie Thais, les deux
programmées pour le lendemain. Il est curieux de nous écouter parler en
français, mais surtout il est curieux d’écouter son père, qui souvent étudie
le français pendant qu’il fait ses
devoirs, les deux assis dans le même bureau en se regardant dans les yeux et en
s’amusant quand ils ont envie de faire une pause.
Quand je finis mon intervention, il court vers moi avec un petit
croissant à la main et me lance : « Prends, c’est pour toi » et je me
laisse émouvoir par son regard lumineux et souriant.
Il a dix ans, il est le plus jeune participant au congrès, les yeux
bleus, les cheveux de lin, le sourire charmeur.
Patrizia Prati
Le poète
Nostalgie de Verlaine
Paul Verlaine est né à Metz, nous avons aperçu sa maison natale en
visitant la ville. Mais il est né sous le signe de Saturne et ne devait pas
devenir Messin mais garder jusqu’à la fin de sa vie la nostalgie de ce lieu si
éloigné de Paris.
Ô Metz, mon berceau
fatidique,
Ainsi commence la sixième strophe du long poème intitulé
simplement METZ., écrit sur un
lit d’hôpital par un homme de 48 ans qui n’a plus que quelques années à vivre;
mais quelles années! Celles où il sera sacré Prince des Poètes et composera
encore ce recueil d’INVECTIVES publié après sa mort en 1896. Le ton des vers , tantôt lyrique tantôt
épique, fait écho au nationalisme revanchard de ces années précédant la guerre
de 1914.
Metz, violée et plus
pudique
Et plus pucelle que
jamais!
La guerre de 1870 avait fait perdre à la France l’Alsace et la
Lorraine; vingt ans après la défaite, Verlaine se souvenait avec nostalgie de sa
terre maternelle:
Ô ville où riait
mon enfance
Ô citadelle sans
défense
Q’un chef que la honte
devance
Ô mère auguste que j’aimais.
Qu’aimait-il donc à Metz, lui qui n’y avait vécu que quelques années
avant l’âge de six ans?La porte Serpenoise, la Moselle ,
la Seille, rivière prolifique, la cathédrale et safameuse cloche,
la Mute, dont le nom rime avec flûte, mais dont le son évoque la grosse voix du
bon Dieu, ce sont quelques- unes des merveilles offertes aux poètes par
cette bonne ville.
Jacques Borel, dans sa présentation des Oeuvres Poétiques Complètes de
Verlaine, choisit deux mots , sensation et rêverie, pour nommer les sources de
l’art verlainien. Dès le plus jeune âge, comme Verlaine l’a montré dans ses Confessions,
il était attentif aux formes, aux couleurs, aux ombres, aux bruits légers comme
celui de l’eau qui chante dans la bouilloire .
C’est sans doute à Metz, jeune enfant sommeillant dans son berceau, que
le petit Paul a commencé à appréhender le monde et ses harmonies. Mais le génie
verlainien est double, selon le critique: d’un côté voué à la sensation, à
la rêverie, de l’autre tourné vers l’action ou la nostalgie de l’action.
Ainsi, à l’heure où des fleurs étaient déposées devant les statues des
villes sur la Place de la Concorde, où Déroulède prononçait des discours
enflammés, Verlaine, dans sa chambre de l’hôpital Broussais, ranimait dans son
coeur la flamme patriotique.
Claude Hecham
Ecrits par nos membres
Le graoully
C’est la bête, mi-dragon, mi-serpent, qui
barrait la rue Taison, cette rue qui nous conduisait de la place Sainte-Croix à
la place Saint -Jacques.
« Dans ce désastre. Dans ce défaut. Dans ce manque….il n’y
avait plus rien de charnel qui fût pur….Quand un jour cette femme naquit… » (Charles Péguy, Le porche de la deuxième
vertu, La pléiade, p. 577)
(C’est un sculpteur qui parle. Il vient de réaliser le
monument aux morts de la guerre de 1914-18)
Et revint ce premier novembre. Si proche de ce 11 novembre, jour de l’armistice,
jour de la victoire. Y avait-il vraiment victoire là où des millions d’hommes
avaient péri? Une saignée d’une telle ampleur pouvait-elle se fêter? L’Alsace-Lorraine
était revenue à la France. Le retour à la terre patrie pouvait-il justifier
tant de morts, tant de deuils?
Quand j’entrai au village, j’entendis très loin résonner le son d’un
clairon. Je reconnus la mélodie d’un vieux chant allemand. « Ich hat einen
Kameraden, einen bessern gibt es nicht…eine Kugel kam geflogen… » «
J’avais un camarade, il n’y en a pas de meilleur….une balle s’en vint en volant… ».
La musique soudain se brisa, soit que le musicien manquât de souffle, soit que
l’émotion le submergeât. Et je sus que la tonalité ultime de la fête de La
Toussaint serait la tristesse.
Je gagnai directement l’église perchée à mi-pente, sur une plate-forme
qui quelque vingt années auparavant avait nécessité la saignée de la colline
herbeuse et boisée. Le sable du pays était
vraiment rouge et quand la pluie le mouillait et qu’un certain éclairage
le vivifiait, il devenait ardent et l’excavation dans la colline ressemblait à
une déchirure de feu. A présent la plaie s’était refermée. Ne restait que l’érection
du nouveau sanctuaire dardant vers le ciel son bizarre clocher mi-bulbe,
mi-flèche.
L’intérieur était déjà noir de monde. Je trouvai cependant refuge du
côté des hommes, dans les rangées que la guerre et la rudesse du travail de
guerrier avaient clairsemées. Mon regard fut vite capté par la sculpture
du chapiteau d’en face. L’office n’était
pas commencé. Je pus donc contempler sans me faire remarquer la scène insolite
qui s’inscrivait dans la pierre. Il s’agissait d’un animal monstrueux, mi
dragon, mi serpent qui occupait tout un côté alors que le côté adjacent que je
voyais moins bien mais dont je devinais malgré tout les figures représentait un
homme à la tête auréolé, un saint donc, qui tenait le hideux animal en laisse
avec son étole aurait-on dit. Curieuse sculpture dans un lieu aussi sacré qu’une
église. Je m’adressai à mon voisin.
- Vous savez ce que représente ce chapiteau?
Mon voisin suivit mon regard, cligna des yeux, arbora une grande
surprise et me dit tout bas sur un ton de confidence:
- Non! Je ne l’ai jamais regardé.
J’en étais là quand la messe commença.
« Gaudeamus omnes in domino, diem festum celebrantes sub honore
sanctorum omnium Réjouissons-nous… »
Réjouissons-nous tous dans le Seigneur, en ce jour de fête où nous
célébrons tous les saints… »
Je risquais un coup d’œil du côté des femmes. Le quart d’entre elles
portait un crêpe noir, qui pour un mari, qui pour un fils, qui pour un frère.
Beaucoup essuyaient des larmes ou les laissaient couler sur leurs joues.
Gaudeamus! De quoi pouvait-on se réjouir? Je me le demandais. Je
trouvais même indécent de chanter la joie là où n’était que peine. Indécente
était aussi cette hideuse bête au milieu d’un sanctuaire, effrayante et
insensible. Était-elle seulement tenue en laisse? Ne risquait-elle pas à chaque
instant d’inattention de son dompteur de se déchaîner? Comme la guerre qu’on
croyait domptée, la der des ders? Mon voisin me poussa du coude.
- C’est le graoully, dit-il à voix très basse.
- Le quoi?
- Le graoully, un monstre qui représente le paganisme que saint
Clément, le premier évêque de Metz, qui le tient en laisse, a vaincu en
évangélisant la région.
- Merci!
Je compris que mon voisin, renseigné par son entourage, voulait s’en
tenir là.
Moi, je continuai ma méditation intérieure. Ainsi les gens étaient
assez crédules pour croire qu’un monstre pouvait être dompté par un saint. Pour
dompter le monstre de la guerre, la légion des saints du ciel avait été
impuissante. Mais le graoully était sans
doute un monstre intérieur à chacun, cette part de violence qui tue, qui habite
l’humain, et qu’il appartient à chacun de dompter. C’est cela que le sculpteur
avait essayé de dire. Le paganisme, c’était le veau d’or, l’idole de chacun, la
part d’inhumanité, d’oubli de l’autre. Le graoully c’était l’autre devenant
« ennemi qu’il fallait tuer », l’autre qui n’était plus perçu comme
un humain, mais comme un monstre.
Graoully rimait
un peu avec cruauté.
Marie Louise Scheidhauer, L’ex-voto, inédit
Arc en ciel
Sourire du matin
Aurore des nuages
Le soleil qui se lève
Au milieu du brouillard
De novembre frileux
Sur le monde endormi
Quand j’ouvre ma fenêtre
Eventail lumineux
Il déploie tout à coup
Grandiose et somptueux
Un splendide arc en ciel
Son salut matinal
Aussitôt dilué
Dans les flots de grisaille
De la pluie hivernale
21-11-2012
Françoise Hanus
Publications
de nos membres
Partir de zéro pour relire François Mauriac
Yaryna Tarassyuk Œuvre zéro. La poétique et la problématique des
premiers romans de François Mauriac (Lviv, Vydavnytstvo Lvivs’koï
politekhniky, 2015, 224 p., en ukrainien)
L’œuvre de François Mauriac continue de
susciter de nombreux travaux de recherche en littérature à travers toute
l’Europe. La monographie de la chercheuse ukrainienne – membre active de notre association –, Yaryna
Tarassyuk, en témoigne à la perfection. Celle-ci a choisi de porter son intérêt
spécifiquement sur les débuts de la création littéraire mauriacienne. Car,
selon elle, c’est en remontant à la source des processus de création que l’on
sera en mesure de cerner au mieux et de comprendre avec assurance les
conceptions artistiques et les stratégies créatives de l’écrivain.
L’originalité de cette étude, selon nous,
consiste dans le fait que son auteure rejette l’approche téléologique
traditionnelle qui consisterait à lire dans les premières œuvres de François
Mauriac les prémices de ses grands romans. Car elle ne considère pas ses
premières œuvres comme des brouillons ou comme une étape qui ne serait
intéressante que dans la mesure où elle porterait et annoncerait la Grande
Œuvre mauriacienne. Bien au contraire, Yaryna Tarassyuk regroupe les premiers
romans de l’écrivain dans un ensemble d’œuvres qu’elle considère comme
autonomes et dignes d’intérêt pour eux-mêmes. Celles-ci, en effet, comme le
montre un examen attentif et soucieux de ne pas être cadré et trompé par des
représentations a priori, présentent un tissu textuel dense du point de
vue leur poétique et sont dotés d’une problématique qui leur est propre et
relativement indépendante de l’œuvre postérieure de l’écrivain. L’analyse du
roman Préséances (1921), qui constitue le texte-pivot de son paradigme,
l’amène à introduire et à définir le concept d’« œuvre zéro »
qui non seulement justifie la constitution et le fonctionnement de son
regroupement, mais qui, aussi, fonctionne comme un opérateur interprétatif
riche et productif des premiers romans de Mauriac. En effet, Yaryna Tarassyuk
considère que, si l’on représente la vie artistique de Mauriac dans un schéma
cartésien, ce roman, sur l’axe des coordonnées, constituerait « le point
zéro » à partir duquel une nouvelle séquence de son œuvre s’élaborerait.
Une telle présentation – « mathématisée », pourrait-on dire – et un
tel questionnement fondent les deux thèses principales que défend l’auteure,
fort à propos. Tout d’abord, le terme de « début » devient une
caractéristique de chaque nouvelle section de l’œuvre mauriacienne et n’est
pas, seulement, une spécificité adhérentes aux premières œuvres. Ensuite, ce
point zéro met en évidence le fait que les romans de Mauriac manifestent des
vecteurs divergents quant au développement de certaines thématiques qui leur
sont propres (spiritualité, moralité, etc.). Ainsi, une telle problématique
permet-elle de saisir finement la complexité de l’autoconstitution de
l’écriture de Mauriac, de prendre en compte la recherche constante qui
caractérise son chemin de penseur et d’artiste et, donc, d’éviter toute
simplification comme en témoignent, trop souvent, les études qui portent sur
ces œuvres que l’on qualifie, bien imprudemment, d’« immatures » ou
de « jeunesse » comme on aime à dire. Ce qui présuppose, bien
imprudemment, que seules les œuvres de la maturité compteraient.
Yaryna Tarassyuk procède à une exploration
presque archéologique de son corpus. En effet, elle libère, strate par strate,
l’écriture mauriacienne des discours interprétatifs canoniques qui, d’une part,
rapprochent, et, d’autre part, éloignent le récepteur de la compréhension de certaines
intonations poétiques, spirituelles et psychologiques des premières œuvres de
l’écrivain. Pour cela, elle analyse avec finesse le style et la complexité des
formes de vie des personnages des romans L'Enfant chargé de chaînes (1913),
La Robe prétexte (1914) et La Chair et le sang (1920). Le grand
mérite de cette étude, en définitive, réside – et ce n’est pas rien ! –
dans le fait que son auteure nous donne une envie irrésistible de (re)lire ces
œuvres et de les voir sous une autre perspective. Perspective qui diffère de
celle qui domine et se répète à l’envi dans les études du roman mauriacien que
nous connaissons si – trop ? – bien.
Galyna Dranenko
Ollivier, S. Les Fenians d’
Irlande, Peter Lang, Frankfurt am Main, 2015
Ollivier S., Regards sur Dostoïevski, Sciences humaines,
Publibook, 2015
« Notre
objectif est d’offrir des traversées multiples, variées et contradictoires de
l’œuvre. Dostoïevski ne se laisse pas définir. A la multiplicité des voix qui
se parlent dans son œuvre correspond la multiplicité des regards qui se
posent sur elle. »
Regroupés selon deux grands axes, les textes de S. Ollivier embrassent
et la grandeur et la pérennité de l’œuvre de Dostoïevski… et cela sans jamais
les épuiser, comme pour mieux nous inviter à
(re)découvrir ce romancier et à juger de la richesse de ses textes. Ainsi,
c’est à un parcours thématique (l’argent, la mort, Dieu) mais aussi à une
approche de toute l’influence de l’auteur russe
sur la production de la pensée et de la littérature (Berberova, Purcell,
Claudel, etc.) que nous convie la critique au fil de ce recueil d’articles qui
fait de la transversalité- et donc d’une certaine forme de liberté- un moyen
pertinent de s’approprier cette œuvre majeure.
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